Chapitre 2

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Écrit en écoutant notamment : Cash Cash – I Like It Loud

Comme d’habitude, une petite décharge d’adrénaline me traverse au moment de cliquer sur le bouton « Jouer ». Je n’ai ensuite qu’à attendre quelques secondes pour être apparié à un joueur de mon niveau, cette fois-ci un certain Ivan2007.

Le drapeau biélorusse miniature affiché à côté de son pseudo m’informe qu’il est connecté depuis ce pays. Je m’amuse souvent à essayer de me représenter le joueur auquel je fais face : là probablement un ado de quinze ans comme suggéré par la date, et que j’imagine comme moi devant son PC. En tout cas, hors de question que je me laisse battre par ce jeune blanc-bec. Je lance un de mes morceaux favoris, I Like It Loud du groupe Cash Cash. Les poils de mes bras se dressent sous l’effet des gros coups de caisse claire de la première montée.

J’ai les pièces blanches, ce qui me donne l’honneur de commencer la partie. Je choisis le système de Londres, un enchaînement de quelques coups assez prévisibles mais qui garantit une position stable. En face de moi, l’inconnu avance soudainement un pion du bord de deux cases ; la manœuvre est inhabituelle, mais je ne panique pas. Nous jouons dans une cadence blitz, ainsi nos pendules affichent encore chacune environ deux minutes et quarante-cinq secondes sur les trois initiales.

Je poursuis dans un schéma relativement simple et profite de plusieurs imprécisions de mon adversaire pour prendre un léger ascendant. Lorsque j’ai deux pions d’avance, je décide de forcer le plus possible l’échange de toutes nos pièces : une méthode peu spectaculaire mais très rationnelle que je maîtrise bien. Et en effet, une fois le plateau nettoyé des cavaliers, fous, tours et dames, je n’ai plus qu’à accompagner tranquillement mes pions supplémentaires vers la dernière ligne de l’échiquier. Voyant que ceux-ci se transformeront inévitablement en nouvelles dames, mon opposant décide d’abandonner.

Je joue encore une dizaine de parties, alternant de manière équilibrée entres victoires, défaites et matchs nuls, sans véritablement progresser dans mon classement. Déjà vingt-deux heures, il serait peut-être temps de manger quelque chose.

Évidemment, j’ai eu la flemme de faire des courses, et ni mes placards ni mon frigo ne se sont remplis par une intervention divine. Je suis bon pour soit manger des pâtes nature, soit crever la dalle jusqu’au lendemain ! Devant ces deux options aussi peu alléchantes l’une que l’autre, je préfère ressortir mon bouquin préféré, celui qui compile les « 100 parties du XXe siècle à connaître » et me plonger dans les archives des grands tournois des années 1970.

Un quart d’heure plus tard, j’attrape mon téléphone et affiche la discussion avec mes potes. L’un d’entre eux feint de demander l’autorisation de ramener une fille à la coloc pour la soirée, soi-disant juste une connaissance « très sympathique », mon œil ! Alors que j’allais éteindre mon téléphone pour reprendre une des parties de la finale du championnat du monde 1972 entre Fischer et Spassky, un petit bandeau apparaît pour me dire que j’ai été mentionné dans la conversation.

« Alors @Martial, tu ne nous ramènes pas un de tes « potes » non plus ? Ou alors tu préfères peut-être les chercher directement en boîte ? »

J’envisage plusieurs débuts de réponse, soit trop niais soit trop craignos, que je finis par effacer à chaque fois. Faut bien que je participe à la conversation, sinon ils vont bientôt finir par m’oublier. Enfin… plus facile à dire qu’à faire quand on n’est pas comme eux, à se trouver une nouvelle cible toutes les deux semaines. Parfois, on ne vit vraiment pas dans le même monde.

Heureusement, Sarah vient m’offrir un peu de répit en relançant par rapport aux courses nécessaires pour préparer les différents cocktails prévus. Juste après, je reçois un message d’elle en privé :

« Tu pourras toujours leur parler de ton date d’il y a un mois, même si ça ne s’est pas fini comme tu aurais voulu :) Ça les occupera pour un moment, il était loin d’être moche en plus. »

Loin d’être moche, c’est sûr ! Trop loin d’être moche pour moi, même.

Sarah avait enfin réussi à me convaincre de me constituer un profil Tinder ; on avait même fait un shooting en règle. Les photos étaient carrément engageantes, mais encore faut-il savoir se montrer à la hauteur en réel.

J’avais proposé à mon match le parc de Sceaux pour se voir un samedi après-midi, idéal avec le soleil radieux qui était annoncé. Bilan de l’opération : alors que j’avais appliqué au mieux tous les conseils de Sarah, le château et ses jardins l’avaient bien plus intéressé que ma pauvre personne. Pas la moindre idée de quoi raconter pour rivaliser avec l’édifice construit au XIXe siècle par le duc de Trévise.

Un orage de chaleur inattendu avait achevé cet après-midi assez calamiteux. Évidemment, je n’avais même pas essayé de le recontacter le lendemain.

***

Dimitri – I

  • Tu penses pas que tu devrais t’y consacrer à plein temps ?
  • Hmm, non, pas pour l’instant, répond Dimitri. Je préfère continuer la fac en même temps, au moins jusqu’à ma licence.
  • Ou au moins te mettre à ton compte ? Tu gagnerais plus ! Là, ça craint un peu.
  • Peut-être plus tard… pour l’instant ça me plaît comme ça. Allez, on a quelques photos à faire ! Et puis tu vois, j’ai accès à du matériel de pro, dit-il en ajustant la position du cadre néon.

Son ami file derrière l’objectif alors qu’il a déjà écarté sa chemise de quelques centimètres, allongé sur le lit. Il place son index sur ses lèvres pour se donner un style séducteur et inaccessible.

À chaque fois, l’obturateur émet plusieurs claquements secs, puis Dimitri modifie en un clin d’œil un détail de sa pose. Une cinquantaine de clichés plus tard, il se redresse en tombant la chemise pour des poses plus athlétiques. Avec un sourire, il déboucle sa ceinture et laisse glisser son pantalon de quelques centimètres sous le niveau de la taille. Il sait que ça renforce l’aspect galbé et rebondi de ses fesses, rien de plus vendeur ! Pareil pour l’avant de son corps et en particulier le haut de sa toison claire, qu’il entretient avec soin.

Il remarque que les joues de son ami ont déjà rougi et que la bosse sous son pantalon prend plus de place qu’il y a quelques minutes.

  • Allez, on choisit les meilleures, on poste ça, et après on s’amuse tous les deux !

***

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