La vocation

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Début novembre, quelque chose renaît

Les semaines passant, de premières neiges avaient saupoudré le jardin d'un voile grisâtre. Hélène se sentait de mieux de mieux pour la plus grande joie de Soeur Madeleine, qui continuait de lui rendre visite régulièrement. Au fur et à mesure, les larmes se faisaient plus rares, les questions moins destructrices. Elles étaient toujours là, mais n'empêchaient plus Hélène d'envisager un avenir, encore flou à ses yeux. La religieuse l'avait rassurée : c'était normal, parfaitement normal... Le monde ne s'est pas fait en un jour !

Depuis peu, la jeune femme assistait aux offices, sans bien comprendre ce qu'il s'y disait, mais les voix de ces soeurs qui entonnaient des psalmodies et des chants en latin la touchaient, sans parvenir à en expliquer la raison. Il y avait quelque chose qui la dépassait et qui, en même temps, la bouleversait dans ces mots :

Magnificat, Magnificat

Magnificat anima mea Dominum,

Magnificat, Magnificat

Magnificat anima mea.

Lors d'une conversation, Hélène confia son désir d'enfant à Soeur Madeleine. Mais maintenant que son mari n'était plus là, elle ne pourrait pas le réaliser. C'était son plus grand regret. Et, en même temps, elle sentait en elle, là tout au fond de son corps, comme une "présence", à défaut d'un autre mot, qui grandissait... Elle aurait dit qu'elle portait en elle.... Mais non ! C'était trop bête, n'est-ce pas ? Ce devait être son imagination qui lui jouait des tours...

Soeur Madeleine l'encouragea :

- Essayons d'aller au bout de votre réflexion. Vous sentez en vous quelque chose qui croît, comme un embryon de... vous ne savez pas quoi... Qu'est-ce qui serait trop bête, selon vous ?

- Que Dieu... Votre Dieu, se mêle de ma vie, moi qui n'ai jamais cru en lui !

- Et si c'était lui qui croyait en vous, Hélène ? Qu'il vous faisait confiance ?

Elle resta interdite et fixa la soeur dans les yeux, cherchant à savoir si elle plaisantait ou non, mais elle était tout à fait sérieuse.

- Je crois que je vais vous laisser avec cette question et nous reprendrons notre discussion dans trois jours, comme à notre habitude. La Soeur se leva et serra Hélène dans ses bras.

En se couchant ce soir-là, allongée sur le lit, elle sentit une douce chaleur bienfaisante. Elle était soulagée et détendue. Pour la première fois, elle pensa à Patrick, Sandra et Timothée sans pleurer. Elle regarda par la fenêtre ouvrant sur un ciel parfaitement limpide parsemé d'étoiles et se surprit à dire "Merci !"

A qui ? Quelle importance. Pour une fois, Hélène ne laissa pas ses questions la hanter. Elle préféra au contraire s'abandonner à ce sentiment de gratitude qui venait de... Elle aurait été incapable de l'expliquer.

Étrangement, la jeune femme sentait que quelque chose dans ses convictions était en train de se transformer ; qu'une voix s'adressait tout doucement à elle, pleine d'amour. Un amour comme celui que sa grand-mère lui avait donné depuis que ses parents avaient divorcé. Hélène leur en avait voulu... Beaucoup, au point d'avoir eu des mots qu'elle regrettait. Mais la vieille femme lui avait appris à pardonner et à faire avec :

- On ne change pas le passé. On construit le présent et on croit à l'avenir, avait-elle asséné un jour pour consoler sa petite-fille.

Hélène n'aurait jamais osé lui donner un nom, à cette voix, surtout pas celui Dieu qu'elle imaginait très loin de ses préoccupations de veuve éplorée, d'amie trahie et de conquête d'un James Bond d'un soir. Tout au plus se serait-elle risquée à prétendre qu'elle ressemblait à la voix de sa grand-maman.

Et s'Il existait, ce "bon" Dieu, Il devait avoir d'autres chats à fouetter. Quand elle était petite, sa grand-mère lui avait expliqué que Dieu veillerait toujours sur elle, qu'Il ne l'abandonnerait jamais, même si elle, peut-être, l'oublierait. Alors, si c'était vrai, Il avait été où pour lever le pied de Sandra, pour tirer Patrick sur le trottoir ?

La vieille dame n'était pas pour autant une "grenouille de bénitier", mais allait à l'église à la veillée de Noël, à Vendredi-Saint et à Pâques, parce que c'était important. Du haut de ses huit ans, Hélène n'avait pas très bien compris à l'époque, ni pourquoi il fallait mettre des "habits du dimanche". Aujourd'hui encore, près de vingt ans plus tard, elle n'avait pas encore réussi à percer le secret de cette pratique séculaire.

Mais, elle devait se rendre à l'évidence : il y avait dans son esprit et son corps, un bien-être agréable qui faisait peu à peu sa place et lui donnait à entrevoir un avenir qui se dessinait. Elle s'endormit et sa nuit fut remplie de rêves peuplés de cris joyeux d'enfants et du visage de sa grand-mère qui veillait sur eux.




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