Chapitre 2

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Durant les jours suivants, elle organisa sa survie. Après avoir barricadé porte et fenêtres, elle laissa la télévision allumée sur une chaîne d’informations en continu afin de suivre ce qui se passait à l’extérieur. Les journalistes se firent de plus en plus rares et la plupart des images diffusées provenaient de leurs caméras laissées à l’abandon au milieu d’un troupeau de zombies affamés. À la radio, quelques fréquences émettaient des appels au secours jamais très distincts. Elle n’avait pas fait de réserve de nourriture pour tenir un siège, et elle craignait de vite arriver à court, elle décida donc de rationner ce qui lui restait. Pour le moment, l’eau et l’électricité avaient l’air de fonctionner normalement, bien qu’elle évitât de boire l’eau du robinet. Quant à lui, il restait debout et la suivait partout où elle allait, sans la quitter des yeux. Elle avait bien essayé de lui donner à manger mais la nourriture humaine ne semblait pas l’intéresser. Et elle ne semblait pas non plus l’intéresser en tant que nourriture, ce qui était une bonne nouvelle. Alors que tous les zombies à l’extérieur pourchassaient les derniers êtres humains, lui restait simplement là à la regarder. Le virus zombie ne paraissait pas l’avoir contaminé totalement, mais elle n’était pas vraiment sûre de savoir pourquoi.

Elle avait rassemblé tout ce qui pouvait servir d’arme, finalement très peu de choses. De plus, couteaux de cuisine, piques à brochettes en acier et sabre japonais l’obligeraient à des affrontements au corps à corps, ce qui restait dangereux. Elle mit de côté lampe torche, corde, couteau-suisse et autres outils en prévision d’une sortie qu’elle savait inévitable.

Les journées se succédaient, mornes et tristes. Son compagnon ne l’avait pas mordue lorsqu’elle avait essuyé le sang séché sur sa peau. À son contact, elle avait même aperçu l’ombre d’un sourire éclairer son visage blafard. Son regard, quoique un peu vide, n’était pas si différent. Elle y percevait la même nuance de tendresse qui l’animait lorsqu’il la prenait dans ses bras. C’en était douloureux de le voir ainsi immobile et muet alors que toute son âme semblait dirigée vers elle. C’en était frustrant d’effleurer sa peau glaciale avec chaleur alors qu’il n’était plus capable d’aucun geste affectif envers elle. Il semblait coincé dans une sorte d’entre-deux où ni l’humain ni le zombie ne prenait réellement le pas sur l’autre. Pourtant, puisqu’il n’était pas complètement transformé en créature sanguinaire à l’heure actuelle, il y avait probablement un espoir pour que son humanité reprenne entièrement le dessus.

Le moment arriva où elle termina sa dernière ration de pâtes. Le cauchemar avait commencé depuis près de dix jours, et il semblait y avoir moins de mouvement dehors. Elle s’équipa pour sortir, des vêtements près du corps comme le conseillait le Guide de survie, ses armes de fortune à portée de main, son sabre au clair. Elle s’était constituée une armure en carton pour protéger ses bras et ses jambes d’éventuelles morsures, ce qui ne serait pas d’une efficacité à toute épreuve, mais qui était mieux que rien. Elle s’assura qu’elle n’émettait aucun bruit en marchant puis sortit du refuge. Son compagnon insista pour venir, ou plutôt, lui fit comprendre qu’il tenait à venir avec elle. Cela s’avéra être une assez bonne idée puisque, n’étant ni vraiment zombie ni vraiment humain, les autres zombies ne lui prêtaient aucune attention. Ils ne semblaient pas comprendre la situation et n’osèrent pas s’approcher. Les plus téméraires reçurent un coup de katana en travers du crâne qui les mit hors d’état de nuire.

L’étrange duo parvint tant bien que mal à atteindre un supermarché éventré. Les vitres étaient brisées et la plupart des rayons renversés, il ne restait plus grand-chose d’utile. Elle dénicha pourtant quelques boîtes de conserve ayant roulé sous des étagères, ainsi que quelques autres denrées comestibles. Elle détourna les yeux face aux cadavres écervelés qui jonchaient le sol. Des relents de chair en décomposition lui enserraient la gorge et elle ne s’attarda pas.

L’idée lui vint alors qu’un soir, n’ayant rien à faire à part chercher le sommeil, elle ouvrit un livre et commença à lire afin d’apaiser son esprit. Il était assis à côté d’elle — une posture qu’elle avait eu du mal à lui faire adopter, mais elle n’en pouvait plus de le voir debout. Puis elle se mit à lire à voix haute, ce qui la rassurait puisqu’elle n’avait véritablement entendu aucune voix humaine depuis un long moment. Il s’agissait d’un passage du Fantôme de l’Opéra de Gaston Leroux, qu’ils avaient toujours mutuellement apprécié. Alors que les mots roulaient sur sa langue, elle sentit son partenaire tressaillir. Elle arrêta sa lecture pour le dévisager. Une petite larme avait perlé au coin d’un œil, et son regard était tout attendri.

Stupéfaite, elle se redressa puis alla chercher un autre livre. Un ouvrage de Terry Prachett qui les avait toujours fait hurler de rire. Elle parvint ainsi à récolter un sourire, et même une sorte de hoquet pouvant être assimilé à un début de rire. Toute la nuit, elle lui fit ainsi la lecture de plusieurs extraits tirés de tous les livres de leur bibliothèque. Chaque lecture déclenchait en lui un nouveau ressenti, une nouvelle émotion. Chaque livre avait quelque chose à lui réapprendre et chacune de ses réactions était plus humaine que la précédente. À présent, son regard était vif et expressif, son visage semblait avoir retrouvé l’usage de tous ses muscles. Il souriait, il hochait la tête, il frissonnait, il fronçait les sourcils ou les relevait d’étonnement. Il ne parvenait pas encore à s’exprimer convenablement mais marmonnait des syllabes plus proches de la parole humaine que du gémissement zombie.

Elle aussi avait enfin retrouvé le sourire. Elle n’avait peut-être pas toutes les réponses à ses questions, mais avait trouvé la solution au problème. Lui faire la lecture éveillait visiblement des émotions en lui, ou ravivait d’anciens souvenir. Cela semblait prendre enfin le pas sur le virus zombie, qui lui ne connaissait point tout cela. Elle ne se l’expliquait pas encore avec précision, toujours est-il que cela s’avérait plutôt bien fonctionner pour le moment.

Mais à présent, il lui fallait plus de livres.

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