2: LE BANQUET

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En rentrant au village, les deux amis flottaient sur un petit nuage : allaient-ils être promus au rang d’Inen ? Les chasseurs restaient silencieux, à l’aguet des bruits du marécage. Une ultime proie serait toujours la bienvenue… Mais le gibier à proximité du village était plus prudent. Familier des odeurs des hommes, il les fuyait de loin. Peu importait, la Traque avait été bonne.

Quand la matriarche vit arriver les deux adolescents, elle exprima l’inquiétude qu’elle avait éprouvée et son soulagement de les voir sains et saufs.

— Ce sont des braves ! Ils ont réalisé leur première communion.

— Ces chenapans ? dit-elle en souriant. Je me disais bien que mes cours leur seraient utiles.

Nahul et Barnel se mirent à rougir.

— Je sais que vous n’étiez pas très assidus à mes enseignements, mais tout ce que je tente de transmettre aux jeunes de la tribu, c’est de pouvoir survivre dans les marais. Et vos escapades régulières vous ont bien formé. Je n’avais plus rien à vous apporter.

— Matriarche, intervint le chef des chasseurs, je considère qu’aujourd’hui ces deux jeunes gens ont prouvé qu’ils seraient dignes d’être des Inens, et je pense qu’avec une formation approfondie à mes côtés ils pourraient participer à la prochaine Traque.

La vieille femme réfléchit un instant, mais rapidement la gravité se changea en un sourire, ce sourire bienveillant qu’elle arborait en permanence.

— Et bien demain soir nous nous réjouirons deux fois : pour le succès de la Traque et pour l’entrée de deux nouvelles recrues dans la faction des Inens ! Cette nuit sera votre nuit, cher Nahul, cher Barnel, alors savourerez-la comme il se doit.

Le lendemain fut consacré à l’organisation de la fête. Les femmes dépeçaient les bêtes afin que les hommes puissent les faire rôtir à la flamme. Les meilleures couturières préparèrent les vêtements cérémoniaux pour les deux futurs Inens.

Cette journée fut comme un rêve éveillé pour les deux héros. Tout auréolés de gloire auprès des jeunes du village, ils étaient une source d’envie pour les garçons, et les jeunes filles voyaient différemment ces deux futurs chasseurs, ces deux jeunes adultes. Tout allait changer désormais : ils trouveraient femme et deviendraient d’illustres chasseurs. Les odeurs du festin attiraient les plus jeunes, impatients de vivre cette nuit de fête.

La Matriarche fit venir les deux jeunes gens dans sa tente et expliqua en détail aux deux amis les étapes du rituel ainsi que leurs significations profondes, ancestrales. Pour une fois, ils furent très attentifs à ce que l’Ancienne leur transmettait : la nuit, période de changement où l’on affronte ses plus grandes peurs ; le feu purificateur symbole de renaissance ; l’ingestion de la proie qui renouvelle la force, occasion de remercier la nature pour ses dons ; et enfin l’habit en peau de bête, qu’ils porteraient pour la première fois ce soir, liant l’homme à l’animal. Leurs deux habits seraient cousus à partir de leur première proie : ils partageaient le même animal totem, ce qui faisait d’eux des frères d’armes avec un lien tout particulier.

Le soir arriva enfin. Les deux amis étaient cloîtrés à l’intérieur d’une grande tente, alors que la cérémonie commençait. Ils devaient attendre qu’on les appelle par leur nom d’Inen afin de réaliser le rituel. Le sort fit que Barnel fut appelé en premier. Nahul devina son émotion et était impatient qu’on l’appelle à son tour.

Mais alors qu’il attendait, des cris retentirent :

— La Matriarche !

Nahul s’apprêtait à sortir de la tente quand un vieil homme apparut à l’entrée. Le garçon, les muscles bandés, était prêt à se battre, mais l’homme l’immobilisa avec une force qu’il n’aurait pu soupçonner chez quelqu’un de cet âge. Il lui dit avec une voix chaude et douce :

— Désolé pour tes amis… ils vont tous mourir. Crois-moi, les quatre sentinelles sont trop puissantes, même pour tes fiers guerriers.

Nahul était sans voix, partagé entre l’envie de croire cette voix rassurante et le doute qui l’étreignait. Cela était-il possible ? Tout s’était passé très vite… Fallait-il lui faire confiance ? Des hurlements de peur semblaient fuser de toutes parts…Il ne savait pas ce qui se passait réellement, mais il devait intervenir. C’était son devoir. Il tenta un mouvement mais l’homme le maintint immobile.

— Si tu y vas maintenant, tu mourras peut-être en héros pour les tiens, mais ta vie est plus importante. Tu ne dois pas mourir ce soir. Ce n’est pas écrit ainsi.

— Qui… qui êtes-vous ?

— Je suis quelqu’un qui est relié à toi, et je suis là pour te sauver la vie ce soir afin que tu en sauves beaucoup plus… mais pas cette nuit.

Barnel entra, l’air affolé, dans la tente. Quand il vit l’homme, il brandit sa lance, prêt à défendre son frère. Nahul l’interrompit.

— Je crois qu’il est ici en ami…enfin j’espère. Qu’est-ce qui se passe dehors ?

— C’est horrible ! La Matriarche a été assassinée. Des flèches ont jailli de toute part. On n’arrive pas à les voir, ils sont comme des ombres. Il y a déjà eu beaucoup de morts. Nos guerriers ne parviennent pas à les combattre.

— Il nous faut fuir rapidement, pressa le vieil homme.

— Tu lui fais vraiment confiance, Nahul ?

— Je ne sais pas…

Il regarda à nouveau le vieil homme droit dans les yeux.

— Mais je crois qu’on n’a pas vraiment le choix…

Les deux amis eurent la même idée : la pirogue de l’arbre. Ils traversèrent le marais le plus rapidement possible et, alors qu’ils arrivaient, ils sentirent que les sentinelles étaient toutes proches. Mais les deux garçons l’avaient prévu, c’était leur plan. Trois ombres sur les quatre parvinrent à les rattraper. Ils étaient impressionnants, entièrement vêtus de noir avec un masque tout aussi sombre, des masques terrifiants qui ne laissaient aucun doute : la mort n’était pas loin. Sûrs de leur réussite les tueurs s’avancèrent vers eux. Mais ils n’avaient pas vu les sables mouvants, bien connus des garçons, et ils s’enlisèrent irrémédiablement pour disparaitre sous la vase des marais.

Ce n’était pas fini. Il restait encore un tueur à leur trousse. Les deux garçons dégagèrent rapidement le bateau mais, au moment de monter, Barnel recula.

— Qu’est-ce que tu fais, Barnel ?

— Je ne viens pas avec vous.

— Quoi ?!

— Non, je dois voir ce qui reste du village.

— Mais…

— C’est sa mission, interrompit le vieil homme, la tienne est différente, Nahul.

Alors qu’il partait, Barnel se retourna et lança à son ami :

— On n’a jamais découvert le mystère du passé de notre bateau, mais peut-être qu’il était là pour ce moment, pour que tu puisses t’échapper…

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