Le lendemain

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Juin 2017, une absence trop présente

Hélène se dégagea doucement des bras de Timothée, s'enroula dans la couverture et alla à la salle de bain. Elle se passa un peu d'eau fraiche sur le visage. Se relevant, elle croisa son regard dans le miroir et n'aima pas celle qu'elle y découvrait : une fille délurée qui s'était laissé embarquer, profitant de l'absence de son mari pour le tromper. Ils avaient passé la nuit ensemble. Et alors ? Elle n'était pas dans son état normal, ça pouvait expliquer.

Tout était allé très vite, trop vite ! A la terrasse du café, avec Timothée, elle avait remonté le temps : un peu plus de cinq ans auparavant, à sa première sortie avec Patrick : c'était à la fin d'un vernissage. Ils s'étaient aperçus à la galerie, admirant systématiquement les mêmes tableaux et reconnaissant tous les deux qu'ils aimaient l'art nouveau. Elle aurait dû y déceler une stratégie de rapprochement. Elle n'avait rien vu. Il l'avait alors invitée à prolonger la discussion autour d'un verre. Elle avait accepté. Après cette soirée, il y en avait eu d'autres, beaucoup d'autres. Puis des nuits, jusqu'au jour où ils s'étaient fiancés. À cette époque-là, elle rêvait encore d'une vie de conte de fée, mais c'était avant la proposition d'avancement de la société dans laquelle travaillait Patrick.

La veille, avec Timothée, le champagne avait fait son effet. Après le Café des Arts, ils avaient écouté quelques tubes aux abords de la guinguette, puis avaient marché le long des quais. Elle s'était abandonnée, serrée un peu plus contre lui. C'était bon de sentir son corps. Ça faisait trop longtemps qu'elle n'avait plus ressenti ce sentiment de bien-être avec Patrick. À un moment, Timothée lui avait mis le bras sur son épaule. Elle ne s'était pas dégagée, aimant le contact de sa peau. Elle avait à son tour posé sa main sur la sienne. "Vraiment, James Bond est un séducteur ! » se dit-elle, en le laissant faire.

Un dernier verre dans un bar puis ils étaient montés dans sa garçonnière. L'absence de lumière, la chaleur, l'ivresse, la douceur des draps avaient fait le reste. Sa robe avait glissé le long de son corps. Il avait décroché sa ceinture et son pantalon avait rejoint la robe sur le tapis. Cette nuit-là, dans les bras de son collègue, elle avait retrouvé des sensations de plaisir oubliées. Ils n'avaient même pas pensé à se protéger. Il paraît que l'agent spécial maîtrisait...

Ce matin, elle avait un sentiment étrange, qu'elle n'avait jamais ressenti, quelque chose de désagréable au fond de la gorge : elle toussa et vomit dans le lavabo. Elle n'avait pas l'habitude de boire et en payait maintenant les effets secondaires.

De cette soirée, son mari n'en saurait jamais rien. Il ne fallait pas qu'il le sache. Elle n'en parlerait qu'à Sandra avec qui elle n'avait pas de secret, mais elle ne voulait pas lui faire de mal, à elle non plus, parce que Sandra avait vraiment souffert de sa séparation. Elle décida de ne rien décider pour le moment.

Sortant de la salle de bain, elle ramassa sa robe au pied du lit et se couvrit de l'écharpe qu'elle n'avait pas employée la veille. Timothée n'avait pas bougé, il dormait à poings fermés. Elle quitta l'appartement en prenant soin de retenir la porte, pour ne pas faire de bruit.

Comme la veille, elle appela un taxi qui la ramena chez elle. Le chauffeur devait sûrement la prendre pour une pocharde qui avait trop arrosé la nuit. Il avait raison, c'était bien ce qu'elle était.

Patrick était au siège de la Financial Trust Compagny, à Boston depuis quelques jours. Il était pressenti par les dirigeants pour prendre des responsabilités de cadre supérieur pour toutes les succursales européennes. Une occasion à ne pas laisser filer. Il avait essayé de l'expliquer à son femme, de la convaincre, mais il n'y était parvenu qu'à moitié. Elle lui avait annoncé qu'elle voulait un enfant. Dans ce dialogue de sourd, il n'avait rien répondu et était parti, son portable sous le bras. Et une fois de plus, elle avait fini sur le canapé de Sandra à se morfondre et à se bourrer de marshmallows.

Hélène avait encore le temps de prendre une douche glacée, pour se remettre les idées en place, de se changer : jeans, t-shirt, sweat et baskets. Elle aimait cette tenue décontractée. Elle se rendit au bureau avec sa voiture.

À huit heures trente, elle arriva à son travail. Timothée n'était pas encore là. Son réveil avait dû être sans doute plus compliqué. C'était bien ainsi. Personne ne soupçonnerait ce qui s'était passé. Ils avaient fêté leur réussite et auraient eu tort de s'en priver, Patrick étant à l'autre bout du monde. Les autres collègues n'avaient pas besoin de tout savoir.

Elle passa en revue ses mails : rien de bien intéressant ni d'urgent. Elle regarda son téléphone : aucun message de Patrick. Il devait dormir à cette heure-là. Mais depuis ces deux semaines d'absence, il n'avait envoyé que trois messages : le premier pour lui dire qu'il était bien arrivé et que l'hôtel était sympa. Un deuxième indiquant que sa formation avait commencé et que c'était « du lourd » et un troisième qui se résumait à « I miss you ! » suivi de deux coeurs. Elle avait essayé de répondre à chacun avec sincérité, mais au fond, la distance n'était pas que géographique, elle le sentait bien. Elle avait peur... Peur de ce que l'avenir lui réserverait.

Elle n'osait pas se l'avouer, mais en elle, ce vide commençait à se creuser et l'envahissait un peu plus chaque jour. Tout le contraire de ce qu'elle avait espéré : elle imaginait déjà son ventre s'arrondir peu à peu, découvrir de nouvelles sensations habiter son corps. Mais c'était tout le contraire qui se produisait ! Au lieu de porter la vie, celle-ci la quittait sournoisement. Alors, elle n'avait pas réfléchi et pour se sentir exister, elle avait accepté les bras, l'humour et tout le reste de Timothée-James Bond.

Elle se convainquit que ce mal-être ne durerait que le temps de l'absence de Patrick et que tout redeviendrait comme avant. Que c'était juste un passage à vide, comme tous les couples en connaissent au moins une fois dans leur vie. Une nuit d'égarement, une seule. Pouvait-on vraiment lui en vouloir ? Surtout que personne n'en saurait rien.

Encore deux semaines et tout serait comme avant. James Bond oublié, Patrick de retour. Ils discuteraient franchement et il comprendrait. Elle en était convaincue. Elle voulait y croire. Elle l'aimait et lui aussi. Elle se surprit à passer ses doigts sur le collier offert par sa grand-mère : « Il te portera chance. »

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