Acte III. Scène 2

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Le lendemain – Samedi 9 avril 2022

MAUDE : Salut Joséphine ! Je suis contente de te voir. Encore désolée que Gabin te fasse faux bond comme ça.

JOSEPHINE : Oh, mais ce n'est pas si grave ; comme ça, on va pouvoir parler entre filles. C'est vrai qu'on n'a jamais l'occasion d'être juste toutes les deux.

MAUDE : Dire que c'était censé être un repas pour ton anniversaire, et que ça fait plus d'un mois que ce n'est plus ton anniversaire. C'est vraiment n'importe quoi ! La troisième date qu'on cale, et à chaque fois il a des visites qui se greffent. C'est pour ça que je me suis dit qu'il valait mieux que tu viennes quand même. Au moins, tu auras ton cadeau ; et puis on se fera quelque chose tous les trois quand il sera un peu plus disponible.

JOSEPHINE : Bah, ça doit vouloir dire que ça va bien pour lui niveau boulot. Et, comme je disais, ça me fait très plaisir d'avoir l'occasion de déjeuner comme ça avec toi.

MAUDE : Moi aussi, ça me fait plaisir de te voir. Mais sérieusement, quelles seraient les discussions "de filles" que tu ne pourrais pas avoir s'il était là ? Moi, il n'y a strictement rien que je ne dirais pas devant lui. Puis des discussions "de fille", je ne crois pas que ça existe. Ou, si c'est le cas, je ne crois pas avoir spécialement envie d'en avoir.

JOSEPHINE : En fait, il y aurait bien un truc que j'aurais envie de te confier. Mais tu as peut-être raison, parce que si Gabin avait été là, je vous l'aurais probablement dit quand même.

MAUDE : Quel suspens insoutenable !

JOSEPHINE : Je sais bien que tu devines ce que je vais dire ; c'est totalement prévisible. Mais tant pis. Je crois que j'ai rencontré quelqu'un qui pourrait me plaire. Ce qui est un peu moins prévisible et un peu plus un truc de fille totalement stupide, c'est que je viens vraiment tout juste de le rencontrer. J'ai envie d'en parler, mais il n'y a rien de rien à raconter pour le moment.

MAUDE : Il ne faut vraiment pas assimiler les trucs stupides à des trucs de fille. Le pire, c'est que Gabin est probablement plus porté que moi sur tout ce qui serait commérages. Mais du coup, c'est qui que tu as rencontré ? Puis c'est quoi "tout juste" ?

JOSEPHINE : Tout juste c'est tout juste là, devant chez vous, en venant ici.

MAUDE : Ah oui effectivement c'est une relation vraiment toute récente. Et le mariage, c'est pour quand ?

JOSEPHINE : Oh, arrête de te moquer ! Je dis juste qu'il m'a bien plu. