Chapitre 2

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Il leur fallut plusieurs journées pour retrouver les pillards. Ralentis par leur butin, ces derniers avaient pourtant rapidement dépassé les limites envisagées par l’armée, et s’étaient même trouvé un endroit bien caché dans des grottes. C’était d’ailleurs peut-être pour ça qu’ils ne s’attendaient pas à être attaqués…

Les hommes à l’affût avaient entouré le campement sans aucun bruit. Déjà la nuit tombait d’une couleur de sang et limitait la vue, mais juste assez pour mieux les cacher. Dans les grottes, on entendait chanter, rire et parler fort. On applaudissait, on acclamait des ennemis encore invisibles à leurs yeux. Loup, les oreilles baissées, lui aussi caché derrière une petite dune escarpée, pouvait entendre les pas raisonner sur la pierre.

« On les prend par surprise à la lune haute » murmura Azor. Tous hochèrent la tête et se passèrent le commandement en quelques gestes succincts. Ils continuèrent alors à guetter sans rien dire.

L’attente fut moins longue que prévue et, alors que la nuit commençait à s’avancer, l’un des pillards sortit un peu plus loin que les autres sentinelles. Il monta les dunes alentour, renifla l’air d’un air suspicieux. C’était un guerrier assez grand, les longs cheveux noirs tombant sur ses habits usés.

Un bruit. Il se retourna brusquement.

Loup sauta sur lui, lui trancha la gorge d’un seul geste avant même qu’il n’eût le temps de crier. Le liquide poisseux tomba sur ses mains, sur son visage, lui réchauffa la peau avec délectation. Azor hocha la tête, lança enfin l’attaque d’un ton sec. Tous se ruèrent alors quelques mètres plus bas, fondirent comme des vautours vers les ouvertures enluminées. Des cris retentirent, raisonnèrent dans les boyaux de terre. Loup s’essuya le visage et suivit ses compagnons, le cœur battant, la lame rouge éclairée par la lune.

Le combat fut de courte durée : retranchés dans les grottes, les voleurs avaient bu et manquaient de réflexes. Un petit groupe avait réussi à se barricader derrière un monticule de pierres, bloquant l’accès autant qu’ils pouvaient ; mais les autres avaient péri en quelques minutes sous l’assaut maîtrisé de l’armée.

« Ce serait risqué pour nous de rentrer dans le tunnel» dit un soldat au capitaine, tout en sortant son épée d’un cadavre à ses pieds.

Azor acquiesça, attrapa une torche tombée par terre.

« Vous savez comment on débusque les renards ? » demanda-t-il.

Le jeune homme secoua la tête. Azor tendit alors le flambeau, mit le feu à un tas d’habit et de bois sec laissé à terre.

« Sortez, nous reviendrons plus tard. »

La légion évacua, s’écarta des grottes enfumées. Loup fit la moue en voyant la méthode utilisée, se rapprocha de son chef.

« Les étouffer ? Vraiment ? »

Le capitaine secoua la tête.

« La guerre, c’est la guerre. Peu importe la façon de faire. »

Alors, tous regardèrent le feu crépiter et les gros nuages noirs monter au-dessus d’eux. Un homme essaya de sortir en criant, mais une flèche le toucha de plein fouet. Un autre encore tenta une percée, mais reçut le même accueil. Ils étaient faits comme des rats. L’un des compagnons de Loup poussa un cri de victoire. Un autre se mit à rire :

« Ils n’ont rien vu venir, ces imbéciles ! »

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Enfin, quand les plaintes des condamnés se turent, et quand les flammes s’éteignirent en même temps que les étoiles, l’armée de l’Empire rentra à nouveau dans les grottes noircies. Il y régnait une odeur nauséabonde de mort et de cendre, et Loup fronça le nez de dégoût.

« On en a fini ? » dit-il à son capitaine.

L’homme s’était penché vers le sol et fouillait les affaires restantes remplies de fumé. Il semblait sortir plusieurs choses des sacs délaissés.

« Il n’y a pas tout.

—Peut-être que le reste a brûlé ? »

Azor secoua la tête, continua de fouiller.

« Ils étaient moins nombreux que prévu… Beaucoup moins…

—Et ça veut dire quoi ? demanda Loup.

—Qu’ils ont déjà laissé des affaires chez eux.

—Chez eux ?

—Un village. »

Le chef s’écarta, sortit des grottes d’un air résolu.

« Et on fait quoi ? demanda Loup.

—On les retrouve. Et on les tue »

Tous hochèrent la tête d’un air entendu et se remirent en marche. La légion frontalière était aussi connue pour son acharnement et sa férocité.

« Tu saurais où ils pourraient se cacher ? »

Azor se tourna vers Loup, espérant que son meilleur éclaireur puisse dénicher les derniers fauteurs de trouble. Le jeune homme regarda aussitôt autour de lui, jeta un coup d’œil vers l’horizon flamboyant.

