6:  LA TRAVERSÉE DU DESERT

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Marouka était bouleversée :

— Mais vous n’y pensez pas ? Il n’y a rien dans le désert, que mort et désolation. Personne ne vit là-bas...à part.…des démons !

Isha s’enfermait dans un mutisme inquiétant. Ce fut Nahul qui tenta de les rassurer :

— Si nous restons ici, c’est la mort assurée. Je suis désolé Isha. Ton père ne fera rien pour nous, je l’ai vu grâce aux baies... Et puis ces démons ne sont qu’une légende : personne ne les a jamais vus.

— Parce que ceux qui les ont croisés sont tous morts. Personne ne revient vivant du désert.

— Eh bien nous, nous en reviendrons ! Il faut toujours garder espoir... n’est-ce pas ce que l’on vous enseigne dans votre religion ? Dans la mienne, c’est une des vertus les plus importantes.

Intérieurement, la jeune fille bouillonnait. Soudain elle éclata :

— C’est ta faute, Nahul, tout est de ta faute ! À cause de toi je vais perdre mon père et tout ce qui faisait ma vie !

— Je sais, c’est dur en ce moment, mais fais-moi confiance, tout va s’arranger.

— Et comment ? Je ne vois pas comment cela pourrait s’arranger, tout est détruit, j’ai tout perdu !

— J’avais ce sentiment aussi lorsque j’ai quitté mon village, persuadé de les avoir laissés pour mort... mais il n’en était rien... Si tu veux, je connais une technique qui pourra t’apaiser. C’est le vieil ermite qui me l’a ensei...

— Je me fiche des bizarreries de ton vieux fou. Je suis en colère, c’est tout !

À ce moment précis, tout l’agaçait chez Nahul : sa confiance en lui et en l’avenir, l’impression qu’il donnait de maîtriser ce qu’ils vivaient... même ses cheveux longs l’énervaient.

Ses cheveux semblaient la narguer. Cet élément infime, ce détail insignifiant, représentait tout ce que Nahul lui renvoyait d’elle-même, de sa vie et de ses propres imperfections. Elle qui se voyait Kalel tout en peinant dans son rôle d’Isha... Sa vie était une farce tragique, dans laquelle elle jouait plusieurs rôles, vers un dénouement qu’elle ne devinait pas encore. Mais si elle restait dans la Grande Cité, sa vie ne pourrait se terminer que dans les larmes et la douleur.

De rage, elle tenta d’enlever sa perruque et, n’y parvenant pas, fondit en larmes.

Nahul s’approcha d’elle, plongea un regard plein de tendresse dans le sien et la prit dans ses bras. D’abord surprise, elle essaya de se débattre. Mais rapidement elle abandonna et se laissa enlacer par le jeune homme.

— Quoi que je fasse, ce sera pire…

— L’avenir n’est pas tracé. C’est à nous de l’écrire.

— Je croyais que tu étais l’élu, je croyais que tu étais prédestiné…

— Il existe une multitude de futurs et je veux croire que je pourrai décider du mien.

— Tu crois vraiment cela ?

— Oui, j’en suis persuadé.

— Je… j’admire réellement ton optimisme, répondit-elle émue.

— Tout s’arrangera…

— Et comment est-ce que tu peux savoir cela ?

— Je n’en sais rien. J’ai décidé d’y croire, c’est tout.

Isha était vidée, épuisée par toutes ces émotions contraires. Mais un sentiment de paix commençait à l’envahir. Rien de bon ne l’attendait ici, et l’aventure que lui proposait Nahul lui permettrait peut-être d’échapper au destin tragique qu’elle entrevoyait, quoi qu’il arrive, si elle restait ici.

C’est Marouka qui brisa le silence :

— Je trouve cette idée d’aller dans le désert complètement folle. Mais si vous êtes vraiment décidés, vous ne pouvez pas partir comme ça ! Je vais vous préparer de quoi boire et manger. Deux ou trois outres ne seront pas de trop.

