Chapitre 1 (1/2)

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An 3096 après La Guerre des Peuples

Je regardais par la fenêtre de ma chambre située au deuxième étage de cette maison de bois ayant autrefois appartenu à mes parents, l’air indifférente. Nous étions le matin. Les rayons lumineux filtraient par la vitre à laquelle j’étais accoudé. Je regardais les nuages passés lentement devant mes yeux vitreux. J’avais quinze ans aujourd’hui et cela ne me réjouissait pas car demain, j’aurais perdu le peu de liberté qu’il me restait.

Mon mariage était prévu pour le lendemain. Je connaissais mon futur marié, il n’était pas méchant, je ne le détestais pas, mais je ne l’aimais pas non plus. Je soupirais bruyamment sans que personne ne puisse m’entendre. Ma grande sœur et sa famille n’étaient pas à la maison. Les enfants étaient à l’école en train d’apprendre nos règles de vie et les parents étaient partis travailler aux champs en bas de la montagne sur laquelle était perché le village. J’étais la dernière de mes frères et sœurs encore célibataires et demain je devrais partir, quitter tout ce que j’avais connu jusqu’alors.

Je ne voulais pas me marier. Je voulais pouvoir voyager, sortir de ce maudit village et voir le monde. Je voulais apprendre des choses que personne ici n’était capable de m’expliquer. À quoi ressemblait l’océan ? Comment vivaient les gens de l’extérieur ? Vénéraient-ils les mêmes Dieux qu’ici ?

J’avais l’impression que le monde m’appelait. Pourtant, depuis quinze ans, je n’avais pas bougé. J’avais fort probablement trop peur des possibles dangers au-delà des montagnes. On nous avait toujours dit que le reste du monde était dangereux, en proie à une guerre constante et dévastatrice contre des Envahisseurs venus des Cieux. Les gens là-bas étaient soi-disant triste, pauvre et au bord de la mort. C’était censé nous convaincre de rester au village mais je ne voyais pas en quoi cela était censé me dissuader de vouloir partir. Nous étions pareils ici, ou du moins, c’était ce que je ressentais au fond de mon cœur, même si je ne le disais pas. Personne ne comprendrait de toute façon. Je ne croyais d’ailleurs plus vraiment aux Dieux-Dragons, ou en tout cas, j’étais moins extrémiste que la majorité du village. Ils étaient supposés veiller à notre bien-être et nous punir quand nous commettions un péché. Je me demandais souvent comment des Dieux soucieux de notre santé auraient pu nous jeter une malédiction pareille. Quel crime dans notre passé aurait pu justifier un tel châtiment ?

Dans mon village, malgré ma jolie peau douce, malgré ma fougue et mon énergie, j’étais considéré comme vieille. En effet, nous ne vivions en moyenne pas plus de vingt-cinq ans et très rare étaient ceux ayant atteint trente ans dans notre histoire. Nous mourrions d’un mal qui nous était inconnu, apparemment apporté par les Dieux-Dragons pour nous punir. Tel était notre malédiction. Tel était mon destin. C’est pour cette raison que je ne me souvenais pas vraiment de mes parents. J’avais cinq ans à l’époque et mes souvenirs de ce temps-là s’évaporèrent en grande partie en grandissant. C’est une de mes grandes sœurs qui m’avait élevé. C’était très courant chez nous. Au village, dès les premiers symptômes annonçant notre déchéance, les habitants préféraient se donner la mort plutôt que de s’éteindre à petit feu en proie à la souffrance.