« Tu as l’habitude des plaines.

—Mais je ne suis jamais venu dans cette région… dit le prédateur, hésitant.

—Cela reste pareil. »

Loup hocha la tête et s’écarta, ouvrit la marche en s’enfonçant un peu plus dans les terres désolées. S’il devait suivre son sixième sens de nomade, il savait qu’il pourrait les retrouver.

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« Hey, tu viens d’où ? »

Un jeune garçon à peine plus âgé que Loup s’avançait avec enthousiasme, à la tête d’un petit groupe d’enfants.

« De par là-bas » indiqua vaguement le jeune garnement aux cheveux gris. Il avait le visage sale, les côtes saillantes, mais déjà dans ses yeux brillait une vive lueur féroce et malicieuse.

« Et pourquoi tu as rejoint l’armée ? »

Un autre enfant donna un coup de coude rieur, pointa du doigt les jambes et le visage maigres du prédateur.

« Tu n’avais rien à manger chez toi ? »

Loup haussa les épaules.

«Ça va, y a pire… »

Le petit chef fouilla dans ses poches, attrapa un linge soigneusement fermé. Enfin, il en sortit quelques morceaux de viande fumée, qu’il tendit en souriant.

« Tiens. »

Le jeune loup le regarda, méfiant. Il venait tout juste d’arriver dans le groupe, et ne savait pas trop comment prendre les marques d’intérêt qu’on pouvait lui porter. Délaissé par l’homme qui venait de le recruter, il se retrouvait avec cette petite équipe de jeunes recrues, et il ne savait pas s’il devait y faire attention. Il se frotta le bras d’un air gêné.

« Ne t’en fais pas, on se serre les coudes ici… »

Le garçon, d’une ossature carrée et vigoureuse, semblait assez fort pour le mettre au sol d’un seul geste. Pourtant, son sourire amical semblait sincère. Loup attrapa la viande, la croqua avec appétit.

« Tu es le bienvenu ici. Tu sais, c’est un peu comme si on allait devenir frères ! »

Le jeune mâtin lui tapa dans le dos, le ramena à ses côtés pour lui faire visiter le camp.

« Ici, on peut faire tout ce qu’on veut. On est nourri, logé. On n’est pas seul. Si tu as des problèmes, suffit de venir nous voir. »

Loup releva la tête, dévisagea le petit groupe qui le regardait avec curiosité.

« Eux, c’est mes amis. On va tous devenir membre de la légion ! » continua l’enfant avec enthousiasme.

—Tu veux nous rejoindre ? » demanda un autre, hésitant.

Tous restèrent pendus à ses lèvres, attendant avec impatience la réponse du nouveau venu.

« Pourquoi pas… » répondit Loup d’un ton neutre. Pourtant, son cœur se serra, ravi d’être ainsi accepté par la meute.

Le chef sauta sur lui, le mit à terre en riant.

«Alors… tous à l’attaque !!! »

D’autres enfants sautèrent sur lui, l’étouffant presque. D’abord surpris par leur réaction, il se mit à rire lui aussi avec eux, se roula en boule dans la poussière en attrapant le bras d’un de ses nouveaux compagnons, en mordant l’épaule d’un autre.

« Haaaa les gosses… soupira un soldat, passant juste à côté.

—Baaaah, laisse-les, en dit un autre. C’est de leur âge de s’amuser !

—Ça promet une belle escouade de j’en foutre, ouais …! »

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Il ne fallut pas plus de deux jours pour enfin trouver des traces de la tribu cachée. Des foyers laissés à l’abandon, des traces de pas d’hommes, de femmes et d’enfants : il suffisait désormais de remonter la piste. Loup pointa du doigt une empreinte qui ne faisait pas la moitié de sa main.

« Ils sont faibles, il y a peu de guerriers.

—Ils ont choisi de se séparer, les imbéciles… »

Azor soupira, se gratta la tête en soupirant.

« Tu sais, parfois, on est obligé de faire le pire. »

Loup ne répondit pas et acquiesça froidement.

« Et de toute façon, nous manquons de vivres. Il faudra les retrouver et se servir chez eux. »

Ils continuèrent rapidement le chemin. Soudain, Loup s’arrêta, fixa le ciel en plissant les yeux. De la fumée lointaine perçait l’horizon : trois ou quatre feux de camp, sans doute allumés pour les repas.

« Capitaine ! À quatre heures de marche ! »

Azor s’approcha de lui, regarda aussi les airs en souriant.

« Et bien voilà ! »

Il tapa le dos de Loup d’un air satisfait, puis s’écarta en criant :

« On fait halte et on se repose ! Nous les attaquerons dans la nuit. »

Loup continuait à regarder fixement les nuages et les traces se dirigeaient plus loin entre les herbes sèches. Quelque chose le dérangeait, mais il ne savait pas quoi. Il serra le poing, ravala sa salive en grognant puis revint vers les autres sans dire un mot.

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