Chapitre 9( provisoire)

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La châtelaine s'était levée, les deux mains sur la table, prête à sauter par dessus pour se saisir de l'impertinente. Elle était rouge de colère et sur le point d'exploser. Loïs se recula prudemment, non pas qu'elle eu peur. Elle ne voulait pas être trop proche lorsque les aiguilles qui maintenaient la dame de la tête aux pieds se transformeraient en dangereux projectiles.

— Gardes ! Saisissez-vous de lui !

L'impertinente redressa le menton et foudroya la dame du regard tandis que deux hommes se matérialisaient dans un claquement de bottes aux côtés de la naine. Ils se saisirent d'elle par les bras et se redressèrent. Les pieds de Loïs perdirent aussitôt contact avec le sol.

— Lâchez la.

Le ton était à la fois calme et impérieux. Les gardes hésitèrent.

— Lâchez la.

Inquiets, les deux hommes se consultèrent du regard.

— Jetez le aux ours ! Surenchérit leur maîtresse.

Les geôliers se tournèrent vers la porte et s'immobilisèrent.

— Lâchez la.

De peur, les gardes tressaillirent et leur poigne se serra d'avantage encore sur les bras de Loïs. L'air dans la salle de réception s'était alourdis, pesant comme un jour de canicule ; cependant, la température de la pièce avait chuté brutalement. Il faisait froid, très froids. Les respirations formaient devant les visages un épais voile de condensation qui ne parvenait pas à réchauffer la pièce. Le seul à échapper à cette étrangeté était le Pèlerin.

— Gardes ! Gardes ! Hurlait toujours dame Deirdre.

N'avait-elle pas peur comme tout les autres ? La colère l'aveuglait-elle à ce point ?

Car ils faisaient face au Pèlerin.

Enveloppé d'une aura qui le rendait à la fois plus attirant et menaçant que jamais, le voyageur semblait aussi plus grand qu'il n'avait jamais apparus l'être. Une flamme n'aurait sus être plus séduisante pour un insecte.

Ses cheveux noirs encadraient, son visage assombris par la colère. Sa peau était pâle et rayées de cicatrices profondes qui formaient des zébrures plus pâles encore. Ses yeux ordinairement bruns, étaient maintenant d'un bleu clair de glace et leurs pupilles, qu'une fente sinueuse et verticale. Le gauche seulement, le droit, et bien, le droit était voilé et plat. Des crocs affamés avait autrefois, du front jusqu'à l'arrête de la mâchoire, laissé de longs sillons profonds dans la peau, et emporté sa vision.

L'homme, non, la créature pointa un doigt anormalement long, et joint aux autres par un voile de cuir, en direction de la troubadour.

— Lâchez-la, répéta-t-il toujours de sa voix mesurée, mais aussi infiniment menaçante et caverneuse.

Ses interlocuteurs tremblaient de la tête aux pieds. La tentation de lui obéir était grande, de fuir, et de combattre tout autant.

Loïs aurait cravachée elle-même ses geôliers si cela avait pus lui permettre de fuir les lieux. Elle les aurait cravachée de ce bourg maudit jusqu'à Esterillion, qu'ils crèvent sous elle, mais surtout qu'ils fuient sans se retourner.

Derrière eux, dame Deirdre s'époumonait toujours, mais qui y faisait encore attention ?

Le Pèlerin se redressa encore, releva le menton, darda sur l'imprudente son regard glacial. Ne voyait-elle pas cette idiote, les cornes brisées qui ornaient sa tête d'une couronne ?

La figure solitaire et sombre se redressa d'avantage encore, s'étira comme pour toucher le plafond. Le toucha peut-être des pointes de sa couronne brisée.

Les pans de sa cape de voyage se noyait dans le l'épais brouillard qui grouillait à ses pieds.

Soudain, tout changea. Tout chez cette créature inspirait majesté et harmonie. Les cicatrices s'effacèrent un instant au profit de traits fins et infiniment harmonieux. Sa présence était apaisante, son port altier et gracieux inspirait à l'admiration. De sa voix mesurée, profonde et douce il répéta une ultime fois « Lâchez-la. ».

La troubadour se serait lâchée elle-même pour tomber à genoux devant la créature si elle l'avait pus. Mais les gardes ébahit, la retenaient toujours.

