Le Premier Roi

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 « Carilia. »

 Il était assis au bas de son trône, surveillant l’horloge. Ses yeux semblait l’avoir capturé, et capturé, l’horloge avait pris l’œil et l’enfermait. C’était une amie à la trahison inconcevable… Le roi ne lui tournait pas le dos. Un collier à son cou se perdait dans des robes ondulantes comme un air brulant. Il se balançait, tournant en cercle concentrique sous sa tête, englouti, rejeté, englouti par le vêtement, et voracement engloutissait la lumière. Les Soleils pendues à ses murs fatiguaient dans un effort perdu. En leur cœur, les détonations accéléraient, jetant les molécules contre l’une l’autre en de grand fracas de jour. Le roi dévorait. Ils pestaient de l’arrogance de l’être. Sa chair les imitait palement. Ah, il y avait un incendie en lui mais eux, eux possédait l’infernale sur la peau. Et dessous, loin dessous les veines de magma, là où le feu arpente sa propre création, respirait un paradis des enfers. Ils redoublèrent de ruptures et ne chagrinèrent pas de leurs cœurs cassés tandis que cassaient les persiennes de verres. Et les orbes éclatèrent. Et tombaient sur le roi le poids des poussières suant les titans dans une goutte. L’air, combustible dévoré sur un bronze mou d’enfer qui tanguait en mer bouillante en cuisant la chair d’une tour tombante. L’air suffoquait. Tout ploie, tout craque sous quatre immensités. Les murs brament et enfantent des pluies de pierres fondantes. Une cicatrice rompt l’air devant le roi et s’effondre sur lui, suivis des carnages écarlates révélant dans leur cramoisi incarnat le cartilage carmin de l’arche veinés d’orgies criantes. Et criaient les Soleil en fondant de leur canicule sur le trône, cuisant la couronne et enfin embrassant d’une masse embrasée le Premier Roi. Cendre du corps de l’Argen- !

 Ses doigts se scellèrent en un poing, soufflant les astres d’un mouvement. Le silence alors semblait défaire le chaos, le rendant chimérique. Il ne pouvait y avoir eu de Soleil, pas ces cris, ce vacarme, pas avec un silence comme ça. C’était impossible. Impensable, je vous dis ! Hallucination, Oui ! Voilà, un jeu de lumière. Juste un couchant effrayant. Les Soleils sont en train de dormir. C’est tout ! Fou…

 Fou. Cette obscurité est folle.

 Et l’immensité de ce qui se cache dans ces ombres craque le ciel et doit bien me regarder de l’œil dont seul me protègent les nuages, et quand ils s’ouvrent… Le néant respirait…

 La nué passe, la nué passe ! J’ai eu l’orgueil de voir et me voilà vu par l’horizon éveillé. Il est roi Argenté, et du fond de son sommeil il me vit avant que vue soit faites ou le premier mot prononcé. Et il fut le premier à déclamer au sein de la caverne : « Amonantzias ». Son nom, et dans le son du mot naissait le vacarme. Et le vacarme était incessant. Aujourd’hui, dans cette obscurité qui n’a laissé trace de l’univers, je retrouve le silence et un temps avant que naisse le temps. Je-

 « Je suis né avant que le temps ne naisse. Dans une caverne à la fin de l’horizon, je me suis nommé Amonantzias. J’étais le Premier Roi, à jamais le dernier. »

 Le monarque était assis sur son trône fondu, a ses pieds Carilia, de son corps la lumière. Elle emplissait lentement l’espace, poussant avec douceur les ombres dociles.

 « Carilia, Tahilio, il ne manque à l’horloge qu’un cœur. »

 Une veine solitaire vint se coucher à ses pieds, au côté de sa sœur.

 « Comment parler ? »

 Ses damnés semblaient sereins. Une statue, Carilia, et je la regardais. S’il y avait un visage, il porterait ses yeux fermés, les lèvres doucement entrouvertes. Le souffle calme. Elle expirait avec légèreté. J’aurais pu y placer une plume. Et sur une étendue d’air longue d’une bouche, plus basse encore qu’un nez, flotterait un petit morceau de blanc.

