Chapitre 29

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Écrit en écoutant notamment : Entheogenic – Soma (Veda Mix)

Le bus s’arrête un quart d’heure plus tard sur une aire frontalière. Quatre policiers investissent l’engin, suivis par des molosses qui remontent l’allée centrale en reniflant tout ce qui leur passe sous le museau.

  • Ils cherchent sûrement des trafiquants de drogue, ça m’est déjà arrivé avec cette compagnie quand je suis allé en Espagne, me chuchote Dimitri à l’oreille. Ils vont aussi vérifier nos papiers.

Il n’y a aucune raison que ça se passe mal, mais un pic d’adrénaline me secoue lorsqu'un des bergers allemands arrive à hauteur de mes chevilles. Le souci, c’est que le clébard fait soudainement demi-tour et se met à aboyer à côté de Daniel. Un des policier se précipite vers lui, retient le chien et lui demande de se lever, tandis qu’un deuxième agent se saisit du sac incriminé et sort du bus. Daniel fait de grands gestes avec les bras et se met à pester comme s’il avait déjà compris la bêtise commise.

Sur ordre du policier, il extrait de sa poche ce qui ressemble à un passeport avant de le reglisser immédiatement dans sa veste. À quoi joue-t-il ? Heureusement, l’agent avait détourné le regard pile à ce moment. Daniel lui présente plutôt sa carte d’identité, que le type s’empresse de déchiffrer.

  • Oh, French ?
  • Yes ! s’écrie Daniel.

On le fait alors descendre. Un des agents tient dans ses mains une espèce de sachet plastique, que nous avons du mal à distinguer dans la nuit. La discussion semble véhémente ; j’espère au moins qu’il pourra remonter… Le chauffeur n’a pas l’air plus avancé que nous et décide d’aller examiner la situation lui-même pour savoir s’il peut se permettre d’attendre.

De retour dans le bus, il annonce :

  • Veuillez nous excuser pour ce désagrément, nous repartirons avec un retard d’environ une demi-heure.

Nous en profitons pour aller dégourdir nos jambes dehors. Pas trop longtemps, car le froid est mordant et un brouillard dense a déjà déposé une couche de givre sur la végétation. On entendrait les mouches voler ; j’ai l’impression que personne n’a envie d’aborder le cas de Daniel. Alors que nous allions remonter, ce dernier revient vers nous, d’un pas pressé.

  • Allez, on a un voyage à terminer ! s’écrie-t-il en nous poussant à l’intérieur. Rien de grave, ces cons m’ont juste soutiré une amende à deux cents balles. Ne prenez pas exemple sur moi, mais c’était juste un pauvre joint que j’avais oublié dans une poche… D’ailleurs, je n’ai rien fumé depuis plusieurs mois.

Malgré quelques regards plus ou moins discrets qui louchent en direction de notre boss, l’incident semble vite oublié. D’ailleurs, en y repensant, je comprends mieux pourquoi Daniel avait d’abord sorti son passeport : il nous a dit qu’il poursuivra le voyage quatre ou cinq jours vers l’Europe de l’Est pour voir de la famille éloignée.

***

Nous ne retenons pas nos exclamations satisfaites lorsque nous débarquons enfin dans la nuit praguoise. La courte marche jusqu’à l’hôtel nous fera du bien.

Daniel ne semble pas tellement affecté par sa rencontre rapprochée avec la police tchèque ; c’est même lui qui s’occupe de remplir notre check-in auprès d’un réceptionniste qui baye aux corneilles. D’une certaine manière, je suis moins chanceux qu’à Saint-Malo. Ici, je devrai partager une chambre avec mes trois collègues acteurs.

  • Dormez bien ! s’écrie Daniel. Départ dix heures demain matin. L’hôtel propose le petit-déjeuner jusqu’à neuf heures et demie, mais vous faites comme vous préférez.

