L'arbre

9 minutes de lecture

J’avais dans l’idée de fuir. Et puis…

 …le Premier Roi se tenait dans une lumière faible, pas plus de trois soleils, et pas moins que l’Univers semblait se presser autour de tout son rien. La fiole tournait dans ses mains, et bien que son désir fût d’en répandre le contenu sur le sol, il avait entendu les veines crier. Il n’était pas impossible que Tahilio soit incapable maintenant d’ajouter son cœur à l’horloge. Il aurait à le faire lui-même. Il le pouvait. Cela prendrait plus de temps mais il serait certain de la fin. Que dit Tahilio ?

 « Tahilio. Fonctionnes-tu ? »

 Une veine solitaire tomba devant lui. Elle s’égouttait de plusieurs blessures dans son corps. Avec effort, elle se courba en sa direction et contracta son métal. Les fentes se refermèrent et le sang cessa, reprenant sa forme un instant, rien qu’un instant, ce ne pouvait être moins, il n’y avait pas encore de mot pour décrire ce qui précède l’instant. Il fonctionnait à peine, volonté seulement et à la volonté, l’Argenté faisait confiance, au corps moins. Il lui tendit la fiole et lui dit :

 « Tahilio, à toi qui a bâtit mes cités je donne mon cœur. Ce n’est pas une pierre mais tout un monument, le dernier d’un Roi, le premier d’un père. Donne-le à l’horloge, et laisse au temps les œuvres éternelles des êtres, laisse au temps les cœurs et les vies. L’horloge tirera ma fille de la mémoire du monde. Je l’ai ainsi ordonné. Carilia, tu me l’apporteras une nuit, je veux qu’elle naisse sous la Lune. »

 Amonantzias sort.

 Dans la salle du trône, une veine parle au cauchemar. Ils peuvent accomplir la volonté de leur Roi ; il le sait, elle le sait. Ils peuvent donner vie, à sa fille, à une fille qui n’a jamais vu la vie ; il le sait, elle le sait. Et peut-être que cette nuit aura un lendemain, que le jour roulera comme une vague dans le ciel et fera revenir les années ; et passera peut-être le vacarme pour laisser place à la mélodie du temps. Il ne le sait pas. Elle ne le sait pas.

 Ils se regardent un instant, ne sachant où est l’autre, ils se regardent de même ; et lentement, comme pour savourer ou pour se donner le temps de s’arrêter, Tahilio enfoui le cœur de son roi sous son trône et se rempli de sang infect, d’un sang de rébellion.

 Le Premier Roi n’est pas dans l’escalier. On entend pourtant quelqu’un marcher mais d’en haut ou du palier, le pas reste le même. Le claquement est essoufflé et s’approche et n’apparait pas. Il fera bien son entré. Attendons devant l’arbre.

 Les feuilles sont belles cette nuit. Sur le sol comme sur les branches, elles allument l’obscurité d’Août et de Juin, d’un vert d’herbe de matin. Il y a un crépuscule dans cette salle qui à sucé du Soleil toute sa lumière, un éclat fantôme qui, diffus, se diffuse et s’éteint. Bien peu d’écorces restent sur l’arbre. Mais on peut encore voir de petites bestioles, chitinés et d’un bleu de ciel dormant, se balader entre les crevasses, nichées dans les digues de sèves avec de petites, petites bestioles sur leurs dos. Combien de ces vivants ? Un chiffre ne dirait rien, des nuages, voilà leur nombre, des nuages de ciel errant ; un petit voyage colossal dans un monde dépouillé et creux. Parfois, une de ces créatures s’arrête, les petits petits alors se déplacent sur une autre et laisse leur compagnon derrière eux. Il reste quelques instants accroché à l’arbre, regardant le nuage le quitter. Ils passent sous une crevasse et il est désormais seul. Il est rare d’être aussi seul. Ses pattes se contractent, son corps s’enroule, il devient une boule, une minuscule bille. Et il lâche l’arbre. La créature dégringole les courbes du tronc, et du creux de l’arbre il atterrit au creux de ma main. Il tombe au sol où s’étend entre les feuilles toute une mer de bille bleu. Combien de ces morts ? Pas de ce chiffre. Et tandis que les Petites Bleues continuent leur voyage, un autre touche à sa fin.

 Son souffle arriva avant son corps. Il y eu comme un vieux vent dans la salle qui ne balayais rien, remuais le sol seulement. Son pied s’y posa, dans un monde qui muais, et devant l’arbre silencieux, s’assit.

