Les patients

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Il y a aussi et surtout les patients. C’est un petit village, les habitants la connaissent. Beaucoup de personnes âgées qu’elle soigne depuis des années et qui la remercient régulièrement de fleurs, de boites de chocolats (miam, ce n’est pas vraiment recommandé pour les dents ça ! Mais c’est tellement bon !), de fruits et légumes du jardin, pommes, fraises, framboises, kiwis, potiron, butternut. L’été dernier, avec Charline, elles avaient dû faire des dizaines de confitures tellement elles avaient reçu de prunes et de pêches de vigne, elles en distribuaient à tout le monde. L’autre jour, un pêcheur lui a même ramené des huitres sauvages. Certains accompagnent ces cadeaux d’un mot exprimant leur reconnaissance, à elle et à Charline, son assistante.

« Docteur, parce que vous avez bien voulu me recevoir sans rendez-vous préalablement fixé ce vendredi 19, parce que je vous ai ainsi amenée à modifier votre programme de travail, je joins à ces fleurs l’expression renouvelée de mes sincères remerciements et de mes plus vives excuses. Avec toute ma considération. »

Ces mots couvraient un beau papier épais couleur ivoire d’une large et belle écriture et montraient toute la délicatesse et l’élégance de cette dame, confuse de s’être présentée si tard pour une urgence qui la faisait trop souffrir. Juliette comprenait qu’un mal de dent puisse être insupportable, elle-même appréciait qu’un confrère la reçoive le plus rapidement possible quand elle souffrait d’une rage de dents. Comment dit-on déjà, ce dicton sur les cordonniers mal chaussés ? Elle avait vécu enfant ces longues séances douloureuses chez le dentiste, elle savait ce qu’ils ressentaient.

Aujourd’hui, l’ancien village de pêcheurs s’est développé, des lotissements ont poussé comme des champignons. Beaucoup de jeunes couples sont venus s’y installer avec leurs enfants car se loger en ville est devenu trop cher. Les enfants, surtout les petits, étaient sa bête noire. Ils hurlaient, ne se laissaient pas toucher, elle avait un mal fou à les soigner et ils avaient une hygiène dentaire abominable, nourris de bonbons et de frites. Et dans la salle d’attente ils touchaient à tout, passaient derrière le bureau de l’assistante, sous le regard bienveillant de leurs parents débordés. Enfin, c’est ce qu’elle disait lorsqu’elle était fatiguée. Parce que lorsqu’une maman venait se faire soigner, elle en profitait pour jeter un œil sur la dentition de ses enfants. Sans la faire payer. N’empêche que ses patients préférés, c’étaient les personnes âgées. Elle connaissait tout de leur vie, de leur famille, leurs petits-enfants et arrière-petits-enfants. Ils se racontaient, après les soins bien sûr, parce qu’avec la bouche ouverte ce n’est pas facile ! Ils étaient la gazette de la commune aussi, ce qui lui permettait d’être au courant de tout ce qui s’y passait, les décès, les nouveaux arrivants, les potins. Ils étaient souvent drôles, surtout les hommes. Et ça leur faisait une sortie de venir la voir, ils étaient contents de parler à quelqu’un.

Bien sûr il y avait des patients irrespectueux, impolis, sans éducation ni considération pour autrui, exigeants envers elle mais pas envers eux-mêmes, « oubliant » de venir payer, ne respectant pas leurs rendez-vous, puis réclamant d’être pris immédiatement, comme si elle n’avait qu’eux à soigner, qu’elle était à leur disposition. Mais Juliette avait beau râler contre ces patients indélicats, elle aimait profondément les gens. Elle s’intéressait à eux. Et les soigner était sa vocation. Depuis toujours.

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