Acte VI. Scène 3

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Une semaine plus tard – Samedi 16 juin 2021 – 12h00

CHARLOTTE : Cette fois-ci, on a fait en sorte de pouvoir commencer à manger tôt. Le plat est déjà au four.

GABIN : Ce n'est pas la peine, je n'ai pas de visite avant seize heures. Il y en avait une de prévue en début d'après-midi, mais j'ai demandé à Faustine de la faire à ma place, pour pouvoir passer plus de temps avec vous.

CHARLOTTE : D'ailleurs, c'est dommage qu'on ne voie pas plus souvent ta maman, Maude. Ça doit faire presque six mois que vous êtes ensemble, et on ne l'a aperçue qu'une seule fois.

MAUDE : Décidément, les arrondis sont généreux, chez vous. Ça ne fait même pas trois mois qu'on est ensemble.

CHARLOTTE : J'ai toujours l'impression que ça fait beaucoup plus. Quant aux généreux arrondis, j'espère qu'il ne s'agit pas d'une allusion à ma silhouette.

THIERRY : Mais c'est quoi cette obsession sur ton poids ? Déjà, Maude ne se serait jamais permis une telle remarque, et, qui plus est, il n'y aurait strictement pas eu un seul gramme pour le lui inspirer.

MAUDE : Pour tout dire, j'aurais pu faire une remarque de ce type ; mais probablement pas à Charlotte. Je ne me serais pas permis et, si je l'avais fait, j'aurais choisi un autre sujet de moquerie que la silhouette, car je pense que s'il y avait une de nos deux silhouettes qui devait envier l'autre, ce serait plutôt la mienne.

GABIN : Dans tous les cas, c'était une mauvaise remarque, parce que six mois, ça ne peut en rien être considéré comme l'arrondi de trois mois ou de deux mois et quelques.

CHARLOTTE : Dans tous les cas, nous serions ravis de recevoir ta mère avec vous, à une prochaine occasion. Enfin, s'il y a de prochaines occasions.

THIERRY : C'est vrai ça. Combien de temps vous allez encore maintenir le suspens ?

GABIN : Mais de quoi vous parlez ?

CHARLOTTE : On parle de savoir si vous laisserez à votre relation une chance d'aller jusqu'à ses six mois.

GABIN : Qu'est-ce qui vous fait penser que ce ne serait pas le cas ?

THIERRY : Eh bien, c'est évident que, si vous êtes loin l'un de l'autre, ça ne serait pas une vraie chance.

CHARLOTTE : Enfin, on dit ça juste comme ça, dans l'absolu. Vous savez, on a toujours eu tendance à se sentir rassurés d'envisager le pire. Il faut que j'aille vérifier le four, moi.

GABIN : Vous êtes vachement bizarres aujourd'hui. Enfin, encore plus que d'habitude, je veux dire.

MAUDE : C'est parce que je leur ai parlé de l'Italie, la dernière fois que j'étais là. Du coup, ils doivent se poser des questions. Mais, je vous rassure, j'ai choisi de rester. C'est vraiment une décision que j'ai prise de moi-même, pour mes propres raisons et pas du tout à cause de ce qui que ce soit aurait pu me dire pour me convaincre, dans un sens ou dans l'autre.

GABIN : Je vous le confirme. Je n'ai aucunement influencé Maude ou, si ça avait été le cas, ça aurait plutôt été pour qu'elle parte. Je n'ai pas envie d'être celui qui la retient de vivre ses rêves, ou qu'elle m'en veuille un jour de l'avoir éloignée de cette opportunité.

THIERRY : Je n'y crois pas ! Gabin, ce n'est pas du tout comme ça qu'on montre à celle qu'on aime que l'on tient à elle !

MAUDE : En fait, je trouve que si, c'est tout à fait comme ça.

GABIN : Je pense que Maude sait très bien à quel point je tiens à elle, mais qu'elle sait aussi que je tiens encore plus à son bonheur.

CHARLOTTE : Thierry, rappelle-moi, qui, déjà, nous avait une fois accusés d'utiliser des phrases dignes de blogs de collégiennes ?

THIERRY : Je crois que c'était Gabin. Pourquoi ?

CHARLOTTE : Parce qu'aujourd'hui, c'est lui qui s'y met.

MAUDE : Oh, c'est loin d'être la première fois qu'il le fait, ne vous inquiétez pas pour ça.

CHARLOTTE : En tout cas, je suis vraiment heureuse de savoir que tu restes, Maude.

MAUDE : C'est vraiment une décision personnelle. C'est une décision difficile, et dans laquelle Gabin entre évidemment en ligne de compte, mais personnelle malgré tout. Je pense que les relations doivent passer avant la vie professionnelle, et que continuer de mener la vie qu'on vit tous les deux m'apportera plus de plaisir et de bonheur que de découvrir l'Italie. C'est juste ça, au final.

THIERRY : Dans tous les cas, c'est décidé, nous vous offrons un voyage en Italie pour cet été.

MAUDE : Non ! Surtout pas !

GABIN : La réaction de Maude est un peu vive, mais elle a raison : ce n'est vraiment pas la peine.

MAUDE : C'est beaucoup trop généreux pour qu'on puisse accepter.

THIERRY : Ce n'est pas une proposition, c'est une annonce. Soit vous acceptez, soit vous laisserez périmer dans un tiroir les billets d'avion que nous allons vous offrir.

CHARLOTTE : Et le gaspillage, est, je crois, contraire à tes principes, Maude.

