Chapitre 3

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Elle s’équipa encore mieux que la première fois. Son armure était renforcée, ses armes aiguisées, et son sac était rempli de quelques outils et provisions. Elle allait entrer en plein territoire ennemi et la moindre erreur lui serait fatale.

Elle étudia une carte de la ville et décida qu’il serait moins dangereux de circuler dans les lignes de métro. Ainsi il n’y aurait pas de risque d’embuscade et plus de visibilité si sa lampe tenait le coup. De plus, les zombies affamés étaient probablement remontés à la surface où il y avait plus de pitance.

Elle partit donc très sûre d’elle, ce qui n’était pas un état d’esprit propice à rester alerte, et qui n’était pas non plus recommandé par Le guide de survie en territoire zombie. Elle parvint au métro sans encombre, toujours escorté par son partenaire qui semblait plus que jamais vouloir la protéger. Les autres zombies l’évitaient, ne sachant toujours pas à quelle espèce il appartenait.

La vitre du métro fut brisée d’un coup de marteau très bruyant qui attira les zombies alentours. Elle se chargea de séparer leurs têtes de leurs corps de plusieurs coups vifs et précis. Pour le moment, aucun d’entre eux n’avait réussi à la mordre ou la griffer. Puis elle s’engouffra dans la brèche et avisa les rails. C’était une drôle de façon d’emprunter le réseau souterrain, songea-t-elle. Après avoir balayé le terrain de sa lampe torche, elle se mit en route, sabre au clair, les sens en alerte, lui toujours à ses côtés.

Elle déchanta très vite en sortant du métro. La Grand Place était aussi bondée qu’un samedi après-midi, mais il ne s’agissait ni de touristes, ni d’habitants faisant leurs emplettes, ni de badauds se promenant sans but. Les zombies déambulaient, la plupart d’une démarche maladroite, les plus mal en point en rampant sur les pavés. La place elle-même était dans un triste état. Les tables et chaises des terrasses avaient volé en éclats, ou bien volé tout court, et jonchaient le sol. Des voitures s’étaient encastrées dans les façades, et les unes dans les autres. Un énorme 4x4 gisait inexplicablement les quatre fers en l’air sur l’escalier du Théâtre du Nord. C’était un véritable champ de bataille qu’elle aurait traversé sans problème avec une cape d’invisibilité. Pour l’heure, elle se contenta de se glisser sous les voitures afin d’approcher au plus près l’immense librairie qu’elle visait et qui n’était pas si loin que cela. Son compagnon la suivait en marchant parmi les zombies qui ne lui prêtaient guère attention.

Tandis que, arrivée à proximité de la librairie, elle se demandait comment passer, tous les zombies se tournèrent d’un seul mouvement vers l’autre extrémité de la place. Ils s’y précipitèrent en grommelant et en tendant les bras, certains piétinant leurs congénères au sol. En quelques secondes, la voie fut libre et dégagée. Elle saisit cette chance inespérée, quitta sa cachette et se jeta vers les portes vitrées du magasin qui gisaient à terre. Un bref coup d’œil en arrière lui apprit que les zombies avaient trouvé une victime dont ils ne feraient qu’une bouchée. Le hurlement du survivant le lui confirma, et annonça ainsi qu’il n’en était plus un.

La librairie était complètement dévastée. La moquette disparaissait sous les livres et les étagères renversées. Quelques morts-vivants traînaient encore leur carcasse çà et là mais ils avaient des difficultés à rester bien debout sur le tapis de livres instable.

Elle ne perdit pas de temps et ramassa les livres qui lui parlaient le plus. Les Fleurs du Mal de Charles Baudelaire, Les Contemplations de Victor Hugo, Le vieil homme et la Mer d’Ernest Hemingway, Siddharta d’Hermann Hesse, La Ferme des animaux de George Orwell, Les Nouvelles extraordinaires d’Edgar Allan Poe, Bilbo le Hobbit de J. R. R. Tolkien, Les Chroniques Martiennes de Ray Bradbury et bien d’autres. Elle entraîna son compagnon vers le fond du magasin, dans une petite salle vitrée où étaient installés des fauteuils. Elle ferma la porte et la bloqua en faisant tomber une étagère en travers. Puis elle commença à lui faire la lecture jusqu’à la tombée de la nuit.

