La face de Guerre( partie 4)

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  Audric ne put retenir un juron lorsque son cadet lui fit un doigt d'honneur et s'approcha de la fille du tavernier. Bordel ! Ce n'était qu'une gamine et leur père leur avait ordonné de garder un œil sur le Pèlerin !

 Mais Rodham n'avait cure de leur paternel et préférait conter fleurette à l'adolescente que se prêter à l'ennuyeux exercice de surveillance qui les attendaient. Qui attendait son frère plutôt, car en un tour de main il avait réussit à inviter la demoiselle à se promener sous le clair de lune.

 Audric pesta encore et, le cœur plein d'esprit chevaleresque, suivit le plus discrètement possible le Pèlerin et les enfants.

 Le voyageur mena ses victimes dans la grange où était disposé des lits de fortune pour ceux qui n'en avait guère, et allongea les petits sur la paille. L'un des molosses se fondit entre eux puis la créature les couvrit tendrement de sa cape avant de les border.

 Alors que le garçon s'endormait déjà, la fillette se saisit des longs doigts fins du Pèlerin et les maintint longuement dans ses petites menottes. La créature caressa doucement le front de la petite et le baisa avant de délicatement ôter ses doigts de ceux de l'enfant.

 L'indiscret témoin ignora la pointe de jalousie qui perçait en son cœur tandis que l'animal prenait place en tailleur tout près de ses protégés. Il posa son bâton contre son épaule, pour ne pas tomber et, alors que son dernier chien s'étendait à ses côtés, ferma les yeux.

 Audric l'observa.

 La créature était si semblable à lui.

 Son père n'avait de cesse de lui répéter qu'ils n'étaient pas comme eux, pourtant, il ne pouvait s'empêcher de voir des ressemblance. Il savait que les Humains étaient nés de la volonté des créatures d'avoir une forme commune à toutes les espèces. Que certains avaient, dans une fervente volonté de vivre en paix, oubliés comment reprendre peau de bête. Des générations plus tard, la race des Hommes devenait une espèce à part entière dans le grand bestiaire du continent. Audric n'avait de cesse bien sûr de réfuter cet héritage, mais ; et si cela était vrai ?

 L'Histoire connaissait bien d'humains qui se transformaient un jour en créature. Et le jeune homme lui même, pour son baptême de chasse, avait mis à bas une créature née, comme lui, du giron d'une femme. Au souvenir de cette mise à mort, un frisson parcourut l'échine du chasseur. Il n'était pas un tueur né comme son père, il admirait avec quelle facilité son géniteur prenait des vies.

 C'était si naturel à Audric ; sans un regard ou une hésitation, d'un coup de poignard ou d'une flèche bien placé, le tout sans un battement de cil et il en était fini de leur proie. Aucun regret n'habitait ensuite le visage du patriarche quant, au contraire, ils saisissaient l'esprit de sa progéniture.

 Darragh avait assuré à son neveu que cela viendrait avec le temps, mais il n'en était pas convaincue. Audric avait le cœur faible comme disait son père, un cœur qui rechignait à sa besogne et qui se serrait douloureusement quand le corps vaincue d'une proie s'émiettait dans le vent.

« Ce qui vit par la Magie, retourne à la Magie », ainsi parlait les bêtes.

 Le jeune homme était sensible à la beauté et à la douceur avec laquelle disparaissait les corps, peu importe la violence de leur mort, elle les saisissait toujours avec douceur et les emportaient délicatement au loin. Comme il aurait aimé qu'il en soit aussi ainsi pour lui quand son temps serait venus.

 Le Pèlerin renifla dans son sommeil. Audric se tint alerte une seconde, puis réalisant qu'il n'avait aucune raison de s'inquiéter détailla encore une fois leur proie.

 Malgré une barbe qui lui grignotait le visage et le vieillissait encore, le voyageur semblait avoir l'âge de son père, mais le jeune homme savait qu'il ne pouvait se fier aux apparences. La créature vivait peut-être depuis bien plus longtemps que ce dernier, peut-être même depuis plusieurs siècles.

 Il avait dû en voir des choses ce Pèlerin, le chasseur avait presque envie de lui poser la question. Si son devoir ne les opposait pas, sans doute l'aurait-il fait. Ou peut-être n'aurait-il osé.

 Qu'avait-il vu ? Qu'avait-il vécu ? Qu'avait-il connu ? Quelle histoire derrière la cicatrice qui barrait sa main ? Avait-il aimé ? Aimait-il toujours ? Était-ce à sa compagne qu'il ramenait ces enfants ?

 Le cœur d'Audric se serra. Une compagne ; c'est que le jeune homme aurait aimé en avoir une lui aussi. Il l'avait déjà toute trouvée en la jeune Azélie, dans les champs de son père la journée, à la taverne de son oncle le soir. Toujours là pour aider, toujours là pour sourire. Et quel sourire !

 Un véritable éclat de soleil sur son visage sélénite. Il enchantait ses jours, hantait ses nuits. Le jeune homme ne vivait que pour le voir fleurir sur le visage de la demoiselle. Il ne laissait aucun autre l'approcher, lui-même se l'interdisait.

 Audric n'appréciait pas cette fille, elle était trop empâtée et trop conne comme ses vaches pour lui porter à boire ; alors comment pourrait-elle lui porter des petits-fils ?

 Pourtant, Audric se fit la promesse qu'à son retour il demanderait à l'épouser, et s'il n'obtenait la permission de son père, tant pis. Il quitterait les siens, trouverait à vivre comme il le pourrait, mais il épouserait la belle Azélie.

 Oui, il épouserait sa belle Azélie.

 À cette réconfortante promesse, le jeune homme ferma les yeux et s'endormit.

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