Subjugués et paralysés à la fois par la tentation de Paix, ils étaient incapables de réagir. Les mâchoires du Pèlerin se contractèrent de colère et de frustration. Une fraction de seconde, il perdit brutalement cette aura de majesté qui l'entourait, puis se repris.

Libérée de sont émerveillement, Loïs se débattis. Ses connaissances des balades traditionnelles lui avait permis d'enfin reconnaître l'être divin qui leur faisait face.

Il fallait fuir. Il fallait fuir !

Un instant, un claquement de mâchoires de frustration dévoila les crocs de la créature.

— Guerre ! C'est Guerre ! Sombres idiots !

À ses cris, la naine se tordit en tout sens et assena à l'un de ses geôliers des coups de pieds furieux. Aveugle dans sa frénésie, Guerre prenait des vies sans distinction, et la troubadour ne tenait pas à être présente quand enfin il se perdrait dans son déchaînement.

— C'est Guerre ! Guerre ! Abrutis écervelés ! Lâchez moi !

L'agitation qu'elle causait semblait exciter d'avantage encore les instincts du dieu mineur.

— Pèlerin, Pèlerin ! Repartons ensembles, on se fera de l'argent ailleurs, essaya-t-elle pour le calmer.

Mais son compagnon de voyage avait entièrement disparut derrière son alter-ego véhément. Une main tendue au-dessus brouillard à ses pieds, il agita ses doigts et le voile de brume se noircit et se densifia dans son dos.

Si Loïs restait là, elle serait certainement à compter parmi les victimes. La troubadour se remit à se débattre furieusement contre ses geôliers.

Aux pieds de Guerre, du brouillard corrompus émergea la première patte d'un fauve, puis la seconde. Aussitôt, une odeur de chairs putréfiées vint vicier l'air. La créature noire comme la nuit, planta ses griffes acérées dans le granit, puis, d'une poussée puissante s'arracha le reste de son corps au voile de brume.

Apparurent d'abord dans un strident crissement de souffrance de la pierre, les crocs-dagues qui émergeaient de la gueule de la bête, vint ensuite ses yeux. Ses trois paires d'yeux déjà ouverts, étudiant avidement la scène qui se déroulait là. Seuls les Cauchemars avaient autant d’œil. Loïs priait pour que son septième œil soit encore fermé. Elle ne connaissait qu'à travers les contes leur réputation, mais le monstre devait son nom au pouvoir de se septième œil. La troubadour comptait se passer d'expérimenter plus en avant les légendes.

La naine redoubla d'efforts et se dégagea enfin de la prise d'un premier garde alors que les épaules et l'échine du Cauchemar émergeaient du brouillard. La bête avait le regard braquée sur elle tandis qu'elle s'échinait encore contre son dernier geôlier.

À la table derrière Loïs, quelqu'un se réveilla de sa subjugation.

— Ma mie ?

L'homme n'obtint aucune réponse, pointant un index rageur vers ce qui avait été le Pèlerin, il hurla :

— Monstre !

Le regard de Guerre quitta Loïs et se porta sur le noble. Celui du Cauchemar resta parfaitement braqué sur sa minuscule proie. L'animal avait entièrement émergé de la brume maintenant. De la taille d'un bœuf, il n'en faisait pas moins petit aux côtés de son maître. Loïs serait moins qu'un amuse-gueule pour lui.

Elle tenta d'arracher de ses minuscules doigts ceux plus larges de son dernier geôlier. La troubadour sentis monter en elle, une peur primaire, accompagnée d'images qui la terrifiait et menaçaient d'étouffer son esprit et de la paralyser. Ignorant si cela suffirait à la soustraire, elle ferma aussitôt les yeux. Le garde qui la maintenait, trop sublimé par la vision du dieu, n'eut pas cette présence d'esprit. Il tomba à genoux, se tenant la tête entre les mains, il hurla d'horreur à s'en faire exploser les poumons. Loïs tomba au sol avec lui, les yeux toujours clos, elle rampa vers ce qu'elle espérait être le plus loin possible du monstre.

Les cris de terreur de l'homme eurent au moins pour bénéfice de tirer de leur contemplation ces congénères.

— Monstre ! Rugis de nouveau le noble.

