10: REVELATIONS

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Ils se dirigèrent donc vers cette lumière, remplis d’espoir. La nuit commençait à tomber, mais la montagne brillait toujours au clair de lune, comme un phare dans l’obscurité. Après quelques heures de marche, ils parvinrent à destination. Quelle ne fut pas leur surprise ! La montagne n’en était pas une. C’était une bâtisse immense, d’une hauteur vertigineuse, entièrement composée de métal, et qui semblait être l’œuvre de l’homme.

Qui avait bien pu bâtir une telle chose ? C’est la question que se posaient les trois amis. Jamais ils n’avaient vu pareille construction. Et à quoi pouvait-elle servir ? S’approchant un peu plus, ils aperçurent une ouverture. Après quelques hésitations, ils se décidèrent à entrer.

Là gisaient les ossements de nombreux braves de la tribu. Les lances et les boucliers jonchaient le sol. L’un des anciens avait gravé dans le métal une fresque étrange qu’ils ne purent déchiffrer, tant cela leur paraissait abstrait. Ils avancèrent plus avant. Au bout de quelques minutes d’exploration, alors qu’ils ne comprenaient pas où ils se trouvaient, une image irréelle apparut : une sorte de personnage de lumière, sans la moindre densité physique. L’être étrange se mit à parler. Mais ils ne comprirent rien de ce qu’il racontait. Ce fut Asmel, qui, devinant quelques mots, comprit qu’il parlait la langue des anciens. Mais lui-même ne la maîtrisait pas assez. Seuls les membres très âgés de la tribu apprenaient ce langage, à la fin de leur vie, pour se préparer à l’au-delà.

Nahul observa les quelques baies qui lui restaient, trois en fait. Peut-être parviendrait-il à entrer en communication lors d’une transe... Il fallait essayer. Ils n’étaient pas arrivés jusque-là pour revenir sans plus d’explications. Il devait tenter le tout pour le tout. Il regarda Isha avec amour et, sans plus hésiter, avala les trois baies d’un coup.

Il plongea violemment dans la réalité des songes. La brume habituelle n’apparut pas. Il avança et vit l’être étrange au loin. Il le rejoignit. Ce dernier commença à parler, et Nahul comprit ce qu’il disait.

— Bonjour, humain, lança-t-il froidement.

— Qui êtes-vous ? demanda le jeune homme.

— Mon nom est Xtron2076. Je ne suis pas un être humain à proprement parler, mais la projection d’une intelligence sans corps inventée par l’homme il y a bien longtemps.

— Je n’ai jamais entendu parler d’une telle magie.

— Ce n’est pas de la magie, dit-il d’une voix neutre, c’est de la science. Il faut que je vous explique de nombreuses choses dont la compréhension ne sera pas toujours aisée, comme je l’ai fait auprès de ces humains qui ont choisi de mourir ici. Ils ont fait ce choix. On verra quel sera le vôtre.

Nahul semblait perturbé de communiquer avec cette conscience d’un autre niveau de réalité. Mais, désireux de savoir le fin mot de l’histoire, il la laissa parler.

C’est alors qu’apparut une autre image immatérielle. Elle représentait une sphère. Celle-ci rapetissait alors qu’on s’en éloignait. L’étrange intelligence lui expliqua :

— Il vous faut savoir que votre monde n’est pas le seul monde existant. Que voyez-vous lorsque vous regardez les étoiles la nuit ?

— Des points de lumière épinglée dans le noir, enfin c’est ce qu’on m’a dit…

— Sachez que ces points, comme vous dîtes, sont les centres d’autres mondes perdus dans l’espace. Il ne faut pas croire que votre planète est au centre de tout. Je sais, c’est difficile à appréhender, mais votre monde est une sphère dont on peut faire le tour. Regardez :

Il lui montra les marais, la Grande Cité, le désert et une très grande étendue d’eau qu’il ne connaissait pas, recouvrant une grande partie de la sphère. Cette partie liquide du monde, inconnue de tous, faisait se rejoindre le fin fond du désert et les montagnes réputées infranchissables de l’ouest. Puis l’image s’éloigna pour montrer une sphère, bientôt accompagnée de deux autres sphères suivies d’une immense boule de feu.

