Chapitre 4

4 minutes de lecture

Écrit en écoutant notamment : Thylacine – 1978

J’ai juste envie d’éteindre et de jeter mon téléphone… ce que je fais. Tant pis si je reste en « vu ».

***

En arrivant au bureau le lendemain, je me demande encore comment mon niveau de motivation abyssal m’a permis de me traîner jusqu’ici. Pour la quinzième fois, je consulte le message de Sarah. Je ne vais pas pouvoir repousser indéfiniment ma réponse… Je n’ai plus aucune envie de me pointer à leur soirée vendredi. L’idée de devoir me justifier sur l’épisode de la veille et avouer cet « échec » me prend déjà la tête.

Je décide de bâcler les diapositives de ma présentation pour me changer passagèrement les idées, sans trop me dépêcher. Comme chaque jour, je suis mécaniquement mes collègues lors des pauses improvisées, mais en restant en retrait ; à quoi cela peut-il encore servir de s’impliquer dans les discussions ? Idem pour la pause de midi, où je feins de devoir terminer un point pour aller simplement me chercher un sandwich plus tard.

Je quitte les lieux à seulement quatre heures de l’après-midi. Qui me le reprochera, maintenant ? Je croise même le regard approbateur de mon manager en quittant l’open space. Comme je le craignais, j’ai reçu non pas un ou deux, mais cinq nouveaux messages de Sarah.

« Martial, je te connais trop bien, je sais que tu me caches quelque chose. »

« Si c’est un vilain garçon qui fait souffrir ton cœur, je te garantis que je le retrouverai et que je lui ferai payer, et ce jusqu’à la treizième génération de sa race ^^ »

Je me borne à répondre qu’effectivement, mon moral n’est pas au plus haut, sans donner d’explications détaillées. Je retrouve un demi-sourire en lisant sa réponse :

« Rendez-vous chez moi à huit heures ce soir. Camarade Martial, c’est un ordre ! »

***

  • Ah d’accord… J’avoue que je ne l’aurais pas mieux pris à ta place. C'est vraiment bâtard de leur part de t'avoir rien dit pendant tout ce temps.
  • Surtout quand t’as vraiment un objectif bien clair… réponds-je.

Sarah vient me faire un câlin que ma fierté accepte sans broncher.

  • C’est pas tout, mais je commence à avoir la dalle. Plutôt pizza ou sushi ? me demande-t-elle en se levant.
  • Euh… je ne sais pas, comme tu veux.
  • Je crois que ça sera pizza alors. T’as les joues encore plus creuses que d’habitude, faut reprendre du gras.

Alors qu’elle va chercher son téléphone pour passer la commande, mes yeux balaient l’appartement. Même si je le connais bien, j’ai l’impression que sa bibliothèque de mangas s’est encore épaissie et que le poster représentant le mont Fuji n’était pas encore là il y a deux semaines. Je ne peux pas non plus m’empêcher de sourire devant les deux longs katanas affûtés accrochés au mur ; je dois avouer qu’ils font leur effet, surtout la première fois qu’on pénètre dans l’appartement.

  • On devrait être livrés dans vingt minutes ! dit-elle en revenant.
  • Parfait, j’avoue que ça va bien faire plaisir.
  • Bon, par rapport à ton travail, je vais en parler à mon père, c’est sûr qu’il a plein de contacts intéressants pour te pistonner. Je te tiendrai au courant, mais pour ce soir, il faut te changer les idées.
  • Euh, c’est-à-dire ?
  • Que j’ai surtout besoin de ton avis sur plusieurs profils de mecs.

Je ne suis pas étonné de voir que la plupart de ses matchs sont des mecs aux origines asiatiques. Le mélange français-japonais en particulier ne me laisse pas non plus insensible ; la combinaison peut se révéler splendide.

23h30.

  • Donc tu viens demain soir chez Antoine et Geoffroy ?
  • Je serai là… pour toi, approuvé-je en lui collant un bisou sur la joue. Surtout si tu m’aides à me sortir de cette situation de merde.
  • Ah oui, je ne sers donc qu’à ça ?
  • Mais non… tu sais bien que…
  • Je te fais marcher, mon petit Martial. Moi aussi, je t’aime, et bien plus que tous ces hétéros qui sont seulement intéressés par mon cul.

***

Le lendemain soir.

« Denfert-Rochereau. » dit la voix du RER.

Je quitte la station et passe acheter quelques victuailles avant de rejoindre l’appartement de mes potes. Heureusement que Sarah a réussi à me faire relativiser la situation…

C’est elle qui vient m’ouvrir lorsque je frappe à la porte de l’appartement. Je vais ensuite checker les propriétaires – enfin locataires – des lieux et je fais poliment la bise aux deux filles que je ne connais pas et qu’on me présente.

Sarah m’attrape par l’épaule et m’entraîne vers la cuisine.

  • Chose promise, chose due ! J’ai trouvé une petite boîte dynamique qui a bien besoin d’un mec comme toi.
  • Trop cool ! Je t’écoute !
  • Alors j’ai pas tous les détails, mais ça a l’air super varié, genre t’aurais du développement web, des bases clients, de l’intelligence artificielle... Ils sont à Nantes, ça s’appelle « Brittany Twinks Studios ». Ils galèrent à trouver quelqu’un, donc c’est une occasion en or. Et avant que tu me prennes pour une folle, j’ai eu le contact grâce à des potes, pas via mon père !

Hein ? Elle est sérieuse ?

  • Euh… c’est bien… ce à quoi je pense ?
  • Exactement ! Tu connais ?
  • Non, mais je ne suis pas certain de vouloir travailler pour un studio de films gays.
  • Fais pas genre ! Tu…
  • Eh, Sarah, Martial, vous venez faire un jeu avec nous ? crie Antoine depuis la pièce principale.

Nous revenons vers eux et je reconnais sur la table un jeu du palmier, avec des cartes à jouer disposées en vrac autour d’un cadavre de Corona.

  • Allez, à toi l’honneur, Martial ! lance Antoine.
  • Euh oui… donc je prends une carte au hasard, c’est ça ?
  • Yes ! … Il a l’air timide, dit-il en me désignant aux deux filles, mais si vous saviez ce que le boug a fait comme dinguerie au lycée… Je ne me lasserai jamais de cette histoire.
  • En effet, en effet.

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