Chapitre 16

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Écrit en écoutant notamment : T78 x MOTVS – Ohm

Je me laisse guider par la chaleur de sa main, plaquée sur mon cou. Le baiser dure encore de longues secondes ; c’est ensuite son regard satisfait qui vient perturber mes pensées. Plus on s’approche de lui, plus il est attirant. Je perçois aussi une douce odeur de parfum qui m’avait échappé jusqu’à maintenant.

À quelques pas de nous, Kenzo continue à faire des photos. Il nous a évidemment vus, comme le démontre sa moue. Pour lui, rien d’exceptionnel, j’imagine, mais moi, j’ai déjà envie de renouveler l’expérience. Dimitri n’est pas contre et répond à mon baiser avec autant d’intensité qu’à l’instant.

Mon Dieu, je suis en train d’embrasser mon Dimitri, dans le cadre le plus romantique qui soit ! On atteint le summum de ce que mon cœur est capable de supporter.

Je ne sais pas si c’est son expérience dans le métier qui lui a appris à embrasser si bien, mais j’y trouve une volupté totalement inconnue. Ou plutôt se serait-il dirigé vers ce secteur en conséquence ? L’œuf ou la poule ?

  • Dimitri, tu me plais beaucoup trop !

C’est sorti tout seul. D’un côté, je n’ai pas envie de tomber dans le fantasme cliché du mec qui s’éprend de son acteur X préféré, mais maintenant que l’occasion est là, je ne peux pas refuser l’aventure.

  • Merci, tu es très gentil !

Il regarde l’heure sur son téléphone et rajoute :

  • On a le temps de passer à l’hôtel une petite demi-heure avant le rendez-vous pour le restau. Ça te dit ?
  • Ouais !
  • Cool ! Kenzo, ça ne te dérange pas ?
  • Faites, faites… Je vais continuer mon tour le long de la plage.

Nous parlons peu pendant les quinze minutes de marche jusqu’à l’hôtel. La situation est tellement exceptionnelle que je ne dois surtout rien gâcher. Sa silhouette, pourtant svelte, m’impressionne ; je me demande s’il a l’habitude de se livrer en dehors du studio ou s’il y est paradoxalement plus réservé. Une fois la porte de notre auberge de jeunesse franchie, je le suis jusqu’à la chambre qu’il doit partager avec ses amis. Nous sommes heureusement seuls pour continuer ce que nous avons commencé devant Kenzo ; c’est comme cela que j’ai interprété l’invitation de Dimitri.

Je ne me suis pas trompé : il colle son torse fin au mien et ferme les yeux pour m’embrasser. Je doute que ma technique soit optimale, mais je m’efforce de suivre ses mouvements. Il doit se rendre compte que je ne suis pas détendu, mais ne me le fait pas savoir. Je lui laisse la tâche de franchir une à une les étapes de notre intimité ; je manque trop d’expérience pour prendre du recul et pouvoir en plus guider le rythme. J’aurais peur de faire une bêtise, ou au moins un geste qui serait mal interprété.

***

Minsk, 10 septembre 2010, cinq heures du matin.

Les bureaux des services centraux de police de la capitale biélorusse sont déserts. Même le ronronnement des serveurs s’est tu, on pourrait entendre des pas dans une cage d’escalier à l’autre bout de l’immense bâtiment austère. Les néons restent eux allumés, c’est nécessaire pour les caméras de surveillance qui quadrillent les étages.

Après dix ans à occuper les lieux, Daniil les connaît comme sa poche, et notamment les angles morts qui permettent d’opérer plus discrètement. La période actuelle est extrêmement tendue et le moindre renseignement glané vaut de l’or. Il a dormi moins de cinq heures sur les trois derniers jours et s’aide de rails de poudre blanche pour tenir le choc et rester efficace la journée. Malgré tout, il lui arrive de plus en plus de se réveiller en sursaut après que son corps s’est affaissé sur son bureau.