Je n’avais jamais vu une seule personne du village mourir de vieillesse. D’après les anciens écrits, c’était le cas il y a bien longtemps mais je ne pourrais pas dire à quoi cela ressemblait. À quoi pouvait bien ressembler une vieille personne d’ailleurs ? Mourrait-elle aussi dans la souffrance, faible et malade ? En ce qui concernait notre sort, d’après les horreurs qui se racontaient à ce sujet, je ne voulais pas finir ainsi et je comprenais ces gens qui se suicidaient à l’arrivée des premiers symptômes, même si je trouvais cela aussi bien trop facile. Pourquoi se contentaient-ils d’un ``C’est le choix des Dieux-Dragons’’ au lieu d’essayer de comprendre ce qui se passait réellement ? J’étais prête à croire que cela était l’œuvre des Dieux mais seulement quand on m’aura prouvé par les faits que cela n’était pas dû à autres choses. Malheureusement, personne ne semblait aller dans mon sens.

Plus rien ne me retenait ici en somme. Je pouvais bien recevoir la punition des Dieux-Dragons ou mourir tuer par des pauvres gens de l’extérieur en quête d’un peu d’argent pour vivre, je m’en moquais à présent car dans tous les cas, j’avais l’impression que demain signifierait ma mort. La mort de celle que j’avais toujours été et celle de mes rêves.

Aujourd’hui, je ne travaillais pas. On m’avait donné un jour de congé pour fêter mon anniversaire mais je n’arrivais pas à en profiter. Travailler m’aurais permis de penser à rien mais en même temps, cela me faisait du bien de me retrouver seule pour une fois. Loin des cris stridents des enfants et des pleurs de ceux-ci.

Je me levais doucement et retirais ma chemise de nuit d’un blanc immaculé pour me vêtir des habits ternes que je mettais pour aller travailler la terre. Vêtu simplement d’un pantalon droit et ample, serré à la taille par une corde, et d’une chemise à manches longues qui avait autrefois été blanche, je me dirigeai vers la salle d’eau. Après avoir coiffé mes longs cheveux blond platine avec la brosse de ma grande sœur, je me mis à regarder fixement l’outil dans ma main droite. Je décidai alors que j’allais la prendre en souvenir avec moi car j’avais bien peur que mon village puisse me manquer quand même un peu. De plus, je n’emportais rien de superflu à part cela et ce ne serait pas lourd à transporter en plus des vivres volés à la réserve durant ces dernières semaines. Je n’avais jamais eus connaissance de quelqu’un ayant fui le village mais il y avait une première à tout. Ou bien cela avait juste été occulté par la famille régente.

Ce soir-là, j’allais disparaître. Les mythes et les peurs ancestrales de mon clan ne me reteindraient pas. Tout le monde les prenait pour la seule vérité, je voulais voir leur véracité de mes propres yeux et si les Dieux-Dragons allaient me tuer parce que je n’avais pas respecté leur volonté de rester au village. Quand j’avais pris conscience de l’imminence de mon mariage et que celui-là ne pourrait pas être évité, mes peurs insensées des gens de l’extérieur s’étaient volatilisées et j’avais réellement décidé de partir. Je ne pourrais sûrement jamais revenir mais c’était le prix que je devais payer pour ma liberté. Aux frontières du village, il n’y avait pas de barrière nous enfermant, c’était l’avantage de vivre dans une communauté pieuse qui s’excluait d’elle-même je supposai.

Durant la journée, j’errais dans le village, exhortant mon cerveau pour qu’il retienne chaque maison, chaque rue de terre tassée et chaque habitant avec qui j’avais vécu et que je ne reverrais plus jamais. Je partais certes mais je ne voulais pas oublier d’où je venais. C’était plus difficile que je ne l’aurais cru, on se ressemblait tous ici. Nous avions tous les cheveux en nuances de blond plus ou moins clairs, nos yeux étaient majoritairement tous hérérochromique ainsi que clairs et nous étions tous habillé de couleurs claires ou grisâtre. Le noir étant associé à la mer éternelle dans laquelle les âmes des pêcheurs venaient se noyer pour l’éternité dans les écrits sacrés, cette couleur avait été bannie de notre penderie avec toutes les couleurs trop sombres pouvant s’en rapprocher trop grandement.

