Chapitre 22

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Il est près de 11 heures quand nous arrivons enfin à l’hôtel du petit village qui va nous accueillir pendant 10 jours. Le trajet a été plutôt calme : très vite, les promesses faîtes à base de « on ne dort pas dans le bus » et « on va chanter toute la nuit » ont été oubliées, laissant place à un silence entrecoupé de quelques ronflements.

J’ai dormi un peu, mais j’ai toujours du mal à rester endormi longtemps dans le bus. Du coup, j’ai eu tout le loisir d’observer la route (de nuit, autant vous dire que je me suis rapidement lassé), d’écouter les babillages de Margot qui parle en dormant (et qui elle, pour le coup, arrive très bien à dormir, et a passé la moitié de la nuit à parler de chat, de maths et d’Angelina Jolie, parfois tout en même temps) et de discuter avec les quelques êtres éveillés, notamment Renaud, ravi d’avoir trouvé quelqu’un à qui raconter ses vacances pour ne pas s’endormir. Cette absence de sommeil a toutefois eu un avantage : j’ai pu parler avec Max, après qu’il se soit réveillé quand sa tête a cogné un peu fort contre la vitre.

Au début, la conversation avait un ton étrange, un peu gêné, mais après quelques minutes à parler de météo et autres choses anodines, on s’est raconté nos vacances et les choses se sont détendues au fur et à mesure. J’ai toutefois fait attention à ne pas évoquer de sujet sensibles – le fiasco de la soirée théâtre, l’amitié impromptue de Max et Valentin, les Saint-Thomas et globalement tout sujet qui pourrait remémorer à Max pourquoi il me faisait la gueule. On a parlé pendant plus d’une heure, avant que le bus ne s’arrête pour le petit déjeuner. La conversation avait beau être légère et j’avais bien conscience que ça ne réglait pas tout, mais ça m’a fait un bien fou de retrouver mon meilleur pote.

Et nous voilà donc tous, nous tenant devant l’hôtel, avec des têtes de merlan ayant passé plus de temps hors de l’eau que dedans. L’hôtel est plutôt stylé d’ailleurs : au centre du petit village, avec une belle vue sur les montagnes enneigées. Il a un petit air désuet, avec ses fenêtres en bois et ses volets bleu clair, qui lui confère un certain charme. Il ne manque plus qu’un Saint-Bernard et on est dans une carte postale.

Nos accompagnants sortent du bus et nous rejoignent. Si M. Diallo et Renaud affichent des têtes aussi peu réveillées que les notres, Mme Blanc, notre prof de math, et Anne, prof de sport et coach de l’équipe de hand, semblent fraîches comme des gardons, à croire qu’elles n’ont pas voyagé avec nous. À côté de moi, Malik semble lutter entre son envie de dormir et sa nausée, et regarde d’un œil noir Anne, occupée à déblatérer sur la construction de cet hôtel et son histoire depuis des temps immémoriaux.

- Elle ne va jamais s’arrêter, pas vrai ?

- Ah si, mais après elle va proposer un petit footing je pense, je me moque.

- Oh, laissez-moi mourir, tant pis.

Il va s’asseoir sur les marches, alors que son teint commence à virer au vert olive. Le pauvre ; je me plains de ne pas dormir, mais moi au moins je peux faire trois pas sans rendre mon déjeuner.

Anne finit enfin son monologue, et les gérants de l’hôtel nous invitent à entrer manger. Ceux-ci savent visiblement quoi faire pour redonner des forces à une bande d’ados courbaturés : une tartiflette. Une bonne idée puisque quelques minutes plus tard, des conversations bien plus enjouées se font entendre et tout le monde semble ravi – même Malik, qui commence à retrouver son teint caramel habituel.

L’après-midi nous avons eu le droit à quartier libre. Certains auraient bien voulu se reposer, mais les gérants de l’hôtel nous ont fait savoir que nos chambres n’étaient pas prêtes. Conclusion : allez où vous voulez, mais pas dans nos pattes. Nous sommes donc sortis en ville avec la bande plus quelques autres potes. Enfin, en ville, c’est un bien grand mot. Imaginez une église, une supérette, un hôtel, un café, deux ou trois boutiques de souvenir, quelques maisons, et beaucoup, beaucoup de neige. Faire le tour du village et de ses environs nous a pris près de trois heures quand même (probablement parce qu’on s’est arrêtés au moins trois fois pour faire des batailles de boules de neige, jusqu’à finir trempés et glacés jusqu’au os).

Pendant la balade, Margot m’a pris à part.