Les élections présidentielles vont se tenir dans neuf jours et l’opposition au président Loukachenko est attaquée de toute part, dans des proportions que Daniil n’avait jamais connues. La semaine passée, le directeur de campagne de la Charte 97, un des groupes d’opposition les plus courageux, a été assassiné chez lui. Évidemment, après avoir envoyé ses sbires sur place, le gouvernement a immédiatement déclaré qu’il s’agissait d’un « simple suicide par pendaison ». Daniil et son groupe de soutien aux oppositions craignent d’autres opérations de police visant à arrêter ou à éliminer les activistes les plus virulents.

Bien que par sécurité, il ne connaisse que peu de membres du réseau, Daniil sait que celui-ci est composé de plusieurs fonctionnaires occupant des postes stratégiques comme le sien, au sein de la police ou des services de renseignements du pays. Ils sont également en lien avec un groupe basé en France, spécialisé dans les cyber-attaques. Les informations que Daniel peut apporter sur le système d’information des forces de l’ordre en lui-même sont donc tout aussi cruciales.

En revenant des toilettes, il tombe nez à nez sur Oleg. C’est un des agents d’entretiens du bâtiment, fidèle au poste depuis que Daniil lui-même est arrivé. Le bonhomme mesure tout au plus un mètre soixante-cinq et sa démarche hésitante laisse peu de doutes sur des problèmes de dos. Son visage, boursouflé par des décennies de consommation d’alcool, est vraiment disgracieux, mais il n’est pas désagréable pour autant, seulement un peu rustre. Cette fois-ci, ses yeux brillent d’une lueur peu inspirante.

Oleg lui demande de le suivre à l’extérieur du bâtiment. Il plante son regard dans les yeux de Daniil :

  • Excusez-moi, mais j’ai un peu fouillé dans vos notes, j’imagine que vous voyez lesquelles.

Daniil sent l’adrénaline couler dans ses veines, jusqu’au bout de ses doigts. Non, Oleg n’a pas pu lui faire ce coup. Pas lui.

  • Comme vous êtes sympathique, je vous propose un marché. 50 millions de roubles et je ne dis rien.
  • C’est votre parole contre la mienne, tente Daniil.
  • Alors pas du tout. Mon dossier est déjà bien fourni. Et par les temps qui courent, de telles informations seraient très… très dommageables pour vous. Vous avez commis plusieurs fautes récemment…

Les informations fusent à toute vitesse dans sa tête. Ce que lui demande Oleg n’équivaut finalement qu’à un mois et demi de son salaire. Mais impossible d'être certain que ce gnome s’arrête à ce début de chantage.

Les dernières semaines, on l’avait déjà informé que l’étau se resserrait autour du réseau suite à de précédentes arrestations. La situation devient vraiment très critique. On ne sait jamais quand les services du gouvernement décideront de frapper, ni avec quelle intensité. On pourrait essayer de le faire parler, ou tout simplement de le mettre hors d'état de nuire. Daniil a envie de se ronger les ongles de stress, mais tâche de se contenir.

Ces dernières années, il a pourtant toujours fait preuve d’une prudence maniaque, indispensable pour passer entre les mailles du filet, et sa méthode est bien rodée. Il faut d’abord s’employer à transcrire les informations depuis les serveurs des bureaux de police : souvent à la main pour plus de sécurité, ce qui ne dispense pas de devoir soigneusement effacer toute trace de navigation informatique. Ensuite, il fait toujours en sorte de conserver les informations sensibles le moins longtemps possible sur lui, avant qu’elles soient transmises à d’autres membres. Leur réseau utilise encore et toujours l’antique technique des boîtes aux lettres mortes. On ne prend même pas le risque d’utiliser les réseaux comme Telegram pour les renseignements en tant que tels. Et… il faut se l’avouer, dissimuler un message dans un piquet creux, qu’on enfonce dans le sol d’un parc à la nuit tombée, est vraiment grisant.

  • Rendez-vous demain à la même heure, ici, vous aurez l’argent, dit Daniil.

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