Nous découvrons notre chambre pour ces trois nuits. Elle se compose d’une pièce avec quatre lits simples, jouxtée par une salle de bain modeste. La taille des matelas n’empêche pas Kenzo de plonger sur Dimitri alors qu’il est tranquillement assis sur le rebord en train de sortir des affaires. Une lutte amicale s’engage sous mes yeux et ceux de Jordan, notre troisième acteur. Moi qui croyais bêtement que mes collègues allaient suivre les conseils de Daniel… on dirait qu’ils apprécient un peu trop le contact physique. Une fois le round achevé, Kenzo s’écrie, devant son téléphone :

  • Les gars, j’ai une demande marrante de la part d'un client. Si l’un de vous veut bien mettre ses pieds à disposition…

Jordan acquiesce en se marrant.

  • Et quelqu’un pour filmer ?

J’attendais que Dimitri se propose, mais il a déjà enfilé son casque et paraît occupé sur son ordinateur.

  • Je veux bien, dis-je après un blanc.

Il n’en faut pas plus pour que Jordan et Kenzo se désapent pour se retrouver en boxer. J’avais déjà vu Kenzo dans son plus simple appareil lors de ma « première » scène – en tant que spectateur bien sûr –, mais je découvre ici Jordan, un des acteurs les plus minces de notre studio. Cela ne l’empêche pas d’exhiber des fesses rebondies, qui se démarquent d’autant plus. Le morceau de tissu au liseré bleu foncé, qui protège son intimité, porte le logo du studio. Je suis jaloux ! On m’a offert le sweat, mais le boxer Brittany Twinks me plairait aussi.

Jordan s’est allongé sur le dos et Kenzo se place face à lui. Je fais l’effort de me mettre sous une lumière convenable ; il faut dire que j’ai acquis quelques rudiments grâce à mes anciens amis d’école d'ingénieur, au club d’audiovisuel.

Après avoir fait signe que mon cadrage est au point, le regard gourmand de Kenzo se rapproche des pieds de son ami. Sa langue vient effleurer ses orteils, puis il lèche sa plante des pieds sur toute sa longueur, de bas en haut. Je me sens déjà à l’étroit dans mon pantalon ; c’était couru d’avance. Pendant que les deux lascars récupèrent les photos et semblent bien s’amuser avec leur client, je sors à mon tour mon PC. Je suis sûr qu’on en a pour une bonne heure avant l’extinction des feux.

Je reprends mon code là où je l’avais laissé quelques heures plus tôt. Je suis en train de me rôder sur la mise en place des algorithmes de recommandation, comme ceux qu’on trouve par exemple chez Youtube ou Netflix. Les développements mathématiques qui soutiennent le principe sont aussi incroyablement intéressants ! Néanmoins, la mise en place ne sera pas aisée, car il faudra pouvoir extraire automatiquement de nombreuses caractéristiques des films afin de pouvoir proposer des contenus personnalisés.

***

Depuis une minute, j'observe Dimitri taper en rythme des doigts sur le rebord de son ordinateur. Intéressé, je me poste derrière lui et découvre de nombreuses bandes colorées posées sur un fond gris anthracite. Ça, je crois savoir ce que c’est.

Il relève son casque alors que je m’assois à côté de lui.

  • T’es intéressé par la prod’ musicale ? me demande-t-il.
  • Pas directement… enfin ces logiciels m’ont toujours intéressé, mais il me manque une bonne oreille, à mon avis.
  • Ouais… même si c’est pas nécessaire à cent pour cent ! Je ne suis pas un Mozart non plus. Tant que j’arrive à faire sonner les instruments comme je veux, ça me va !
  • Je peux écouter ?
  • Bien sûr, même si le projet que tu vois là est en chantier. Tiens, ça, c’est mon idée pour le refrain, dit-il en me passant le casque.
  • C’est quel genre ?
  • Sur ce morceau, je dirais deep house. Enfin, je fais presque que ça ! Dis-moi ce que t’en penses !

Le morceau n’est certes pas professionnel, mais il possède un groove agréable, avec des notes de piano syncopées. Les basses me chatouillent gentiment les oreilles. Je déplace le curseur de lecture pour me placer sur ce qui ressemble à un break, avec de longues notes planantes. Finalement, Dimitri est plutôt bon ! Jusqu’ici, je le voyais surtout comme une machine à séduire et à baiser, mais cette nouvelle facette m’intrigue. Enfin… j’aurais été bête de croire que le sexe puisse être sa seule passion dans la vie.

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