 « Parle. »

 Assurément, il devait s’adresser à l’arbre. 

 « Parle, ton geôlier est à tes pieds. Demande de moi ce que tu veux. »

 Et l’arbre parla doucement.

 « Donne-moi un nom.

 - Tu te nommeras Drozéméné et tous les êtres de la terre connaîtront ce nom.

 - Donne-moi de l’eau.

 - Je planterais tes graines sur les nuages et toi seul aura des racines qui s’abreuveront à la source de la pluie et nous t’appellerons l’Arbre-sur-le-Monde.

 - Donne-moi de la lumière.

 - Je te donnerais trois Soleil. Ils se nommeront Gésémun, Abamara et Lidd et ils seront à jamais pendu à tes branche dans ce pendentif.

 - Donne-moi ma liberté.

 - Je ne peux pas.

 - Alors tu mens. Donne-moi la mort.

 - Je ne peux pas.

 - Alors tu mens. Donne-moi le repos.

 - Je ne peux pas.

 - Alors tu mens.

 - Alors je mens. »

 Amonantzias ferma les yeux. Il ne parvint pas à les rouvrir.

 « Es-tu fatigué, roi ?

 - Je le suis.

 - Combien de temps dure ce voyage ?

 - Le temps n’est plus. Je n’en avais plus besoin.

 - Tu as eu peur de voir les ans passer ?

 - Ils ne passeront plus.

 - Ils reviendront. Peut-être passent-ils déjà ? Lentement, de ce cocon où tu as fais ton monde je vois s’étendre les fissures, et l’extérieur s’infiltre dans ta chambre. Les ans sont là, roi, ils viennent prendre leur due. »

 Il y eu une ombre, d’abord couchée, dans l’escalier, qui descendait, descendait les marches et le vent ne descendait plus, plutôt il attendait, le souffle retenu, que l’immensité qui chutait du haut de la tour le passe et l’oubli.

 Quelque chose descendait l’escalier.

 Je vis lentement les marches s’estomper dans ce qui venait à nous ; le crépuscule y posa un pied lourd. Et les pas tombaient, et la nuit grognais dans ce grand ventre qui avait fécondé la Lune, qui ne donnerait plus                        Il n’y a plus rien à dire mais il faut encore parler. Quelque chose n’a pas encore été atteint, qui est important, tellement que tout est médiocre sans. Il faut encore écrire, forcer les mots, quelque chose doit bien attendre d’être trouvé quelque part.                   et ça ne s’arrêtait pas de tomber, cette ombre qui avait connu le jour. Je me suis rendu compte qu’elle l’avait connu et qu’elle ne le haïssait pas, qu’il reviendrait lui aussi, serein comme l’est ce noir à qui on avait pris le temps. Il n’y avait pas de hâte : le Roi avait filé les soleils les uns aux autres, les soirs s’étaient perdus dans des jours sans fins, et pourtant tout revenait. Peut-être, à cet instant précis où l’obscurité ne se précipitait pas, plutôt venait tout naturellement, le Premier Roi compris comme moi que ce qui avançait était vieux, bien plus que lui. La Nuit, dans toute la tour, se leva.

 Tout se fige, rien ne vit, et tout respire dans le vide. Les petites bleus continuent leur voyage, leur monde déjà mort depuis longtemps et l’arbre bruisse, il tourne dans l’infini.

 Le Premier Roi est assis, il n’est visible qu’à une lumière faible qui émane de lui comme d’une bougie et qui va en s’éteignant. Elle parait presque être le souvenir d’une lueur, venu de loin, de très loin.

 Oublie-là tout ce qui était voulu, il n’y a plus d’intention lorsqu’Amonantzias parle.

 « Arbre ? Arbre, es-tu là ? Tu n’as pas besoin de répondre, tu es là je pense.

 « Arbre ? Arbre, veux-tu bien m’entendre ? Ce n’est pas une confession que je te fais, non, ce n’est pas une confession. Mais j’ai à dire. Il y a dans toute cette obscurité comme un souvenir qui me revient. Avant d’être roi, avant d’être Amonantzias, la première nuit où j’ai pensé. Ce n’est pas mon nom qui était mon premier mot. Ça ne pouvait l’être, il y avait autre chose que je ressentais, qui venait de tout l’univers, qui me venait de cette chose morte. Je le ressens maintenant. Dans ce noir. Il est à nouveau là, il m’a attendu. Qui pourraient se perdre dans le silence et penser d’abord à son nom ? Un jour, j’ai dit à Carilia que tout ce que j’avais appris, j’avais appris à la lumière, c’est faux. C’est faux, la Caverne me terrifiait. Petite chose que j’étais, petit bout de viande qui pensait, petit œil qui perçait le rien pour ne rien trouver. Petite poussière qu’on avait laissé aimer, et dans la caverne rien ne me regardait. Mes premiers mots, ce n’était pas mon nom. J’ai dit, j’ai hurlé : "Je suis. Je suis seul !" Et le vacarme ne s’est jamais arrêté.