GABIN : Vous ne nous forcez pas du tout la main.

MAUDE : Non, ce n'est pas du tout leur genre.

GABIN : Mais après tout, ce serait un beau voyage ; et ça pourrait peut-être compenser un peu la perte que je t'inflige en te gardant près de moi.

MAUDE : Tu ne m'infliges rien du tout, c'est MA décision. Et, surtout, je ne voudrais pas que ce voyage ait l'air de compenser quoi que ce soit.

CHARLOTTE : Voyons, les enfants, ça nous fera plaisir ! Nous y sommes déjà allés tous les deux, en Italie, pour notre voyage de noces, et ça nous ferait très plaisir que vous puissiez, vous aussi, profiter de ça.

MAUDE : Il en est hors de question !

GABIN : Tu en fais un peu trop, Maude. On est d'accord pour dire que ce n'est vraiment pas la peine, et que c'est beaucoup trop, mais pas de là à faire preuve d'ingratitude.

MAUDE : Je ne veux pas y aller.

GABIN : Mais pourquoi ? Tu as peur que ça te rappelle ce que tu auras manqué ?

MAUDE : Mais non, pas du tout !

GABIN : Si, ça doit être ça. C'est la seule explication cohérente à une réaction aussi disproportionnée. Ça signifie que tu n'es pas vraiment en paix avec ton choix.

MAUDE : Tu es en train d'essayer de me manipuler pour que j'accepte ?

GABIN : Mais non, voyons. Tu l'as dit toi-même : personne ne te manipule ou ne t'influence. Mais je crois vraiment que, si tu n'avais pas de regrets, ou pas au moins peur d'en avoir, tu ne refuserais pas aussi vivement.

MAUDE : Ce n'est pas du tout pour ça ! La preuve, je veux bien aller en Italie avec toi cet été. Je ne veux juste pas que ce soient tes parents qui nous payent ce voyage.

GABIN : Je comprends que ça te gêne. Mais, si tu y réfléchis, indirectement, c'est ta mère à toi qui paye la moitié de tout ce que nous nous achetons, et je n'en fais pas tout un foin.

MAUDE : Tu travailles pour cet argent, ça n'a rien à voir. Mais si tu en arrives à la mauvaise foi, ça doit être que tu as vraiment envie d'y aller.

GABIN : Oui, je pense que ça nous ferait du bien. L'évocation de l'Italie nous évoquera un beau souvenir commun, plutôt que la mémoire d'un événement qui aurait failli nous séparer.

MAUDE : Pourtant, tu répètes tout le temps que ça ne nous aurait pas séparés.

GABIN : Non, ça ne nous aurait pas séparés, je le maintiens. Mais, quand même, je n'ai pas envie que cette opportunité manquée devienne un souvenir négatif.

THIERRY : On n'a pas envie de se mêler de vos histoires, surtout si c'est pour causer des disputes. Mais, dans tous les cas, on est heureux que vous restiez près l'un de l'autre.

GABIN : Pourtant, si on avait été éloignés l'un de l'autre, ça nous aurait fait moins d'occasions de nous disputer.

MAUDE : Et ça aurait été terriblement dommage. J'aime bien nos disputes.

CHARLOTTE : Qu'est-ce qu'il ne faut pas entendre !

MAUDE : C'est important de se dire ce que l'on pense : ça nous rapproche. Et arriver ensemble à dépatouiller les situations compliquées, à se comprendre ou à trouver des compromis, ça nous renforce aussi. Il ne faut pas penser que les disputes n'ont que du mauvais ou que du danger. Et, qui plus est, je ne suis même pas sûre qu'on puisse appeler ça des disputes. On discute, c'est tout.

CHARLOTTE : Assez vivement, quand même.

GABIN : Maude est une fille très vive.

THIERRY : Mais quand même, on est d'accord sur le fait que dans quelques jours ce sera l'anniversaire de Gabin et que vous n'avez encore rien prévu pour cet été ? On est d'accord aussi sur le fait que rien ne nous interdit de faire à notre fils un cadeau un peu plus grand que celui de l'an dernier, pour son anniversaire ?

GABIN : Si c'est des billets pour l'Italie, dans le paquet, ce sera plus petit.

CHARLOTTE : A tout hasard, vous pouvez nous dire à quelle date vous serez en congés, cet été ?

MAUDE : Vous n'êtes vraiment pas possibles !

THIERRY : C'est important pour nous.

MAUDE : Dans tous les cas, je tiens à réaffirmer que je suis ma propre personne et que je prends mes propres décisions. En réfléchissant, en raisonnant, en sous-pesant des arguments.

CHARLOTTE : Personne n'en a jamais douté, Maude.

THIERRY : N'est-ce pas de cette manière que nous prenons tous nos décisions ? On sous-pèse des arguments par rapport à nos propres cadres de référence et avec nos propres capacités de raisonnement. Mais ces arguments eux-mêmes viennent toujours d'un peu partout ; parfois sous forme de mots, d'autres fois sous forme d'idées, et d'autres fois sous forme de sentiments ou d'impressions diffuses. C'est pour ça que c'est toujours si complexe de savoir pourquoi on fait ce que l'on fait. On n'est jamais influencés, et en même temps on l'est toujours.

GABIN : Je ne t'avais jamais entendu aussi philosophe.

THIERRY : C'est juste une pensée qui m'est venue comme ça.

MAUDE : Probablement influencée par un millier de petites choses non-identifiables.

THIERRY : Et probablement une ou deux grosses assez identifiables.

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