— Ce que vous voyez là est ce que vous appelez le soleil, une sphère elle aussi perdue dans l’univers.

— Donc le monde n’est pas plat ? demanda Nahul, déstabilisé par ces révélations.

— C’est exact.

— Et nous ne sommes pas les seuls dans ce que vous appelez l’univers ?

— Une fois de plus, je dois répondre par l’affirmative. De plus, ce vaisseau n’appartient pas à ce monde, mais à une autre sphère, une planète appelée la Terre. Pour une raison que je vais vous montrer, nous avons quitté cette planète afin d’en coloniser d’autres. Et il s’est avéré que ta planète était viable pour l’homme. Elle avait quasiment toutes les caractéristiques de la Terre avant l’apparition de l’homme.

— Mais alors nous…

— Oui, les êtres qui m’ont créé, les terriens sont vos ancêtres. Avant que nous n’arrivions ici, il n’y avait que faune et flore, aucune espèce de vie intelligente.

— Mais comment se fait-il que nous n’ayons jamais entendu parler de tout cela ?

— C’est là la raison pour laquelle les vieillards ont décidé de mourir ici, sans transmettre ces importantes révélations : il nous fallait protéger cette planète de nous-mêmes et de vous également. Mes créateurs et vous partagez le même sang. Il était donc logique que vous reproduiriez les mêmes erreurs.

— Quelles erreurs ?

— Pour l’instant il n’en est rien, mais regardez.

Une autre image fit son apparition. On y voyait une multitude de terriens, des milliards selon l’intelligence immatérielle et le comportement de cette foule que Xtron2076 lui expliquait au fur et à mesure : les déchets jetés n’importe où jusqu’à couvrir une partie des eaux, la pollution de l’air dans des villes gigantesques, le réchauffement de la planète qui fit monter l’eau , provoquant catastrophe sur catastrophe, la puissance d’armes terribles qui avait détruit une partie de la planète et une surpopulation qui avait précipité la destruction de la Terre. Les images étaient terrifiantes !

— Et vous croyez que cela pourrait arriver sur notre… planète ?

— La probabilité est de 93,7 %.

— Donc il reste une chance, un espoir…

— C’est exact : une chance sur 15,873. La question maintenant est : qu’allez-vous faire de toutes ces informations ? Les terriens croyaient que la science arrangerait tout, alors que c’est elle qui a tout détruit. Dans ce vaisseau existe une base de données de toutes les sciences de la Terre. Ce pourrait être un progrès immense, notamment en médecine. Ce serait une vraie révolution et une vie facilitée, améliorée. Mais la science, comme l’histoire l’a prouvé, est à double tranchant. Ce qu’on découvre pour soigner l’homme, on en découvre autant pour le détruire.

Après cette discussion éreintante mais passionnante, Nahul sortit du monde des songes.

Lorsqu’il recouvra ses esprits, ses deux compagnons étaient absents. Il entendit alors des cris venant de l’extérieur. Il sortit rapidement pour voir ce qui se passait. La terreur l’envahit. Il vit Asmel et Isha se battre contre la sentinelle. Elle les avait donc retrouvés ! Il ressentit la même peur que lorsqu’il l’avait vue la première fois avec ce masque de bourreau déshumanisé. Il se saisit de sa lance et de son bouclier pour prêter main-forte à ses amis. Le combat était inégal. Un être surentraîné contre une fille de la haute bourgeoisie et un homme ordinaire.

Le combat dura cinq petites minutes. Il arriva, juste à temps pour voir Isha se faire transpercer par une épée et s’effondrer au sol. Nahul, affolé, enlaça sa femme dans une ultime étreinte et sentit qu’elle rendait son dernier souffle. Asmel, fils d’Assar mourut peu de temps après avec honneur. La sentinelle se retourna. Nahul serait le prochain à périr par la lame de l’assassin…

Mais, alors que la sentinelle brandissait son épée, une brume apparut, et il se réveilla dans le vaisseau de métal.