  « Quand elle est née, cette chose toute rose, qui n’avait pas une idée du noir, j’ai enlacé mes bras autour de son corps. Et je suis venu mettre une main sous sa tête, une autre dans son dos, et je l’ai embrassé comme un bonheur trouvé. Lentement mes doigts se sont rejoints. Comme si je priais. J’ai prié à ce moment-là. Amonantzias à prié. Je ne voulais pas qu’elle connaisse la nuit. C’est l’erreur d’un parent. C’était ma terreur, et elle n’a plus eu peur que de moi.

 - As-tu peur, petite poussière ?

 - Amonantzias à peur, le Premier Roi à peur. Mais le père agit. »

 Il brillait à l’horizon une lueur d’argent, et lentement, l’orbe timide grimpa au dessus de la terre et vola, pleine et complète, dans la nuit.

 Des cliquetis se firent entendre et Carilia fit avancer ses jambes dans la lumière. Elle portait un flacon sur une griffe, se balançant de droite en gauche, prêt à tomber. Qu’il se brise, qu’il soit utilisé, qu’il se déverse dans un égout ou dans la gueule de l’arbre, le monde avait sa fin. Racontons-là.

 Au pied de l’arbre, Amonantzias creuse un trou. Il gratte dans la pierre et casse et casse l’ongle au métal. Il n’y a rien dans cette terre, elle ne s’est jamais abreuvé d’eau et l’humus s’effrite comme de la vieille cendre. Il n’y a pas une graine qui pourrait y prendre vie. Plantez-y des pousses et vous verrez des cadavres s’y élever ; vos mains, Amonantzias, creusent un tombeau.

 Il déversa la fiole et, se retournant, attrapa alors une racine de l’arbre et la força hors de la terre, la tirant vers le trou. Si elle résistait, il tordait jusqu’à ce qu’elle le suive à nouveau en craquant, lui qui haletait au sol entre les pattes de Carilia.

 Il la tira vers le trou et l’enfonça dans le liquide rouge.

 L’arbre but, longuement, il se déversait dans son tronc quelque chose d’abominable. Dans le sol, tout ce qui était enterré montait dans les racines. Lentement, l’arbre se gorgeait. Amonantzias était assis, à genoux.

 Il est terrifié. A ce moment, à quoi pense-t-il ? Est-ce qu’il voit la bête, l’animal dans la caverne qu’il à emplie d’un cri, les parois se jetant sur lui et partout la menace d’être seul ? Il est devenu roi. Pense-t-il à ça, mesure-t-il le parcours ? Il est devenu roi ! Il a vu le Soleil, la bête peut-elle prétendre autant ? Non, elle n’a rien et même pas de mots pour s’en défendre, alors qu’Amonantzias possède tout, à tout vécu. A reçu de tous un présent d’amitié. Bon roi, tu fus aimé ! Tu n’étais pas seul à regarder la nuit s’éteindre.

 « Et qui maintenant me voit ? »

 Le parcours finis ici. Il est seul. Trai-

 « Tais-toi ! Ne raconte pas, j’ai… Ils m‘ont trahis, n’est-ce pas ? Tahilio, Carilia, ils m’ont trahi. Ne raconte pas, je t’en supplie. Je dois sauver l’enfant, je dois sauver ma fille ! Elle est encore vivante, dans la tour, quelque part. Il faut tuer l’arbre, le tuer avant qu’elle n’y entre. Carilia, tue l’arbre ! Sauve ma fi… Carilia. Carilia ! Ton roi t’ordonne… Tahilio ! Votre roi- Roi ? Je suis un fou. Ne raconte pas ceci. Ne le raconte pas ! »

 L’arbre s’est déchiré devant lui. Il a cherché, tâtonné dans les décombre à la recherche de sa fille.

 L’enfant est né et n’a jamais vécu.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 4 versions.

Vous aimez lire Le Rat ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0