Hélène

5 minutes de lecture

Août 2017, quand éclate l'orage...

De gros nuages noirs s'amoncelaient dans le ciel poussés par un fort vent. L'atmosphère devenait électrique. L'orage se préparait, il était sur le point d'éclater. D'ailleurs...

Hélène sortit en claquant la porte. Elle n'en pouvait plus ! Avec Patrick, c'était toujours la même chose : il n'y avait que son foutu boulot qui comptait ! Impossible de parler sérieusement avec lui, ne serait-ce que dix minutes dans la journée ! C'est pas beaucoup, et pourtant, il ne lâchait jamais son portable ! À croire qu'il était marié avec.

Elle monta dans sa voiture et démarra en trombe sans regarder, coupant la priorité à un scooter qui eut juste le temps de freiner avant de lui lancer un doigt d’honneur : Connasse !

Elle roula à toute allure jusque chez Sandra, sa meilleure amie. C'est elle qui la récupérait, souvent en larmes et en miettes, après les disputes, de plus en plus fréquentes ces dernières semaines. Sandra et elle se connaissaient depuis l'école élémentaire, c'est-à-dire depuis toujours. Elles ne s'étaient jamais vraiment quittées, juste le temps de leur stage, mais cela n'avait pas duré longtemps. Hélène était devenue graphiste et Sandra éducatrice pour enfants handicapés. Sandra avait vécu en couple un certain temps, puis il était parti, sans autre explication, la laissant là, comme une idiote, avec des rêves inachevés. Elle n'avait pas voulu renouveler l'expérience de la vie à deux, même si des occasions s'étaient présentées, elle les avait poliment refusées.

Hélène dormirait chez elle. Ou avec elle, ça dépendrait... Parfois, elle préférait la tendresse sensuelle de son amie à la maladresse de son mari : à chaque fois, avec Patrick, elle avait eu mal ou était restée sur sa faim. Tous deux s'étaient alors enroulés dans leur couverture tissée de frustration et d'insatisfaction. Mais elle l'aimait. Elle aurait pu le jurer et le crier sur les toits : elle l'aimait ! Mais ce soir, elle n'avait qu'une envie : oublier cette énième tentative de conversation qui avait viré, une fois de plus, au monologue et s'était soldée par une porte claquée.

Et dire qu'il y a à peine trois mois, avant le séjour de son mari à Boston, ils avaient décidé de fêter leur cinquième anniversaire de mariage en amoureux sur les quais le 1er septembre : apéritif au Café des Arts, là où tout avait commencé. Puis repas gastronomique à L’Ile gourmande, une enseigne très cotée de la capitale et une nuit dans l’un de ses palaces, L’Ambassadeur. Tout était prêt. Le lendemain devait être une belle journée... Mais c'était mal parti !

Ce soir-là, n'en pouvant plus d'être face à un mari visiblement absent, elle avait tenté une discussion franche avec lui, pour le ramener à leur réalité : celle d'un couple qui prend l'eau et commence tout doucement à chavirer. Mais lui s'éloignait de plus en plus depuis son retour des Etats-Unis. Son travail devenait sa seule et unique préoccupation. S'en rendait-il compte au moins ? Pas sûr ! Elle n'existait plus à ses yeux. En avait-il conscience ? Pas sûr non plus. Elle voulait un enfant. Avait-il capté ? Elle en doutait. Alors, n'y tenant plus, elle avait pris la décision, la seule, qui s'imposait à elle : la fuite. Il n'avait pas essayé de la retenir.

La veille encore, elle y croyait et s'était mise à rêver : cette soirée aurait pu se dérouler comme dans les bouquins de Barbara Cartland qu'elle lisait en cachette. Elle aurait eu honte d'avouer à son amie et à son mari qu'il lui arrivait de lire de pareilles bêtises, mais ça la faisait rêver, un peu du moins…

En cette fin d'après-midi, elle aurait terminé son travail un peu plus tôt et serait rentrée. Elle se serait changée pour l’occasion : une robe élégante bleu marine à bustier, une écharpe en tulle blanc sur les épaules. Bracelet et boucles d’oreille en or et surtout le collier que sa grand-mère lui avait donné à son mariage. « Il te portera chance ! » lui avait-elle assuré, alors qu’elles pleuraient toutes les deux de joie. Elle aurait passé de longues minutes à lisser ses cheveux bruns et à maquiller ses yeux vert olive. Elle n'aurait pas oublié le parfum « Diablesse » c'était son préféré… à lui aussi.

Elle imaginait alors son mari, qui au même moment aurait terminé le rapport d’analyse financière commandé par son patron. Il n'aurait eu aucune envie de s’attarder sur les derniers détails. Il aurait tout le temps de peaufiner plus tard. Il aurait fermé son ordinateur, aurait regardé sa montre, descendu quatre à quatre les deux étages et serait sorti du grand immeuble qui abritait les bureaux de la succursale française de la Financial Trust Company. Ayant pris au passage son costume dans sa voiture, il se serait changé dans les toilettes d’un des nombreux bistrots des alentours. Il serait entré dans un café au nom prédestiné, Au P’tit Bonheur, aurait commandé un café au bar et se serait dirigé droit vers les WC. La porte aurait été fermée. Il aurait alors attendu, et adossé au mur, il aurait envoyé un message à sa dulcinée. Le bruit de la chasse d’eau aurait mis fin à sa prose. La porte se serait ouverte sur un poivrot qui empestait la gnôle. Il aurait bousculé Patrick sans s’excuser et aurait gueulé sur l’étroitesse de ces p… de corridors à la c…. Le romantisme n'aurait pas encore été au rendez-vous... Mais patience, toute cette soirée n'aurait fait que commencer…

Sandra écoutait silencieusement, tenant un mug de thé fumant à la main :

— Tu sais que tu racontes vachement bien ! Je m'y croyais… Et l'autre poivrot, puant la gnôle... Il sort d'où ?

Sans répondre, Hélène, perdue dans ses souvenirs, repensait à ces mois passés, à sa solitude trop présente. N'y tenant plus, elle laissa couler ses larmes, se lovant dans les bras de son amie…

Et puis, il y avait eu Timothée... Quelques mois plus tôt. Avec lui, ça avait été différent : il avait su être là, sans profiter de l'absence de Patrick ; une présence masculine au bon moment, quand elle en avait eu besoin. Ils n'avaient passé qu'une nuit ensemble, bourrés en plus. Est-ce que ça comptait vraiment dans une vie ? Ça n'allait quand même pas foutre en l'air cinq ans de mariage ? Tout le monde a droit à une seconde chance… Et d'ailleurs, Patrick n'en avait jamais rien su… Alors quoi ?

— Allez, ma vieille, détends-toi. Je vais nous mettre Umberto Tozzi. Lui, c'est un mec, un vrai... Un comme on les aime. Lui, quand il nous regarde dans les yeux, nous emmène au septième ciel direct, aller simple !

Elle passa son doigt sur la joue d'Hélène puis lécha la larme qui avait roulé. Elles rirent toutes les deux. Elle lança le CD et elles se mirent à chanter à tue-tête : Gloria !

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 29 versions.

Vous aimez lire Jean-Marc Leresche ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0