« J’ai très soif. »

Elle se figea. Elle aussi avait très soif après ces longues séances de lecture, et elle s’apprêtait à sortir sa bouteille d’eau. Elle fixa son compagnon, qui la fixait. Son regard était très humain, elle l’aurait même qualifié de normal. Tout comme la couleur de sa peau, son expression, sa posture. Et surtout, sa voix douce et profonde qu’elle aurait reconnue dans n’importe quelle circonstance. Cette voix qui lui avait tant dit, raconté, confié. Qui lui avait tant dit qu’il l’aimait.

Elle prit son visage entre ses mains et le regarda droit dans les yeux. Des larmes roulèrent sur ses joues.

« C’est bien toi ? hoqueta-t-elle. Tu… tu es revenu ? »

Il lui sourit et essuya ses joues.

« Bien-sûr que c’est moi ! J’ai un peu la migraine, mais je suis là. Grâce à toi. »

Il la serra dans ses bras.

« Que s’est-il passé ? demanda-t-elle encore sous le choc. Pourquoi tu ne m’as jamais attaquée alors que tous les zombies ont mangé ou transformé pratiquement tout le monde ?

— Mes souvenirs sont un peu flous, comme dans un rêve, mais je me rappelle avoir mangé quelqu’un en rentrant chez nous, le jour où j’ai été mordu. Seulement, quand je t’ai vue, je me suis souvenu de qui j’étais et de qui tu étais. Je ne pourrai jamais faire de mal à celle que j’aime de tout mon cœur. »

Émue, elle ouvrit la bouche pour répondre mais elle fut interrompue par un bruit sourd. Ils sursautèrent. De l’autre côté de la vitre, des zombies s’étaient amassés et les observaient, collés à la paroi. Ils se bousculaient et tendaient leurs mains crochues vers eux. Ou plutôt, vers elle. Encore une fois, ils ne semblaient pas se préoccuper de lui.

Ils reculèrent vers le fond de la pièce, comme deux pauvres créatures au fond d’un bocal.

« Je crois que c’est la fin, dit-elle, tremblante. »

Il lui saisit la main.

« Mais non ! Regarde-moi, je suis bien vivant et bien humain ! Et ils ne me regardent même pas. Les zombies ne s’attaquent pas entre eux, donc je dois être vacciné puisque j’ai déjà été mordu.

— Oui mais ce n’est pas mon cas ! »

Il la serra contre lui et releva son menton.

« C’est mon amour pour toi qui m’a sauvé. Si tu m’aimes, tu n’as rien à craindre. Je m’occuperai de toi comme tu t’es occupée de moi. Je t’aiderai à retrouver ton humanité !

— Ils vont me dévorer, pas me griffer ! C’est trop tard…

— Et si c’est moi qui te contamine ? suggéra-t-il. Le virus zombie doit être encore un peu dans mes veines.

— Comment le savoir ?

— Il n’y a qu’un seul moyen de le savoir. »

Elle sentait la panique avoir raison d’elle. Le katana était à leurs pieds, elle le ramassa et le lui tendit.

« Promets-moi de te défendre.

— Je te le promets ».

La vitre se lézarda. Les hurlements des zombies faisaient vibrer l’air.

Ils échangèrent un regard triste et plein d’espoir. Il lui effleura la joue.

« Je t’aime.

— Moi aussi, je t’aime. »

Il l’embrassa. Elle sentit ses dents se refermer sur sa lèvre tandis que la vitre volait en éclats. La horde de zombie se rua dans la salle de lecture.

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