Elle se précipita dans la cuisine et rassembla le nécessaire.

Tous trois avaient conscience de l’urgence de quitter cette maison et la Grande Cité. Nahul regarda par la fenêtre. Pas de traces de l’oiseau.

— Si on veut éviter la sentinelle, il nous faut reprendre les catacombes, lança Isha avec une assurance retrouvée.

— Tu as raison. Maintenant qu’il fait jour, ce maudit oiseau pourra nous retrouver. On a peu de temps.

Isha et Marouka se prirent longuement dans les bras. La nourrice ne put cacher son émotion, et les larmes aux yeux, les pressa de partir.

— Je connais un chemin pour sortir de la ville.

— Je te suis, répondit Nahul, impressionné par la force intérieure de la jeune fille.

Son monde s’écroulait, mais elle reprenait déjà le dessus.

Ils pénétrèrent dans les souterrains. Une fois de plus, Nahul eut impression de parcourir un véritable labyrinthe. Mais Isha savait où elle allait. Cette fois, le trajet à travers les tunnels humides fut plus long. Ils marchèrent de nombreuses heures, avec pour seuls compagnons le silence et quelques crânes ricanants.

Après un temps qu’ils ne purent mesurer, ils sortirent des catacombes. La nuit était tombée.

— Le désert se trouve à l’est, lança Isha, brisant le silence. Je sais un peu lire les étoiles. On va pouvoir se diriger. Il faut bien que tous ces cours barbants servent à quelque chose…

Ils marchèrent rapidement, préférant s’éloigner le plus possible de la ville et de leur poursuivant.

Quand le jour se leva, la végétation se faisait déjà plus rare.

Ils avaient décidé, d’un commun accord, qu’ils marcheraient la nuit et se reposeraient le jour pour échapper au terrible rapace. Ils cherchèrent un endroit pour dormir le plus discrètement possible. Ils trouvèrent un bosquet un peu plus feuillu que les autres et montèrent le camp afin de s’y cacher. Ils mangèrent un petit peu et s’allongèrent, trouvant le sommeil rapidement.

Ils firent de même durant plusieurs jours, se ravitaillant comme ils le pouvaient le long de la route. Et une nuit, alors que le soleil se levait à peine, le désert leur apparut dans toute sa majesté.

Isha fut prise d’un vertige : ces grandes étendues de sable symbolisaient la liberté absolue, un espace vierge et sans fin, mais également un risque mortel. Elle retira ses chaussures et s’avança sur le sable encore frais de la nuit. C’était comme si elle communiait avec la nature pour la première fois, elle, la fille de la ville. Elle se laissa tomber dans le sable et attendit que le soleil naissant la réchauffe.

Nahul fit de même. Les deux adolescents se regardèrent et partirent dans un rire libérateur.

Leur relation avait décidément évolué. La colère d’Isha avait disparu. Elle avait été sensible à tous les petits gestes d’attention du jeune homme. Sa façon protectrice de marcher à ses côtés, toujours à l’affût du moindre danger pour elle. Le soin qu’il prenait pour préparer leur couche. Son regard bienveillant, sa douceur et même l’habitude qu’il avait prise de lui faire croire qu’il avait bu à satiété, alors qu’elle savait très bien qu’il lui laissait le plus d’eau possible.

Isha lui avait fait remarquer ce dernier point. Nahul avait rougi.

— On est dans la même galère, et tu n’as pas à te sacrifier. Jure-moi que tu boiras à ta soif.

— D’accord, c’est promis, avait bafouillé le jeune homme, rougissant un peu plus encore.

Ils s’enfoncèrent donc dans le désert. Chaque dune ressemblait à une autre dune, et le soleil tapait si fort qu’après quelques jours ils se sentirent perdus et hébétés par la chaleur. Tout n’était que vide, et l’espoir avait presque disparu. Dans un tel endroit, marcher la nuit et dormir le jour était devenu impossible. La température abrutissante et l’absence d’ombre les empêchaient de se reposer le jour. Cela aurait entraîné leur mort, assurément. Ils marchaient donc le jour, se reposaient quelques heures seulement la nuit et se réveillaient tôt pour profiter des étoiles. Tourner en rond était pour eux la pire des hantises.

