Le Myosotis, le rêve du Pèlerin

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Elle s'affairait dans la pièce d'à côté, en chantonnant. L'écho de sa voix résonnait dans toute la maison et la réchauffait de sa présence. C'était la chanson qu'il avait écrite pour leur mariage ; une tradition chez les Ourlags, le peuple de sa femme. La balade amoureuse était une histoire stupide de yeux plus brillants que des étoiles et dont l'éclat le guidait même à travers les nuits les plus sombres. Ça dégoulinait de sentiments, il devait le reconnaître, mais fredonné par sa femme il n'y avait rien de plus doux à son oreille.

Cela lui rappelait combien il l'aimait et tenait à elle. Il en avait aimé d'autres, mais aucune n'avait été son âme sœur.

Prenant conscience qu'il se réveillait, son épouse passa ses doigts dans ses cheveux tout en continuant à s'affairer partout et nulle-part à la fois. C'était un rêve, un très beau rêve même, où ils étaient de nouveau réunis. La logique n'avait pas sa place ici.

— Tu est réveillé ?

Il hocha la tête, affirmatif et hésita à ouvrir les yeux avant de s'y résoudre enfin. Le fredonnement tout autour de lui n'avait pas cessé.

Elle était exactement comme dans son souvenir, mêmes yeux brillants de malice, même boucles indisciplinées qui s'échappaient de son foulard, même fossettes moqueuses.

Leur fils en avait hérité.

Sa joie s'effrita.

— Tu viens manger ?

Elle souriait, charmeuse.

Leur fils.

Il se redressa, s'assit dans le lit et lui fit face.

— Il faut que je te dise, comment-ça-t-il les larmes aux yeux.

Oui, il devait le lui dire.

Les mots restèrent bloqués dans sa gorge.

Ignorante, elle lui offrait son plus beau sourire.

— Il faut ...

Il devait le lui dire !

Encore une fois, les mots ne trouvèrent pas leur chemin hors de sa bouche. Pire, ils se nouèrent au fond de sa gorge, pesant de tout leur poids pour l'étouffer. Impuissant à confier son trouble et fort contrarié par celui-ci, des larmes commencèrent à perler aux coins de ses yeux.

Elle essuya d'un doigt une larme avilissante.

— Allons, je suis sûre que ce n'est rien.

Leur fils.

Il dégagea ses doigts de son visage, il ne méritait pas sa sollicitude. Pas après ce qu'il avait fait.

Une grimace de douleur et de honte tordit son visage tandis qu'il lutait toujours pour que les mots franchissent enfin la barrière de ses lèvres.

— Allons, murmura-t-elle encore de sa voix douce.

Leur fils.

Son cœur se tordit de douleur et l'arracha au rêve une bonne fois pour toute. Le fredonnement cessa. Toute la chaleur de son rêve disparut. Son cœur se serra jusqu'à n'être qu'un nœud douloureux dans sa poitrine.

Le rêve s'évapora. Incapable de lui faire face, il se détourna de son épouse avant qu'elle ne se dissipe tout à fait. Et même là, elle le dévisagea tendrement et patiemment en espérant qu'il se confie enfin à elle.

Leur fils.

Après la guerre, sa femme l'avait attendus jusqu'au dernier jour de sa vie qu'il revienne à la maison. Il le savait. Il n'avait toutefois jamais eu le courage de lui revenir, de lui faire face et encore moins de lui avouer ce qu'il avait fait. Elle aurait compris, il le savait, mais il n'en avait pas la force. La honte l'accablait trop pour cela.

Même en rêve ; alors qu'elle n'était plus depuis des siècles, sa culpabilité et la douleur taisaient ses mots. Même en rêve, il craignait le spectre de la décevoir. Il l'avait déçue se faisant, il le savait. Elle était morte de chagrin en l'attendant, mais il n'y arrivait pas. Lui qui lui avait toujours tout confier sans crainte, était muet de honte.

Il devrait le lui avouer un jour pourtant.

Leur fils.

Il avait tué leur fils.

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