Cette fois, Loïs l'identifia : il s'agissait du chevalier Casse-Burnes. Rampant elle l'espérait sous la table, elle cru l'entendre tirer son épée.

Alors, tout se déchaîna.

Le Cauchemar bondit en avant, happa dans ses mâchoires le garde qui s'époumonait toujours et s'écrasa lourdement à quelques pas de Loïs contre la table, l'emportant avec lui. Sous le choc, la naine ouvrit les yeux de surprise, aperçut le monstre qui se démenait pour s'extraire des décombres,et fuit pour sa vie. L'animal se remis sur ses pattes et la prit en chasse. Loïs entendait ses mâchoires claquer derrière lui sur des chairs molles. La peur s'était saisit d'elle et cela n'avait rien à voir avec le pouvoir du monstre.

Guerre s'était lui aussi élancé. Ses griffes, ses crocs déchiquetaient tout ce qu'ils rencontraient. Deux lances fichées dans son torse ne lui firent aucun mal et ne le ralentir pas plus. Au contraire, elles ne firent que l'outrager d'avantage.

Que sous mes ailes, le ciel s'ouvre,

Que sous mon cri, la terre tremble,

Qu'à ma vue, fane les cœurs,

Car ainsi s'en viens Guerre,

Car ainsi je m'en viens.



Le dieu mineur emplis ses poumons et bascula la tête en arrière.

Guerre Rugis faisant détonner l'orage et trembler les murs. La naine dû se couvrir les oreilles pour épargner ses tympans.

Comme appelé par le dieu, un éclair en réponse fendit le ciel et perça les nuages qui convergeaient vers le château. De lourds torrents de pluie s'écrasèrent alors sur les toits comme s'ils tentaient de les enfoncer par la force. Les précipitations violentes et les détonations du tonnerre couvraient à peine dans le reste du château ce qu'il se passait dans la salle de réception.

Déséquilibrée un instant par la détonation sonore, Loïs se reprit bien vite avant de s'engager en titubant dans les escaliers. Trop occupé pour l'instant à déchiqueter d'autres malheureux, le Cauchemar ne l'y suivit pas.

Sans une once de retenus, les domestiques et les nobles, autrefois si arrogants, fuyaient maintenant pour leur vie. Erratiques et confus, ils courraient en tout sens et se bousculaient, se piétinaient dangereusement. La troubadour devait lutter pour ne pas être prise dans le mouvement de foule.

Elle était à mi chemin de sortir de cet enfer quand elle sentis soudain ses cheveux se hérisser sur sa nuque. À peine perçut-elle des images horrifiante gratter aux portes de son esprit, qu'à côté d'elle une femme tomba à genoux en hurlant d'une terreur primaire. Cela ne dura qu'un instant. L'instant suivant, des mâchoires avides se refermaient sur la malheureuse.

Loïs manqua une marche, tomba, fit un roulé-boulé, entendit sa cheville craquer et reprenant un semblant d'équilibre plongea dans un trou d'évacuation. Les griffes du fauve fauchèrent l'air là où elle s'était tenus un moment avant.

Le grondement de rage du Cauchemar accompagna sa chute.

Durant toute la seconde que dura sa chute, Loïs sentis peser sur elle le regard de la créature. Elle ne s'inquiéta qu'au contact du sol de s'être rompus les os. Couverte de merde et de déchets domestique, humiliée, mais vivante elle repris sa course en claudiquant. Elle lutta contre son instinct qui la poussait à vérifier si le Cauchemar la suivait où non.

Loïs envisagea brièvement de fuir, mais ne put se résigner à abandonner ses bêtes.

Trempée jusqu'aux os avant d'avoir atteint l'écurie à quelques pas boitant de là. Elle pria les Dieux qu'Ils retiennent leur rejeton et son familier suffisamment longtemps pour lui permettre de fuir. Oh oui ! Loïs pria avec plus de ferveur qu'elle ne l'avait jamais fait. Plusieurs fois, elle dû se plaquer contre les murs pour ne pas se faire écraser par des mouvements de foules, chaque fois elle craignit que le Cauchemar eu retrouvé sa trace. Elle sentait encore son souffle froid et putride lécher sa nuque.

