Chapitre 3

7 minutes de lecture

Ils repartirent à la tombée de la nuit, alors que le soleil s’en allait mourir derrière la terre meurtrie. Rapidement, la lune prit le relais, et la meute se fraya un chemin sous la lumière de ses rayons. La légion était grande, assez pour ne pas passer inaperçue sur un terrain aussi découvert. Pourtant, il fut assez simple d’approcher le village de quelques lieux. Ils étaient encore trop loin pour voir les silhouettes des habitants, mais des odeurs de nourriture arrivaient jusqu’aux narines de Loup. Cela lui réveillait de vieux souvenirs et des relents d’épices lui mirent l’eau à la bouche. Son ventre se serra, et il se rappelait combien il avait faim lui aussi.

« On part à l’attaque ? » demanda-t-il enfin, impatient.

Le capitaine secoua la tête, songeur.

« Envoyons des éclaireurs. Le piège est toujours possible… Et au pire, vous ferez le ménage avant notre arrivée.

—Je pars en éclaireur ?

—Je vois bien que tu en meurs d’envie. »

Loup fit un large sourire carnassier, se crispa légèrement en imaginant la bataille à venir. Son sang commença à bouillir.

«Allez-y. On attend le signal. »

Le jeune soldat partit avec trois autres compagnons. Le profil bas, la marche silencieuse, ils s’approchèrent lentement de l’endroit. Les villageois n’avaient pas encore eu le temps de bâtir une palissade, mais s’étaient arrangés pour mettre quelques tas de bois pour empêcher les bêtes de rentrer. Malgré tout, cela ne suffirait pas pour les ralentir. Exploitant les failles de l’installation de fortune, ils se divisèrent alors pour rentrer dans le campement.

Le jeune loup, les yeux luisants, rôdait entre les tentes et les abris montés avec hâte. Tout le monde semblait dormir, et seule la braise des feux mourants, crépitant dans un dernier souffle, faisait encore du bruit. Les toiles tendues vibraient au rythme des brises nocturnes, glaciales, et claquaient parfois en raisonnant. L’homme choisit au hasard sa première victime, écarta sans bruit un pan de tissu et se glissa lentement entre les quelques meubles posés là. Un parfum lui monta aux narines, le figea d’un coup. Un éclair le traversa le long de la colonne vertébrale, le fit trembler sans le vouloir. Il rattrapa de justesse son couteau, serré dans sa main jusqu’à lui faire blanchir les phalanges. Ses poils se hérissèrent, mais il avança encore, pour être sûr.

Ces odeurs, ces tissus, ces objets. Tout lui disait quelque chose. Quand enfin il s’approcha du lit de peau, la lame levée et prête à frapper, il vit ce qu’il redoutait le plus depuis des années. Empêtrée dans les couvertures, une jeune femme dormait à poings fermés. Elle serrait dans ses bras une petite fille qu’il ne connaissait pas, d’à peine quelques années. À côté, blotti dans son dos, un jeune garçon d’à peine dix ans, ronflait légèrement. Son frère. Aussitôt, Loup se rappela : ses amis d’enfance, sa famille, son pays. Son village qu’il avait laissé depuis plusieurs années. Il ne connaissait pas le trajet de son ancienne vie nomade, mais ils avaient visiblement fini par venir jusqu’ici, poussés par la famine et le climat.

Loup se souvint alors de son ancien chez lui. De sa mère, les yeux remplis de larme, qui l’avait laissé partir.

« C’est pour son bien » avait-elle murmuré à son père qui le regardait s’écarter avec inquiétude.

Tout le village avait essayé de le retenir, puis l’avait finalement salué en le regardant s’éloigner. Le jeune Loup de l’époque espérait bien gagner assez d’argent pour revenir un jour, pour leur rapporter tout ce qu’il fallait et enfin mieux vivre. Il ressentit les douces caresses de sa mère, les morsures amicales de ses frères et sœurs, leurs voix joyeuses quand il leur avait promis de revenir avec des cadeaux.

Loup ravala sa salive, recula, le cœur battant. Soudain, un hurlement.

Le jeune homme se précipita dehors, courut de toutes ses forces prévenir les autres. Déjà, la panique commençait à enfler dans le camp, et des cris fusaient de toute part. Le signal avait été lancé. D’un coup, une tente prit feu à quelques mètres de lui. Il vit sortir plusieurs hommes, plusieurs femmes qu’il était sûr d’avoir déjà vus. Un flot de souvenirs l’envahit, des noms remontèrent dans sa mémoire.

« Non ! » cria Loup, paniqué.

Les soldats déferlèrent sur eux avec une rage féroce.

«Non !!! »continua de hurler Loup en allant vers l’armée. Ses compagnons le contournèrent sans l’écouter, ne le virent même pas, et sortirent leurs épées sans ménagement. Déjà, plusieurs cadavres tombaient au sol comme des feuilles, et d’autres villageois s’enfuyaient en hurlant. Des visages, fugaces, lui revinrent à l’esprit. Des visages qu’il revoyait à l’instant même, grimaçants de douleur et de peur. L’un de ses anciens amis d’enfance s’écroula devant ses yeux, traversé par une lame luisante.