Ils avaient perdu tout repère temporel. Depuis quand marchaient-ils ? Ils ne le savaient pas… Une semaine ? Dix jours peut-être ? De plus, les réserves d’eau étaient quasiment épuisées. Ils les économisaient autant que possible mais bientôt il ne resta que quelques gouttes. Leurs lèvres étaient gercées, et leur gorge était plus asséchée qu’un humain ne pouvait le supporter.

Mais alors qu’ils allaient abandonner, assurés tous deux de leur mort prochaine, une étendue d’eau apparut à quelques centaines de mètres. Utilisant leurs dernières forces, ils se mirent à courir, leurs pieds s’enlisant dans le sable brûlant… Ce n’était pas une illusion, ils avaient atteint une sorte d’oasis, ou plutôt une mare à l’eau croupie. Mais pour eux c’était un véritable miracle, et ce liquide se révéla être le plus doux des nectars.

Mais, alors qu’ils savouraient cet instant de bonheur inattendu, Isha se tourna vers Nahul, terrifiée :

— J’ai été piquée ! Quelque chose m’a piquée ! cria-t-elle.

Ils virent alors un scorpion partir au loin pour s’enfoncer dans le sable. Il fallait faire quelque chose, et vite. Une piqûre de scorpion pourrait être fatale et personne ne viendrait les aider dans ce vide désertique. Nahul prit rapidement une décision :

— Il faut que je te retire ce venin.

— Comment... comment est-ce que...

— Pas le choix. Il faut que je l’aspire et que je le recrache.

— Non ! C’est trop dangereux !

— On n’a pas le choix... et puis, tu sais, je l’ai déjà fait avec des piqûres de serpent ça ne doit pas être vraiment différent, dit-il avec le sourire.

— Et si tu en avalais ?

— Ne t’inquiète pas Isha, ça va aller.

Il se rapprocha d’elle, observa son mollet qui commençait déjà à gonfler, prit une respiration et commença à aspirer sans la moindre hésitation. Le liquide entrait dans sa bouche, plus épais que celui des serpents auquel il était habitué. Rapidement il recracha le terrible venin. Il s’y reprit à plusieurs fois pour être vraiment certain que le danger était écarté.

La jambe d’Isha avait cessé d’enfler. Ils se sourirent avec tendresse. Mais après quelques minutes, Nahul se sentit mal. Sa vue se brouilla.

Il n’osa pas le dire tout de suite à Isha, mais celle-ci le remarqua aussitôt.

— Ça ne va pas, Nahul ?

— Si, si, ne t’inquiète pas...

— Arrête de me mentir, Nahul, après tout ce qu’on a traversé, après tous ces moments passés ensemble, je commence à te connaître. Et je vois bien que ça ne va pas.

— Tu as peut-être raison... j’ai dû avaler un peu de venin. C’était différent des serpents des marais, sourit-il, tentant de dédramatiser la situation.

Mais la situation était grave. Isha ne pouvait plus marcher et Nahul s’affaiblissait chaque instant un peu plus. Ils allaient mourir dans cette oasis.

Avant que le jeune homme ne perde connaissance, Isha lui prit la main tendrement et lui avoua enfin ses sentiments :

— Je t’aime Nahul... C’est la première fois pour moi mais je t’aimerai toute ma vie, même dans l’au-delà !

Une aura de lumière dorée entoura Isha avec une puissance inédite. Tout juste put-il dire :

— Je t’aime moi aussi.

L’aura les envahit tous les deux, les réunissant dans une symbiose parfaite.

Alors qu’il allait perdre conscience, Isha lui hurla :

— Tiens bon, mon amour ! Je vois des hommes qui arrivent. Nous sommes sauvés !

Mais Nahul perdit connaissance.

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