Elle atteignit enfin l'écurie, où ses chèvres geignaient de peur. Les chevaux se cabraient et hennissaient eux aussi de terreur. Rapidement, Loïs tira ses lacets de cuir, les passa dans les licols de ses bêtes puis les noua ensembles. Elle prit une seconde pour étudier comment s'ouvrait leur stabulation et fila vers celles des chevaux. Les équidés allaient leur ouvrir la voie, elles devaient rester proche d'eux.

Leurs portes ouvertes, le destriers hennirent de terreur et bondirent en avant. Loïs fit de son mieux de son pas boitant pour leur emboîter le mouvement. Elle libéra ses bêtes, agrippa à elles pour courir et les entraîna à la suite des massifs destriers.

Dans un nouveau Rugissement assourdissant mêlé confusément de coup de tonnerre dans le ciel ; de pluie tambourinée furieusement sur les toits et de martellement de sabots sur le pavé ; Loïs fut en quelques instants aux portes du château. Tandis qu'elle s'engageait avec ses bêtes sur le bois du pont-levis, le castel de dame Deirdre émit dans son dos un premier craquement sinistre qui fit vibrer la terre. Au second, la pierre du château explosa et projeta ses débris en tout sens.

Touché par l'un de ses fragments, l'un des chevaux qui leur ouvrait la voie s'effondra. Effrayés, les équidés s'égaillèrent dans les rues comme des oiseaux. Boitant, le cœur sur le point de rompre, Loïs poussa ses chèvres à suivre les quelques destriers qui étaient restés groupés. Ce lui fut salvateur.

Alors qu'un second Rugissement de Guerre faisait zébrer de nouveau le ciel de salves d'éclairs, c'était le chaos dans les rues du bourg. Alors qu'ils auraient dû fuir les lieux, hommes femmes et enfants cherchaient désespérément à se cloîtrer chez eux ou chez des proches. Se faisant, ils se bousculaient et se piétinaient à mort. Peu avant qu'elle ne puisse sortir de la petite agglomération, les rues du bourgs faillirent se transformer en un piège mortel pour la troubadour. Elle fut renverser par un homme qui ne lui avait pas prêter attention. Sans ses chèvres, trop effrayées pour ne cesser de courir, elle se serait faite piétiner par le bovin que le citadin menait hâtivement pas le licol pour le sortir des rues.

Boitant, les poumons en feu, le cœur sur le point de rupture et le corps en souffrance, Loïs franchit enfin les délimitations du bourgs et s'enfuit dans la campagne. Elle ne cessa sa clopinante course qu'une fois avoir traverser la rivière.

Là, sur l'autre rive, à bout de tout, elle s'effondra. Tétanisées par la peur et l'effort, ses chèvres aussi ne pouvaient aller plus loin. Brochette, habituellement la plus brave et endurante des trois avait les yeux écarquillés par la terreur et les membres tremblant après l'effort.

La troubadour n'avait plus rien, à peine quelques piécettes, ce qu'elle portait sur son dos et plus que son galoubet , mais au moins était-elles vivantes. À bout de force, Loïs ne trouva même pas la force de pleurer. Elle ne savait pas non plus ce qu'elle aurait dû pleurer. Elle était vide.

Elle porta son regard terne vers le bourg.

Elle y vit Guerre.

Il n'avait plus rien d'humain.

La Wyvern, de son corps sinueux gris sombre de serpent, écrasait sous ses ondulation des maisons et leurs habitants. En brisait d'autres de sa queue fouettant l'air. La gueule fumante de givre, il crachait des jets de glace en tout sens. De ses ailes, il créait des tourbillons. La voilure de son aile droite était déchirée, nota Loïs. Elle se souvint de sa cette main si délicate et pleine de douceur qui avait pressé la sienne si gentiment pour la réconforter. Qu'avait-elle fait ? Tout était de sa faute. Sans elle...

À bout de tout, les larmes ne lui montèrent même pas aux coins des yeux. Elle se leva.

Loïs abandonna la ville à son sort bien après que Guerre n'en n'est fait de même. Elle n'avait pas sus... sans elle...

Elle laissa derrière un bourg où fleurissaient les tombes et les tertres de fortunes ; où entres les murs fendus par la glace et le temps résonnait sans fin la litanie venteuse de l'abandon.

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