Acte VI. Scène 2

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En fin d'après-midi – Samedi 12 juin 2021 – 17h30

MAUDE : Gabin, je crois que je ne vais pas aller en Italie.

GABIN : Comment ça ? Tu as changé d'avis ?

MAUDE : Je n'avais pas d'avis.

GABIN : Disons quand même que ton discours semblait aller plus dans un sens que dans l'autre. On dirait que tu as changé d'idée sur un coup de tête.

MAUDE : Ça n'a rien d'un coup de tête. Je t'avais dit que j'allais y réfléchir avant de prendre une décision. J'ai réfléchi, et je vois les choses différemment maintenant. Je crois vraiment qu'il vaut mieux que je reste avec toi.

GABIN : Tu es sûre ? Je pense vraiment que tu devrais y aller. Tu as dit toi-même que, si je n'avais pas été dans ta vie, tu aurais accepté sans réfléchir. Donc, si tu restes, c'est pour moi. Et si tu restes pour moi, un jour tu le regretteras et tu m'en voudras.

MAUDE : Pourquoi est-ce que je le regretterais nécessairement ?

GABIN : Même si tu ne regrettes pas spécialement de ne pas y être allée, le jour où tu auras quelque chose d'autre à me reprocher, ça te reviendra en tête, d'avoir renoncé à quelque chose pour moi.

MAUDE : Mais est-ce qu'on ne renonce pas toujours à des choses l'un pour l'autre ? Des petites choses, mais quand même. Depuis que je te connais, le nombre de livres que je lis a réduit de moitié. Est-ce que, le jour où j'aurai quelque chose à te reprocher, ce ne sera pas plutôt ça qui me reviendra en tête ; tous les livres que j'ai renoncé à lire pour passer du temps avec toi ?

GABIN : Aucun rapport. Ces livres, tu pourras les lire à un autre moment. Alors que cette opportunité, elle ne se présentera pas une deuxième fois.

MAUDE : Mais si je lis ces livres-là plus tard, ce sera renoncer à lire d'autres livres, donc ça ne fait que déplacer le problème. Après, si cet exemple ne te convient pas, je peux en trouver un autre. Est-ce que toi, tu n'as pas renoncé à manger des poivrons ?

GABIN : Je ne comprends vraiment pas pourquoi tu n'aimes pas ça. Mais bon, ce n'est parce que j'en mange moins souvent que j'y ai totalement renoncé.

MAUDE : C'est quand, la dernière fois que tu en as mangé ?

GABIN : C'est vraiment hors de propos, ou en tout cas hors de proportions. Moi, je n'ai pas envie de me sentir responsable du fait que tu aies renoncé à un rêve.

MAUDE : Mais ce n'est pas un rêve ! S'il n'y avait pas eu cette occasion, je n'y aurais probablement jamais pensé. Ce n'est pas comme si j'avais toujours rêvé d'aller vivre à l'étranger. Là, il y a juste eu cette opportunité qui me plaisait bien. Mais toi aussi, tu me plais bien. Et notre vie ensemble, elle me plait sacrément !

GABIN : A moi aussi ! Mais on a toute notre vie pour la vivre ensemble. Tu devrais vivre maintenant cette expérience. Ça ne changera rien entre nous, je te le promets.

MAUDE : Tu ne peux pas me promettre ça. Imagine, je partirais un temps six fois plus long que celui qu'on a passé ensemble jusqu'ici.

GABIN : Non, beaucoup moins que ça, ce serait plus tôt quatre fois, ou à peine.

MAUDE : Si tu comptes le temps où on n'était pas vraiment ensemble mais qu'on a quand même passé ensemble, à la rigueur. Mais ça ne change rien au fond du propos.

GABIN : Je sais que tu comptes pour moi, et pas d'une manière qui se compte en temps.

MAUDE : C'est quand même un risque que je n'ai pas envie de prendre. Mais, même si j'étais sûre à trois-cent pourcent de retrouver notre relation intacte à mon retour, la vérité, c'est que je n'ai pas envie de passer cette année sans toi. Tu me manquerais trop. En plus, je ne pourrais même pas profiter de cette expérience et savourer l'Italie comme il se doit, car je serais trop occupée à penser à toi et au fait que tu me manques.

GABIN : Au début, peut-être un peu. Mais ça te passerait vite. Je ne comprends pas, tu dis toi-même que ce n'est pas sain de faire passer l'amour avant la carrière.

MAUDE : Ce n'est pas exactement ce que j'ai dit. Je ne pense pas qu'on doive faire ses choix de vie en fonction d'un garçon, c'est vrai. Mais, si on y réfléchit vraiment, je suis une sacrée hypocrite ! Parce que si c'était un garçon qui renonçait à quelque chose pour une fille, ça me semblerait carrément moins choquant.

GABIN : Bah bravo ! Et comment ça se fait ?

MAUDE : Parce qu'en vrai, je ne crois pas que la carrière doive passer avant l'amour. Des filles complètements gagas d'un gars au point de perdre toute raison, c'est contraire à mes principes, ça, c'est certain. Mais tu sais ce qui est encore plus contraire à mes principes ? Le fait de considérer le travail, et donc, indirectement, l'argent, comme l'alpha et l'oméga de tout. Le fait de penser que les relations humaines et le bien-être au quotidien doivent passer avant le CV ou le compte en banque, c'est carrément en accord avec mes principes.