La journée passa vite. Ma sœur et son mari finirent par revenir à la maison avec leurs trois enfants. Je m’étais assoupi en milieu d’après-midi, m’étant dit judicieusement qu’il me faudrait des forces pour traverser la forêt qui s’étendait après les dernières cultures. Ce fut la voix de ma sœur qui me réveilla.

- Keenat ! Il y a quelqu’un pour toi à l’entrée! s’exclama-t-elle joyeusement.

Je me doutais bien de l’identité de la personne qui m’attendait à la porte. Ma sœur se réjouissait de mon futur mariage bien plus que moi. Je poussai un râle de mécontentement et me sortit du lit moelleux, que je regretterais sûrement beaucoup une fois partis, quand je devrais dormir à même le sol ou dans un arbre. Et puis, après lui, ma famille me manquerait peut-être un peu, même si nous n’étions plus vraiment en bon terme. J’avais deux grands frères et deux grandes sœurs en comptant celle qui s’occupait de moi en ce moment. Mes frères ne nous parlaient plus trop depuis qu’ils avaient fondé une famille et étaient partis de la maison. Sûrement étaient-ils trop occupés à faire grandir le poil qu’ils avaient dans leur main pour venir visiter leur écervelé de petite sœur. En ce qui concernait ma deuxième sœur, son mari lui avait interdit de venir nous voir sous prétexte que j’avais une mauvaise influence sur elle. C’était très ironique comme situation vu que je pensais exactement la même chose de lui vis-à-vis d’elle. Enfin, il y avait Ivona, ma plus grande sœur, celle qui nous avait tous élevé après la mort de nos parents. C’était la personne qui me manquerait le plus je crois mais c’était quand même elle qui avait organisé mon mariage dans mon dos alors qu’elle savait très bien que j’étais contre cette idée et je lui en voulais toujours pour cela. Même en sachant que je n’assisterai pas à ma propre cérémonie prévue pour le lendemain.

Ayant dormi habillé, je me levai sans me soucier de mes vêtements froissés et descendis les escaliers de manière nonchalante. Sur le seuil de la porte, je vis Ian, debout. Il avait l’air gêné et ne savait pas où mettre ses mains. Avant de devenir mon futur mari par la force, il était ce qui se rapprochait le plus d’un ami pour moi. Cependant, depuis la crise que j’avais faite à ma sœur quand j’avais appris qu’elle nous avait fiancés, je n’arrivais plus à lui parler normalement. Je pris la parole en premier, un sourire gêné sur les lèvres.

- Salut.

- S…Salut Keenat. Joyeux Anniversaire.

Sa voix dérailla sur les premiers sons qu’il émit. Il devait vraiment être stressé pour le mariage. Mariage contre lequel il n’avait pas du tout protesté m’avait dit Ivona.

- Merci.

- Ça…ça va bien ? Tu sais, pour demain ?

Je m’efforçais de paraître contente dans la résignation. Je ne voulais pas éveiller des soupçons maintenant.

- Oui, pourquoi ? On est ami et je préfère t’épouser toi plutôt qu’un inconnu.

- Ouais…moi aussi… bafouilla-t-il, les joues devenues cramoisies, une main dans les cheveux sûrement pour essayer d’éclipser son visage de ma vue ou dans une veine tentative de se calmer, au choix.

Le pire était que ce que je venais de dire était vrai. Je le préférais à une personne que je ne connaissais pas mais en même temps, c’était justement parce qu’il était mon seul ami, que je ne voulais pas me marier à lui. La complicité entre deux amis était totalement différente de celle entre deux amants et je ne voulais pas perdre cette amitié en sachant pertinemment que je n’aurai jamais le second car j’avais beau m’imaginer dans ces bras, cela me paraissait toujours faux et plus gênant qu’autre chose. Et même si notre amitié perdurait en étant vingt-quatre heures sur vingt-quatre ensembles, que ce soit au travail ou à la maison, le fait d’être obligée de lui donner deux enfants minimums avant mes vingt ans, pour assurer la génération suivante comme il avait été écrit lorsque la loi avait été soi-disant votée, finissais de me convaincre que ce mariage détruirait notre amitié.