 « Mon peuple ne savait pas parler que déjà il me demanda mon nom. Et avec, le nom de celui qui me nomma. Et pendant seize jours et seize nuits, je contais. Ils buvaient mes silences pour étancher la soif, de mes mots ils y avaient un festin pour les ventres repus et le Sommeil même était assis parmi eux. Pendu à ma gorge. Si vivace en mon âme, le souvenir vivait dehors. Et bientôt, mon peuple avait ma mémoire. Et chacun avais vécu dans la caverne. Pourrais-je à nouveau faire si long discours ? Si passionnante parole gouterait-elle encore mes lèvres gercées ? J’ouvre la bouche tel un vieux crapaud, la bave attache mes dents et mes lettres s’y coincent comme sur un filet, seul un râle traverse ! Qui donc ma trahi ? Est-ce toi langue pâteuse qui se débat de mes mots ? Et toi, mot, pourquoi si pauvre ? Tu foisonnais de majesté sans abuser de sens indigne de tes sons. Ouvre d’une détonation, d’un mot de canon, d’un murmure qui porte l’artillerie aux lèvres ; et dans le son de ta présence qui se fracasse dans les faibles esprits de ton entourage, engouffre tes mots et craquent le monde sur ton verbe ! Ah, voilà mes mots ! Ce n’était pas toujours l’hurlement d’un cor de guerre, parfois une danse, parfois musique, souvent silence. Le vulgaire même avait la superbe... Tu vivais plus que les animaux, plus que mon peuple ! Mot, ma plus grande création, par toi je t’ai fait, et me suis amené à être. Alors, pourquoi ne viens-tu pas ? Tu ne réponds plus ? Je te cherche… Je cherche tes anciens prodiges… Y a-t-il un puits au fond de la gorge où l’on pèche les mots, et ai-je trop péché ? Faites descendre un fil, un long fil, long, long comme un cheveu de Lune. Et racle. Et racle. Et racle ! Et Racle ! ET RACLE ! L’eau est croupie. Peut-être pas de puits… D’où est venu le mot ? Ah. Plus profond encore. D’un lieu que même la Lune ne peut toucher. Mots, de belles feuilles. Langue, un beau vent. Les souvenirs creusaient la terre… Langue, je te pardonne. Mot, je te pardonne. La mémoire m’a trahi »

 Ses damnés semblaient sereins. Une ruine, Tahilio, et je le regardais. La veine n’était plus possédée par un carnage. Un peu de rouge coulait silencieusement d’une fente, une porte laissé entrebâiller dans son flanc. La tête était posée dans le lit de sang. Et venait s’y reposer calmement le long fil de vie. A la surface, pas un remous.

 « Ils vivaient. Mes souvenirs vivaient. La caverne, je pouvais encore la voir me murer, les ombres me jouaient le monde et le monde étais faux, le monde n’était pas ! Alors je me suis nommé, et d’un mot j’ai décrit ce qui fut ! J’avais d’un mot fait débuter le vacarme, fait rouler la terre comme une vague, d’un miroir j’ai fait la mer et peint le ciel avec son bleu pour que partout j’ai deux miroirs dans lequel me regarder ! J’étais Amonantzias ! Ténèbres ! M’entendez-vous ? J’étais celui qui vous fit ! J’étais Amona… Pourquoi ne vous écartez-vous pas à mon mot ?! J’ét… Je suis Amonantzias ! Ténèbres ! La mémoire m’a trahie ! J’ai perdu la caverne… ! Seize nuits et seize jours réduits à trois pauvres phrases ! Comment parler ? »

 Amonantzias étais assis sur un siège au centre d’un jour qui ne remplissais pas la nuit. A ses pieds, il n’entendait rien.

 « Et je ne jouerais pas mes titres, mes rôles dont ma nature n’était pas de jouer. Il était que le roi couronne n’avait-pas, toujours nulle couronne et roi était-il. Aujourd’hui, j’adjoins ma tête à des fleurs de métal, et le roi n’est pas ! Pas plus mes sciences et mes magies ne reviennent à la vue de mes livres. Et les livres ont appris de moi ! Où est donc le monde ? Où sont les maisons qui se pendaient aux nuages par leur cheminés ? Et l’or qui roulait sous le vent de la vallée ? Où est la pluie sur les mariages et dessous les mariés qui dansent ? Où est la mer, et sur la plage le repos ? Où est mon trône, mon fils et l’hubris ? Où sont les années et les enfants qu’elles m’ont prises ? Et où s’entombe mes souvenirs ? Et les visages qui tombent sous l’horizon ? Où est le monde ? Comment parler ? »

 Ce n’était pas dans son rôle de pleurer, et Amonantzias joua son rôle. A sa ceinture, une fiole sanglotait.

 « Et de toutes ces pensées, il n’en reste qu’une que je peux encore décrire. Carilia, Tahilio, j’ai longtemps repoussé ce jour. Ce cœur, toujours était-il là. Toujours, j’attendais le temps qui n’était pas encore, me réfugiant dans celui qui me fuyait. Seize cœurs. Il devait être garanti. Si facile à extraire. Mais cette pensée terrible… Carilia, Tahilio, j’ai peur… Car ma fille, tu es la seule que je n’ai faite. J’ai fait le monde, et il me donna la seule chose que je n’ai créée. Et si, du cœur que j’ai instruit des enfants des mondes, ma fille n’était pas ? Si j’échouais à te faire comme le monde t’avais faite ? Si- »

 Si ?

 « Si- »

 Si ?!

 « Si… »

 Sa main ridée alla tâtonner sa ceinture. Lentement, il trouva la fiole. Un temps. Pas même une seconde mais un temps, puis il la tira et la porta à ses yeux. Ses yeux s’attardèrent, enfin il regarda. La fiole était pleine.



Ainsi vit le Rat en passant.

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