Il sut immédiatement ce qu’il fallait faire. Se saisissant de sa lance il contourna la montagne métallique. Vite ! Il n’avait que quelques minutes. Il courut comme un fou, encore traumatisé par cette vision des songes où Isha mourait dans ses bras. Non ! Cela n’arriverait pas !

Il vit à nouveau le combat inégal qui se déroulait devant lui. Mais à la différence de tout à l’heure, il avait vu le futur et pouvait le changer. Il se trouvait derrière la sentinelle. Il s’en approcha le plus possible et, alors qu’Isha allait recevoir le coup fatal, il bondit sur la sentinelle et la transperça de sa lance en poussant un cri de dément.

Après l’excitation, un soulagement immense, une paix et une joie intense l’envahirent. Tout le monde était sain et sauf, et ils étaient enfin libérés de cette terrible menace qui les poursuivait depuis si longtemps !

Les trois amis se laissèrent tomber dans le sable, épuisé par toutes ces émotions. Tout était fini, tout allait rentrer dans l’ordre.

Mais cela n’était pas tout à fait vrai. Qu’allait faire Nahul des informations incroyables qu’il avait découvertes ? Il raconta tout ce qu’il avait vu à ses compagnons.

Isha, qui avait suivi des cours de sciences et de religion, était abasourdie :

— Donc nous vivons sur un monde rond et non pas plat !

— C’est cela.

— Et il y a d’autres mondes comme le nôtre, et le soleil ne tourne pas autour de nous ?

— Oui.

— Cela contredit complètement ce que le clergé nous apprend… et c’est aussi beau que terrifiant ! Nous ne sommes pas au centre de l’univers… Je comprends pourquoi la sentinelle était à nos trousses, maintenant. L’histoire de l’origine du monde et de la création de l’homme n’est qu’un tissu de mythes erronés… Nous sommes des produits d’hommes comme nous, et l’Éden du premier couple n’est qu’une illusion. C’est fou !

Asmel intervint :

— Et qu’est-ce qu’on doit faire de toutes ces informations ?… C’est à toi, Nahul, de prendre une décision. Jusqu’à présent, les anciens ont préservé le secret, préférant mourir ici. Mais la science, la médecine pourraient sauver de nombreuses vies… Peut-être ma femme serait-elle encore de ce monde grâce un tel savoir ? continua-t-il l’air absent.

Mais il se ressaisit :

— La prophétie disait que tu sauverais le monde. C’est à toi que revient la décision.

— En apparence, répondit Nahul, la connaissance de la science pourrait le sauver en effet… Mais j’ai vu les atrocités des hommes usant de cette science, j’ai vu les catastrophes, la destruction de la nature causée par eux. Nous sommes de leur sang, mais il ne sera pas dit que les enfants répéteront les crimes des parents !

— Que veux-tu faire, alors ? demanda Isha.

— Je vais faire ce qui doit être fait…

Nahul était sûr de lui. Effectivement, il sauverait le monde, mais sans que celui-ci ne le sache. Il se leva et s’avança jusqu’au vaisseau. Sa décision était prise depuis longtemps. Alors qu’il sortait de son songe, il avait demandé à Xtron2076 de lui montrer comment détruire le monument de métal. Il entra, appuya sur le bouton adéquat et sortit calmement rejoindre ses amis.

— Il faut nous éloigner.

— Qu’as-tu fait ?

— J’ai détruit ce qui, entre de mauvaises mains, aurait été la pire des armes.

Ils le suivirent, silencieux. Après un moment de marche, une explosion terrible se fit entendre. Tous trois se retournèrent, observant la « montagne sacrée » en flammes.

Nahul avait eu entre ses mains un pouvoir qui aurait fait de lui l’homme le plus important et puissant de la planète, mais par ce geste héroïque il savait qu’il avait accompli une destinée plus grande encore, avec des conséquences qui dureraient à travers les âges.

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