1. Bout de papier

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Réveil en sursaut, j’ai cru entendre ma porte d’entrée claquer mais ça ne se peut. Je vis seul, et j’ai cette manie affreuse de toujours vérifier que la clé est tournée à double tour avant de monter me coucher. Donc, il n’y a pas de doute, j’ai juste fait un cauchemar. Un rêve semi-conscient qui m’a poussé à l’éveil sans mon accord. Surtout un samedi matin à huit heures, alors qu’on est au début du mois de Novembre, qu’il fait un froid de canard dehors, et qu’il n’y a rien à faire en hiver dans notre petite ville.

Le sud-ouest l’hiver, c’est la mort !

— Aller, Caleb rendors-toi mon vieux.

J’essaie de m’encourager à retrouver les bras de Morphée, sauf que mes yeux s’ouvrent en grands, et mes sourcils se froncent lorsque j’entends à nouveau ma porte dans un fracas. Génial ! Qui est l’abruti qui a oublié de la verrouiller ? Pour ça, je n’ai pas à chercher bien loin. Le seul coupable, c’est moi. Pourtant, je suis sûr d’avoir effectué mon tour de guet avant de me coucher hier. Étrange mais pas impossible que j’ai oublié ce petit détail-là.

Dans un grognement, je roule sur le côté du lit, me redresse et enfile mes chaussons. Vaut mieux avoir les pieds au chaud ici et je déteste avoir les pieds froids. C’est ridicule, je sais. J’entends à nouveau un bruit, cette fois, je m’inquiète un peu. Et si quelqu’un avait pénétré chez moi pendant la nuit ? Ce serait d’un pitoyable ! Se faire cambrioler alors qu’on dort paisiblement à l’étage, la honte. Mes deux acolytes d’amis ne se gêneront pas pour me le faire remarquer quand je leur raconterais.

Ou alors, je garde ce passage sous silence, et ce ne serait pas nouveau. Franchement, qui connaît tout de la vie de ses amis dans les moindres détails ? En tout cas, pas moi ! Et eux, non plus. D’ailleurs, je ne préfère pas, le passé est très bien là où il est. Je n’ai pas besoin de lui maintenant. D’autant plus qu’aujourd’hui ma vie est presque parfaite !

Presque, parce qu’elle ne peut pas l’être totalement tant que je n’aurais pas trouvé la femme de ma vie. Idiot comme concept ? Peut-être, mais il ne manque que ça à ma vie. J’ai réussi côté professionnel, patron d’une petite entreprise d’électricité et plomberie, je dirige une équipe d’une dizaine d’artisans. Et s’ajoutent à ça, mes différents appartements. Donc on peut dire que j’ai un quotidien en sécurité.

Enfin… En sûreté mais sans amour, et sans famille.

Je sursaute une nouvelle fois alors que je suis dans les escaliers et je manque de débouler les quelques marches qui me restent à descendre sur les fesses. Je soupire, c’était juste, merci à la rambarde à laquelle je m’accroche. Sans elle remarque, je serais déjà en bas, et le fracas aurait sûrement fait fuir mon voleur. Terminant ma descente en toute tranquillité, je pose mon regard dans tous les coins du séjour à la recherche d’indices. Mais rien n’a bougé.

— Sauvé !

Je traverse le salon, me dirige vers ma porte d’entrée. Le petit couloir qui y mène est sombre, des fois un frisson me parcourt quand je le traverse. Pourtant il n’a rien de passionnant ou d’inquiétant au contraire, il nous guide vers le placard à manteau, et les toilettes. Pratique quand on rentre de soirée mais pas assez étrange pour me faire peur. Arrivé face à ma porte, l’une de mes mains se positionne sur ma hanche alors que la seconde vient me gratter le front.

Étrange.

J’avance, tends le bras vers la clé, et le porte-clés tressé qui pendent à la serrure. Alors que je pose mes doigts dessus et que je commence à tourner le verrou, je suis pris de stupeur par un nouvel éclat sonore. Mon saut de terreur passé, je me retourne et file dans le séjour qui est tout d’un coup bien lumineux.

— Merde ! Le volet ! Mais quel imbécile ! Dis-je en me frappant le front.

J’ai dû oublier de l’attacher hier soir en rentrant, en même temps il était déjà tard et je n’avais qu’une envie, me glisser sur la couette. Je m’approche de la fenêtre, me cogne l’orteil en passant près du bar qui sépare mon salon de ma cuisine, et arrive enfin à porter de l’ouverture. Décidément, j’aurais préféré rester dans mon lit ce matin.

En ouvrant la vitre, le vent léger s’engouffre me faisant frissonner des pieds à la tête, même mes cheveux frémissent mais, ce qui attire mes yeux, c’est un bout de papier qui s’envole du comptoir, dont j’aperçois le reflet à travers la fenêtre. Super ! Moi qui déteste quand des petits mots traînent partout, surtout depuis cette époque-là, je suis servi.

Je m’empresse d’accrocher le volet. Maintenant que je suis bien réveillé, il va rester ouvert !

Une fois cette tâche fastidieuse accomplie, je cherche le morceau blanc que j’ai vu voler trente secondes plus tôt. Trois grands pas me séparent du bar, ma cuisine est minuscule mais elle a le strict nécessaire. Passons. Où est ce fichu billet ? Il ne doit pas être bien loin. Je suppose qu’il a traversé le territoire pour se fondre sur mon tapis poilu dans le salon.

— Petit, petit, petit… Tenté-je en cherchant du côté de mon canapé. Ah, te voilà !

Je saute sur place, me penche et ramasse ce que je pensais être un morceau de papier classique. Sauf que ce n’est en rien un feuillet ordinaire. En me relevant, et en comprenant ce qu’il est, il m’échappe même des doigts. Glissant, et virevoltant vers le sol pour retrouver sa place. Je l’observe sceptique et immobile.

Il ne peut pas être ce que je crois.

Pourtant, je sais déjà que si. Je sais exactement, ce qu’il est et ce qu’il représente, ou représentait. Je ne suis pas sûr de pouvoir discerner s’il fait encore partie de mon passé ou de mon présent. Une main passant dans mes cheveux, je prends mon courage à deux mains. Me penche et avec ce papier que je ne pensais jamais revoir, je m’assoie dans mon canapé dans un long, très long soupir.

— J’y crois pas… Qu’est-ce que tu fais là, toi ? Demandé-je au feuillet tout abîmé et corné que je pensais avoir jeté, il y a bien longtemps.

D’ailleurs, je le tourne et le retourne dans tous les sens, cherchant une faille dans le système, un élément qui me montrerait que je suis en plein rêve. Sauf que rien ne vient, et je vois bien que je suis éveillé sinon je ne sentirais pas les reliefs de ce bout de feuille, je ne sentirais pas la matière si particulière des bonbons mous qu’elle adorait tant. Tout comme, je n’aurais pas cette odeur de cerises chimiques dans le nez, si je ne savais pas que c’était son goût préféré.

— Lina… Je me souviens encore du jour. De ce jour, où tu m’as laissé ce mot. Ce simple mot, qui avait tout son sens à l’époque, ces lettres calligraphiées que je reconnaîtrais entre mille, cette courbe et la rondeur de ton écriture. Tout ça m’avait étrangement manqué. Mais pourquoi maintenant ? Et comment ce papier a-t-il atterri ici, aujourd’hui ?

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