« Arrêtez !!! »

Loup sauta sur l’un des soldats, lui planta son couteau sans ménagement, sans même réfléchir un instant. Son frère d’armes. Il ne vit pas tout de suite que c’était l’un de ses meilleurs compagnons, celui-là même qui l’avait accueilli dans le groupe avec enthousiasme il y a quelques années de cela. Le vigoureux mâtin au sourire amical et qui avait bien grandi. Le cœur de Loup se serra en le voyant enfin, et des larmes lui montèrent aux yeux quand le corps de l’homme tomba au sol.

« Loup ?! Que fais-tu ?! »

La silhouette d’Azor apparut, éclairée par les flammes rougeoyantes qui montaient de plus en plus à travers le campement.

« C’est mon village ! C’est mon village !!! répéta Loup, sous le choc, la lame dégoulinante de sang.

—Tu n’as plus de village ! »

Le jeune soldat resta immobile, secoua la tête de toutes ses forces en rugissant.

« C’EST MON VILLAGE !!! »

Il courut sur Azor, le fit tomber lourdement au sol pour l’empêcher d’avancer et planta son couteau dans son épaule. Loup savait comment leur bataille devait tourner. La légion ne faisait pas de quartier, et elle ne ferait aucune exception.

« Loup, écarte-toi, ce sont les ordres !!! »

Azor se débattit, plaqué au sol, et donna un violent coup à la mâchoire du Loup. Le jeune homme recula, se fit brusquement pousser sur le côté. Azor roula et se remit enfin sur ses pieds en haletant, tenant son bras ensanglanté.

« Il faut que tu te ressaisisses ! » hoqueta Azor, lacéré par la douleur.

Des larmes coulèrent sur les joues du loup. Plus loin, il crut reconnaître la silhouette de sa mère, de son frère.

« Je ne peux pas. Vous allez tous les tuer ! »

Azor regarda autour de lui, se redressa enfin en le toisant du regard.

« Et tu vas essayer de me tuer pour m’en empêcher ? »

Un cri d’enfant fit trembler Loup un peu plus.

« Loup, tu es un traître ! »

Le jeune renégat baissa les oreilles, montra les dents avec rage.

Qu’il en soit ainsi !

Il sauta encore une fois vers Azor, fut bloqué par un autre soldat qui arrêta sa lame de son épée. C’était lui aussi un ami, un frère avec qui il avait mûri et apprit le pouvoir du fer.

« Tu dois arrêter… lui souffla son compagnon en poussant son arme de toutes ses forces. Tu as déjà tué l’un des nôtres… !

—Je ne peux pas, murmura Loup dans un sanglot désolé.

Le soldat plissa le regard, les yeux remplis aussi de larmes.

—Je sais… » répondit-il enfin.

Loup lui lança un violent coup de pied, fit un geste rapide de sa dague vers son cœur.

++++++

Le campement était dévasté, et le feu léchait les dernières tentes déchirées. Au sol, les cadavres de ses frères, des deux camps opposés, gisaient. Loup était à genoux dans la poussière, le visage couvert de sang, de terre et de larmes. Il avait lâché sa lame brisée, regardait le sol d’un air hébété. Il avait retrouvé plus loin les corps de sa famille, ceux qu’il avait abandonnés quelques années plus tôt. Même sa plus jeune sœur n’avait pas été épargnée. Il ne lui restait plus rien. Il n’avait pas réussi à les protéger, comme il leur avait promis en partant à l’armée. Tout ce gâchis pour rien… Il ouvrit la main, jeta un dernier coup d’œil vers une petite poupée cassée. Celle que la petite louve serrait quand il l’avait retrouvée, le jeune corps lacéré par les lames.

« Loup ! »

Le capitaine était encore bel et bien en vie, un bandage ensanglanté et sale à l’épaule.

« Tu nous a trahi ! »

Loup hocha la tête sans rien dire. Son chef avait son arme sortie, recouverte de sang elle aussi. Pourtant, il ne s’approcha pas.

« Pars ! Ne reviens jamais ici ! »

Le jeune homme releva le visage, les yeux humides mais luisants d’une haine sauvage.

« Pourquoi je reviendrais ?! Vous avez tué ma famille !

—C’était nous, ta famille ! »

Loup secoua la tête, se releva douloureusement.

« Vous n’êtes que des chiens… Des chiens qui ne font que suivre des ordres.

—Tu es pareil… Tu es comme nous ! »

Loup se redressa, gonfla ses poumons et hurla avec rage.

«Je ne serai jamais comme vous ! »

Azor recula, intimidé. Ses hommes derrière lui s’étaient immobilisés, les regardaient d’un air interdit. Enfin, le capitaine se retourna, s’écarta sans un geste.

« Laissez-le. On s’en va ».

Tous le suivirent et s’éloignèrent lentement. Loup cru entendre des insultes, des hommes cracher vers lui, mais il ne bougea pas.

« Si on te revoit, on te bute » s’exclama l’un de ses anciens compagnons. L’un de ceux qui lui avaient déjà maintes fois sauvé la vie.

Loup resta seul au milieu des ruines fumantes encore roussies par les flammes et le sang. Plus un bruit ne vint à ses oreilles hormis le crépitement du bois brisé et les hurlements du vent. Mais déjà, il ne pleurait plus.

Il ne lui restait plus rien.

Il était libre.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Alyciane Cendredeau ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0