GABIN : Je comprends ce que tu veux dire. Si tu m'avais quitté pour partir vivre à quatre heures d'ici juste histoire de gagner plus, je ne t'aurais pas forcément soutenue. Enfin, sauf si tu avais vraiment eu besoin de cet argent supplémentaire mais, là, on n'est pas dans ce cas de figure.

MAUDE : C'est quand même un peu ça. Ça va m'apporter quoi, en vrai, d'aller là-bas ? Même si on met de côté l'argent, est-ce que ce ne serait pas juste histoire de pouvoir se vanter auprès d'un futur employeur ou des gens en général ? Ça fait classe, de dire qu'on est parti à l'étranger et qu'on a eu une vie un peu intéressante, qui sort de l'ordinaire. Sauf que ce que j'ai avec toi, ça sort tout autant de l'ordinaire, sinon plus. Mais c'est juste que ça parait moins classe et extraordinaire dans une discussion. Sauf que ça, on s'en fout. Non ?

GABIN : Ce n'est pas pour te vanter que tu veux partir, ne dis pas ne porte quoi. Te vanter, ce n'est tellement pas ton genre.

MAUDE : Bien sûr, ce n'est pas mon genre de faire ça, et je n'aurais probablement pas été de celles qui balancent ça à la moindre occasion dans une conversation. Mais ce serait quand même une histoire de valorisation sociale, même si ça tiendrait plus à ce que je me raconterais moi toute seule dans ma tête qu'à ce que je raconterais aux gens. Ça fait bien dans l'idée et sur le papier, mais, dans la vie concrète que je vais mener l'année prochaine, j'aurais plus de bonheur à être près de toi.

GABIN : Mais tu seras déjà près de moi l'année d'après, et toutes les suivantes si tu veux toujours de moi. Au bout d'un moment, tu t'en lasseras. Alors, une année de plus ou de moins, qu'est-ce que ça change ? Bien sûr, tu vas me manquer énormément. Mais, si on prend les choses avec du recul, ça ne change pas grand chose.

MAUDE : Un an avec toi, ça change beaucoup. Chaque soir où tu rentres avec une demi-heure de retard, cette demi-heure avec toi me manque. Alors imagines, une année entière !

GABIN : Et l'Italie, tu n'avais pas envie de la découvrir ?

MAUDE : On pourra toujours y aller en vacances.

GABIN : Mais ce n'est pas du tout pareil d'aller quelque part en vacances ou d'y travailler. On ne découvre pas du tout un pays sous le même jour, quand on y vit. Y aller en touriste, ce n'est pas vraiment découvrir la culture et le mode de vie tels qu'ils sont vraiment.

MAUDE : Et ce n'est pas pareil non plus, d'aller quelque part toute seule ou d'y aller avec toi. Dans les deux, cas, l'expérience sera incomplète. Toute expérience qu'on fait de quoi que ce soit est toujours incomplète, parce que toujours limitée par certaines conditions.

GABIN : Si tu es vraiment sûre de toi, je ne vais pas continuer d'argumenter. Pourquoi je le ferais, quand mon intérêt n'est pas du côté pour lequel je me force à argumenter ? Mais ne te décide pas sur un coup de tête. Je ne veux vraiment pas que tu te pense avoir pris cette décision à cause de moi. C'est ton choix à toi, et, dans tous les cas, je te soutiendrai.

MAUDE : Ma maman m'a dit une fois que, maintenant qu'on est ensemble, il était absurde de penser que l'état de l'un puisse être indépendant de l'autre. Je n'étais pas totalement convaincue, mais, maintenant, je vois qu'elle a raison, et que ça s'applique aussi aux décisions. Je suis attachée à toi, et penser que je puisse choisir, ou même penser, quoi que ce soit de manière totalement indépendante est devenue une aberration.

GABIN : Tu dis n'importe quoi, là ! C'est contraire à tout ce en quoi tu crois.

MAUDE : Non, c'est juste vrai. Ça ne veut pas dire que je ne suis pas une personne indépendante. Ça veut juste dire que je tiens à toi. Je ne peux pas prendre une décision de manière cent pour cent indépendante, jamais, pour un millier de raisons. Une décision dépend toujours de milliers de facteurs de choix. C'est juste que, maintenant, tu fais partie de ces facteurs. Mon caractère, mes convictions, mes valeurs et tout le reste continuent d'en faire partie aussi. Puis il y a des facteurs vraiment ridicules, dans le lot, comme le temps qu'il fait où le moment auquel je me pose la question, peut-être ce que j'ai mangé le midi ou ce que j'ai vu à la télé la veille. Il y a des facteurs ridicules, et ce serait encore plus ridicules de penser que, toi, tu ne ferais pas partie des facteurs alors qu'eux si.

GABIN : Oui, si on voit les choses comme ça, forcément. Mais, en tout cas, tu as encore jusqu'à la fin du mois pour décider, et tu es vraiment libre de faire ce qui te semblera le mieux. Dans tous les cas, je tiens à toi, je te soutiens, et on fera en sorte que ça fonctionne entre nous.

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