Pour moi, le monde s'est tu

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 Les matins naissent sans le Soleil ou la Lune.

 L’antre de Carilia était une crevasse froide. Une blessure dans la tour où Carilia se logeait comme une bactérie. Elle respirait. Un tas de chair expirait, le métal inspirant l’air et les cauchemars.

 Carilia, rêves-tu ? Du matin où le monde débutait ?

 « J’ai rêvé. J’ai rêvé que j’avais oublié la veille, et toutes les veilles, que ce matin le monde avait réellement débuté. J’ai rêvé. J’ai rêvé que les ombres dans la caverne n’étaient pas celle d’un dieu mais d’un homme qui racontait son histoire. J’ai rêvé. J’ai rêvé que mon roi m’avait posé une question car il n’en connaissait pas la réponse. Je rêve. Ne m’en réveille pas. Je rêve… »

 La tour dormait avec fièvre. Les veines sèches ne gouttaient plus sur le sol de bonze et pas un tintement ne se faisait entendre. L’air se violentait pour ne pas hurler. L’arbre tanguait, ne disait mot. Amonantzias avait disparu. Bruit jouait aux cartes avec Silence.

 La porte de la salle du trône s’ouvrit sans vacarme ni quiétude. L'ombre qui se profilait dans le bronze entra, toute de chair. La jeune femme sifflotait un chant d’été. La tour cependant voulu hululer en retour un gémissement hivernal. Elle laissa chanter les murs jusqu’au troisième couplet et repris la dernière note. Alors la plainte se mit à cavaler avec une mélodie solaire, réveillant les vieilles joies et la vieille chair pour danser à nouveau sous une sérénade vibrante d’une gaieté sans honte. La lamente valsait, des notes fugitives la quittant pour cabrioler sur des airs éclatant de félicité. Bientôt, elle étincelait, chantant ses joies et ses peines avec le même sourire que la jeune femme. L’Hiver avait fondu, dans la tour le bronze reflétait maintenant des prées suant de soleil. Les veines s’accouplaient sans hécatombe. L’amour était doux et faisait tonner de joyeux tintement dans la salle. Le chant descendit les marches, gambadant sur les lignes dessinant des mascarades sur le mur. L’arbre parvint à faire quelques couplets et Bruit sifflotait une ritournelle avec Silence.

 La jeune femme dansait avec les pierres. Un pas et deux et le temps change, et un pas et trois et tombe le corps. Lèvre à l’air et bras levé, un pas et quatre et la veines offre la valse. Corps incliné, un pas et cinq. Pied claque, pierre tonne, la veine la jette. Un pied et six et la jeune femme tourbillonne vers le trône. Elle vole, cyclone, et se siège sur ses orteils avant de sauter sur l’air qui se plie, qui rebondit à ses touchée et fait la galipette sur ses doigts.

 Dessous, les vieilles chairs ont fait un carnaval. Les amants de tous temps virevoltent et s’écrient : ‘C’est notre dernière danse !’ Les pas qu’ils avaient répétés ensemble dans mille minuits se vivaient en un temps sans Lune ni Soleil. Perchés sur la brise, la jeune femme contemplait. Le cimetière avait ouvert la gueule et laissais filer ses petits. Aux cotés des amoureux, les misanthropes, les compagnons solitaires, misérables ayant mangé pour toute nourriture la poussière, le monde triste et souriant se retrouvais en criant : ‘c’est notre dernière danse !’. ‘C’était’, répondit un narquois en étreignant ses amis.

 Lentement, le carnaval éteignit ses lumières. Un à un, le repos les pris, le vent les recouvrant de cendres chaudes. Dans un rêve remplis de leurs propres sourires, les vieilles chairs sont parties.

 Un seul homme encore danse, une bien vieille ombre qui entend peut-être une bien vieille musique.

 « Tu danses encore ?

 - Je vis, je danse ! Je meurs, silence, et pas d’oreille pour l’entendre ! »

 La jeune femme sourit et s’inclina. Quand elle leva la tête, la cendre dessinait une danse dans l’air.

 Elle se dirigea vers la niche au dessus de l’horloge, grimpa les pierres et entra.

 « Carilia. »

 A coté de la forme compressé et triste, la femme s’était assise, pieds en tailleurs et yeux caressant la chair implosée de métaux tordues.

 « Carilia.

 -Ne me réveille pas.

 - Beaux rêve ?

 - Beaux. De toi, de nous. Seules.

 - Ah, quand nous étions seules sous le rouge des jours mourants, un grand livre de vent dans les prairies secouées à l’ombre de ses cités. Ah, quand nous étions seules, le cœur famélique, le ventre creux, et dans ses plateaux d’argents, la nourriture affamais. Ah, quand nous étions seules dans ses foules dévorants la terre qui n’avait plus assez de bouches pour avaler toutes ces gens. Ah. Quand nous étions seules. Quand. Quand ?

 - Dans les ruines.

 - Le croquemort habite les cimetières qu’il remplie.

 - Sur le bateau.

 - Nous soufflants en avant d’un vent de vacance.

 - Tempête.

 - Où il avait promis le grondement du monde.

