Le repos

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10 septembre, fin d'après-midi, un temps à part

La cellule était une petite pièce carrée sobrement meublée d'un lit, d'une armoire, d'une table et d'une chaise. Un crucifix était accroché au mur. La fenêtre donnait sur un jardin remarquablement entretenu. "Les toilettes et douches se trouvaient au fond du cloître" avait indiqué la soeur qui avait conduit la nouvelle venue.

Hélène s'assit sur le lit et parcourut des yeux son nouvel environnement. Elle soupira : ici, elle serait bien, à l'écart de tout ce qu'elle avait vécu ces dernières semaines. Elle pourrait se reposer. Elle soupira.

C'est alors que le visage de sa grand-mère se dessina dans l'esprit d'Hélène et sur le mur blanc en face d'elle. C'était un peu grâce à elle, ou à cause d'elle, que la jeune femme se retrouvait dans ce lieu insolite. En effet, quelques semaines avant son mariage avec Patrick, Hélène avait eu une longue conversation avec sa grand-mère. Celle-ci lui avait raconté sa propre vie et comment elle avait retrouvé la joie de vivre à la mort de son mari après de longs mois de maladie ;  un affreux cancer qui avait défiguré l'homme qu'elle avait aimé plus de cinquante ans. C'était au couvent des Soeurs de la Charité qu'elle avait été accueillie sans jugement, sans question, juste avec une bienveillance déconcertante.

- Si, une fois, ne serait-ce qu'une seule fois dans ta vie, tu devais avoir besoin de prendre du recul, c'est certainement là-bas que tu y parviendrais, avait insisté la vieille femme.

Hélène n'avait pas oublié. Elle avait aussi gardé le projet de visiter ce couvent plus tard, parce que, à ce moment-là, un mois avant son mariage, sa vie ressemblait alors à un conte de fée.

On frappa doucement à la porte, ce qui ramenna Hélène à la réalité. C'était la soeur-intendante, se vit-elle préciser. Elle lui tendit un petit carton qui indiquait les horaires des offices, des repas au réfectoire pris en silence et le nom de la soeur-accompagnatrice, si elle ressentait le besoin de se confier. Il y avait aussi possibilité de recevoir quelques affaires de rechange, parce Hélène n'était pas retournée à la maison. Elle remercia poliment et après le départ de sa visiteuse, elle envoya quelques messages pour indiquer qu'elle se mettait au vert ; "ordre du médecin" avait-elle ajouté, en mentant un peu. Mais, il lui avait vivement conseillé de prendre du bon temps pour se remettre. Ici, ce serait parfait ; elle ne serait pas dérangée.

Le soir, elle s'assit dehors, sur un banc, et aima écouter les voix chanter dans l'oratoire :

Laudate Dominum, Laudate Dominum,
Omnes Gentes, Alleluia !

Il lui parut très étrange, lors du repas, de partager une même table sans aucun dialogue, chacun regardant le fond de son assiette et écoutant plus ou moins ditraitement une musique fond qui se voulait méditative. Mais, elle s'y fit peu à peu. C'était la tradition et les coutumes du lieu, voilà tout.

Les jours se suivaient et se ressemblaient. Hélène, vêtue d'un pantalon et d'un sweat passés de mode mis à sa disposition, occupait le plus clair de son temps à marcher autour du cloître, à s'asseoir sur le muret, à observer les papillons et les insectes butinant les fleurs du jardin. Elle ne pouvait s'empêcher de repasser en boucle le film des derniers événements qui soulevaient tellement de questions sans réponses. Et à chaque fois, elle se mettait à pleurer, incapable de contrôler ses émotions. On la laissait vivre les journées à son rythme. Personne ne la forçait à quoi que ce soit.

Un matin, elle demanda à voir la soeur-accompagnatrice. À l'accueil, on lui répondit qu'elle passerait dans la journée. Vers 14 heures, quelqu'un frappa à sa porte. Lorsqu'elle ouvrit, Hélène se trouva nez-à-nez avec une petite bonne femme, tout le portrait de sa grand-mère. Elle portait le voile et l'uniforme des soeurs. Elle se présenta : Soeur Madeleine qui venait à sa demande. Elle entra. Hélène lui proposa la seule chaise disponible et s'assit sur le lit. Soeur Madeleine prit place, posa ses mains sur ses jambes et attendit. Toutes les deux restèrent un moment dans le silence. C'est la jeune femme qui rompit le silence la première, à l'invitation du regard bienveillant de la soeur : elle avait mal au coeur, pas d'avoir trop mangé, parce qu'ici les repas étaient plutôt frugaux, mais une souffrance sourde et insupportable au fond d'elle. L'absence cruelle des êtres qu'elle aimait le plus lui dévorait l'estomac. Elle se demandait pourquoi la vie avait été si cruelle, ce qu'elle avait fait pour mériter tout ça... Elle ne savait plus où elle en était et avait tout perdu, tous ses repères...

- Alors, il faut que nous en trouvions d'autres ! interrompit la soeur.

Oui, c'était cela dont elle avait besoin : de nouveaux repères pour repartir. La soeur était perspicace se dit Hélène.

- Mais où et comment ?

- Nous prendrons le temps de les découvrir, car ils sont en vous, mais maintenant, ce n'est pas encore le moment. Il y a un temps pour tout, vous savez. Un temps pour pleurer, un temps pour détruire, un temps pour construire.

Ces mots, un peu énigmatiques, réconfortèrent Hélène qui se dit que tout n'était pas perdu, qu'elle pourrait peut-être, avec le temps, remonter la pente.

Après un silence qui parut une éternité, la soeur s'adressa à Hélène :

- Je vous propose de prendre quelques instants pour déposer tout cela...

- Mais, ma Soeur, je ne crois pas... Enfin, euh, pas en Dieu.... s'excusa-t-elle.

- Ce n'est rien. Prenons juste quelques instants pour laisser notre être intérieur se calmer un peu... C'est important...

La Soeur joignit ses mains, baissa les yeux et remua les lèvres en silence. Elle priait. Hélène regarda par la fenêtre, sans trop savoir si elle faisait bien ou mal. Puis, Soeur Madeleine se leva et salua la jeune femme en prenant sa main dans les siennes :

- À très vite... Prenez soin de vous !

- Merci, ma Soeur. Merci beaucoup.

Les deux femmes se quittèrent. Soeur Madeleine fredonna quelques notes qui résonnèrent dans les murs du cloître.

Tous les trois jours, comme un rituel, elles se voyaient dans l'intimité de la chambre.

Un jour, à son grand étonnement, Hélène confia, presque sans l'avoir voulu, sa nuit avec Timothée-James Bond. Sur le moment, elle craignit une "leçon de morale" mais Soeur Madeleine sourit.

- Vous connaissez... James Bond ? demanda Hélène, se rendant compte trop tard de la bêtise de sa question. Comment une religieuse pourrait-elle avoir connu l'agent secret ?

- Oh vous savez, répondit Soeur Madeleine, je ne suis pas née ici et j'ai eu une vie avant d'arriver dans ce couvent. Mes neveux m'ont montré des films du célèbre Agent 007. Elle éclata de rire et cacha son visage dans ses mains.

Hélène rit de bon coeur avec elle. C'était la première fois depuis sa sortie de l'hôpital.


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