J’en étais arrivé à la conclusion que ma place n’était pas ici. Raison pour laquelle je devais partir, maintenant ou jamais. D’autant plus qu’il venait d’une famille de scribes alors que la mienne était agricultrice. Lors du mariage, la femme prenait la profession de son mari et je deviendrais scribe également. Je n’aurais alors plus accès aux champs. Il n’y avait pas de barricade autour du village mais cela ne voulait pas dire que nous n’avions pas des gardes qui nous autorisaient, seulement sur raison valable ou grâce à un passe d’agriculteur, à descendre sur la forêt et les champs cultivables. Ils n’avaient jamais eu besoin d’user de leurs talents pour nous défendre mais au cas où, la position avait été maintenu et servait juste pour les conflits internes. Autant dire qu’ils n’apprécieraient pas si je leur communiquais mon envie de partir.

- Keenat, tu m’aides à faire le repas ? annonça alors ma sœur, m’extirpant de mes pensées.

- Mais c’est mon anniversaire.

Ma voix se fit traînante, pour intensifier le fait que cela m’ennuyait.

- Je sais mais pense que dès demain, c’est toi qui devras cuisiner et t’occuper de la maison chez Ian. Je me demande d’ailleurs maintenant si je t’ai vraiment bien préparé pour cela. J’aurai dû plus insister sur tes devoirs en tant que femme quand tu étais petite.

Je savais qu’elle avait raison, que selon les traditions j’aurais dû apprendre à cuisiner et à entretenir une maison pour le bien-être de mon très cher futur mari qui lui, ne bougerait pas le petit doigt. Mais cela ne m’avait jamais intéressé et partait de l’hypothèse que je resterais au village toute ma vie. Je trouvais d’ailleurs la situation assez inégale. D’après les textes sacrés, il y a fort longtemps, c’était les vices d’une femme qui avait mené à la création de la mer éternelle. C’était depuis lors que la faune et la flore s’étaient retourné contre les humains, que la terre s’était mise à trembler, que les océans s’étaient agités et enfin que les cieux s’étaient mise à gronder. Ainsi, les hommes étaient censés surveiller les femmes pour que celles-ci ne commettent pas plus d’impair qui pourrait conduire la mer éternelle à inonder le monde et annihiler l’humanité. Je doutais. Cela s’était-il réellement passé ainsi ? Et puis, même si cette femme avait mal agi, en quoi cela me concernait-il ? Je n’étais pas elle, je n’avais pas besoin de me soumettre à un mari parce qu’une seule femme avait mal agi.

- Keenat ? Tu viens ? Arrête de rêver du monde extérieur. Nous sommes bien mieux ici.

Je ne lui répondis pas et me plaçai à côté d’elle devant le plan de cuisine. Elle ne comprendrait jamais mon point de vue. Nos parents lui avaient bien lavé le cerveau. Ou bien était-ce son mari que je voyais du coin de l’œil vautré dans un canapé en train de somnoler. C’était certain que la vie était belle pour une femme dans ce village !

- Viens t’asseoir aussi Ian. Une personne de plus n’est pas un problème et tu pourras goûter la merveilleuse cuisine de ta femme en avant-première. Aller. Assis.

Ian se laissa commander et s’assit en silence à la table qui se trouvait derrière moi. Ils voulaient goûter à ma cuisine et bien pour le coup, ils seraient servis. Un sourire en coin naquit sur mes lèvres. Pour cette dernière soirée ensemble, je décidai de leur laisser un souvenir inoubliable de moi.

- Laisse-moi faire grande sœur. Reposes-toi. Ce soir, je cuisine, seule.

- Tu en es sûr ?

- Parfaitement.

Elle me laissa les commandes, dubitative, et alors qu’elle s’éloignait pendant que les enfants se mettaient à harceler Ian pour qu’il vienne jouer avec eux, je m’amusais moi-même de ce que j’allais préparer.

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