- Tu sais que tu vas devoir lui parler pendant le séjour, à Enzo ?

- Non, pas forcément. Si je me débrouille pour éviter les lieux publics pendant 10 jours, ça devrait le faire.

Elle a levé les yeux au ciel.

- Tu n’as absolument pas profité des vacances pour réfléchir et faire le point, n’est-ce pas ?

Je suis resté silencieux.

- C’est bien ce que je pensais. Vu que tu es incapable de le faire seul, toi et moi on va avoir une petite discussion.

- Pourquoi est-ce que tout le monde veut avoir une discussion avec moi, avais-je gémi.

Elle avait été sur le point de répondre, mais une boule de neige vicieusement lancée par Thibaut l’avait stoppée net. La suite a été emplie de neige, d’éclats de rire et de jurons. À un moment, n’en pouvant plus d’être pris pour cible, je suis allé m’asseoir à côté de Malik, qui avait abandonné la partie depuis longtemps.

Après un moment de silence à observer nos potes, il m’a dit :

- Tu sais, ça tient toujours. Ce que je t’ai dit avant les vacances.

- « Bonne fête et à l’année prochaine » ?

Il a ri.

- Non, pas ça, idiot. Que tu peux me parler quand tu seras prêt.

- C’est bon, t’inquiète, je…

- Non, m’a-t-il coupé. Si tu n’es pas prêt, c’est pas grave. Mais ne me dis qu’il n’y a rien pour me faire plaisir. Tu sais, j’ai conscience que je ne suis pas le mec le plus démonstratif, ni le plus observateur. Mais je vois quand tu ne vas pas bien. Et tu as été là pour moi par le passé quand ça n’allait pas super, et je tiens à être là pour toi.

Je suis resté silencieux, la gorge serrée.

- Tu peux nous parler. Je sais que c’est plus facile de parler à Margot, mais on est là aussi. Max est ton meilleur pote. Moi, j’ai de bons conseils – ou au pire je serai une oreille attentive. Même Thibaut…

À cet instant, Thibaut est passé en courant devant nous, à moitié couvert de neige et avec une chaussure en moins.

- Ouais, peut-être pas Thibaut. Mais voilà, oublie pas ça.

- Merci, ai-je simplement dit d’une voix étranglée.

Il a mis une petite tape sur mon genou.

- Allez, on y va avant qu’il ne fasse nuit.

Et nous sommes donc rentrés à l’hôtel, dans le hall duquel nous nous trouvons actuellement. Les profs nous rejoignent avec une collection de clefs dans les mains qui ferait pâlir Passe-Partout d’envie. Renaud prend la parole.

- On va vous distribuer les clefs des chambres, ensuite vous pourrez récupérer vos valises.

À ces mots, chacun commence à aller chercher ses affaires dans le fond de la salle, laissant le pauvre Renaud seul avec son manque d’autorité.

- Attendez, il y a des règles pour la composition des chambres !

Tout le monde s’arrête.

- Il faut que les chambres soient mixtes !

Explosion de joie et éclats de rire du côté des élèves, tandis que Renaud bafouille :

- Ah mais non, pas mixte dans ce sens là !

- N’y pensez pas, reprend Anne, garçons et filles seront séparés (des « oh » se font entendre). Mais il faut que les chambres soient composées d’élèves de Saint-Thomas et de Zola.

Oh non. Un lourd silence de déception s’abat.

- Nous avons apprécié les efforts que vous avez fait pendant ce trimestre, et nous pensons que ça a été profitable à tous. Pourquoi ne pas continuer sur cette voie ? Nous pensons que ça vous permettrait de mieux vous connaître.

Ses arguments ne semblent pas convaincre.

- Nous avons décidé d’effectuer la composition des chambres nous-mêmes.

Oh non.

- Il y a 10 chambres de 8 pour les filles, même chose pour les garçons. Comme il manquait un peu de place, nous avons également réservé une chambre pour 2.

Oh non, non, non.

- Alors, dit-elle en sortant sa liste, voici la composition des chambres. Nous avons attribué la chambre de deux à Lucas et Enzo. Nous comptons sur vous pour montrer le bon exemple d’entente à vos camarades.

Dans une autre vie, j’ai dû beaucoup énerver un dieu quelconque, qui a décidé de se venger. Je ne vois que cette explication, ce n’est pas possible autrement. Anne continue d’énoncer sa liste, pendant qu’Enzo récupère notre clef auprès de Renaud.

Avec un soupir de résignation, je vais chercher ma valise.

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