 - Et les grottes.

 - Et j’ai vu dans les ombres sa barbe.

 - Dans la forêt.

 - La Lune son miroir.

 - Le village.

 - Et le Soleil son œil.

 - Ta naissance.

 - Mère non plus. Mais il m’a porté, un peu bercé, et quelques doux doigts m’on fait rire. Le matin était chaud, pas de Soleil, pas de Lune. Ses pupilles comme nuage, il m’a baptisé dans l’aurore. Et je n’ai jamais vu un crépuscule. Les lendemains ne venaient pas et le jour, il ne le laissait pas dormir, pas tomber et j’avais faim de nuit. J’avais faim de fin. »

 Elle s’approcha et lentement mis une main sur Carilia. Sa tête s’y posa, ainsi l’œil avait une vue sur une cavité entre deux plaques. De petites lumières tapissait le fond et cogitaient de telle façons qu’elle voulait voir dans ces petits brins d’éclairs quelque chose d’encore vivant, d’encore conscient.

 « Et j’ai cherchais dans la naissance de l’univers l’atome d’où est nait le désespoir. J’ai trouvé sous une étoile qui embrassait le premier mot un petit atome qui m'a paru immense. Il avait fait naitre le silence. Pour moi, le monde s’est tu. »

 Elle caressait Carilia dans toute son horreur. Les doigts frottaient les bulbes de pue grossissantes et les estomacs entrouverts sous l’armature cassée et les… Peut-être je m’égare. Je vois une malheureuse créature scarifiée par l’homme de la caverne qu’étreint une femme bien affamée. Insultant de la décrire ainsi. Pour autant, l’outrage est encore à venir. Parle Carilia, si tu pouvais parler. Si tu pouvais parler, tu la maudirais. Et puis, la maudissant cent fois dans ta tête, tu lui dirais qu’elle avait raison, que son acte était le bon, ton corps était jetable, son bonheur trop précieux. Si tu pouvais parler, tes mots seraient aussi vrais que ceux qui rouleraient comme des pierres furieuses dans ta tête. A droite, gauche, centre et tourne, un poids dans l’esprit et la tête se retourne pour ne pas tomber. Et ta tête ne tombe pas. Dans ce corps. Dans cette tour, le cadavre de ton frère ! Dans ce temps qui jamais ne s’arrête et pourtant ne semble jamais avoir commencé ! Ta tête est la seule qui ne soit pas tombé ! Eux, étaient-ils même nés avec le chef bien porté ? Est-ce qu’ils ne charriaient pas déjà la couronne au cou car ils n’avaient d’autres lieux où la mettre ?! Mais toi. Toi ! Bien moins fou qu’eux, que fais-tu ici ? Ton obéissance trahie une histoire trop profonde peut-être pour que tu t’en extirpe. Avant même ton nom… Aussi profond que ça ?! Et ce nom, attaché au fil si infime de la folie… Carilia, qui es-tu ?

 « Carilia. J’ai faim. »

 Carilia, à l’ordre qu’elle s’apprête à donner, pourquoi ne pas simplement dire… non ?

 « Carilia, j’ai préparé mon repas. Il m’attend quand le jour se couchera. Notre terre, elle ne craque plus. Elle est guérie de son roi. »

 Carilia. La terre à craqué pour eux. Tous prisonniers et gardiens ! Déroule les chaînes, le barreau tient, vole la clé, le barreau tient, la serrure tombe et le barreau s’ouvre !

 « Carilia. Le Soleil fera sommeil sous les draps de l’horizon, et moi, allongé, sous l’œil d’argent que je n’aurais jamais vu et que plus jamais je n’aurais à voir. Et le délice de la vengeance sera votre. Prenez un coeur de l'horloge, remplissez le de sang infect et voyez sa dernière oeuvre disparaitre ! Voilà tout ce que je demande. »

 Carilia, tu étais le soupir du Sirocco, sur tes vents courais le fer et le nom de quatre-vingt sept tribus. Rappelle-toi des noms. Rappelle-toi des géants d’Iv qui soulevèrent les océans pour tes armées. Souviens-toi des instruments de Patras qui soufflaient les cacophonies du Grand Bouc entre les pierres esclaves. Et les étoiles de Satrapes ne t’aimaient-ils pas comme une amie ? Et la terre d’Ilae comme une sœur ? Et Tahilio…

 « Tahilio. Puni pour ma faim. Et les pierres partagent ton cœur mais ne battent plus, et les veines ton sang mais ne sentent plus, et le bronze ta peau et démange à jamais, et le trône tes yeux, et les livres ton esprit, et la porte ta bouche mais plus jamais l’esprit ne commandera la prudence à la bouche, la bouche ne goutera aux désirs de l’œil et l’œil s’assoupir aux rêves de l’esprit. »

 Ton frère vie d’une vie qui ne vaut pas d’être vécue. Souviens-toi des noms. Ils étaient plus grands que chair, pierre et fer.

 Carilia, qui es-tu ?

 « Aidez-moi à assouvir ma faim.

 - Oui, dit la tour.

 - Oui, dit la chair. »

 Seul l’acte t’incarne.

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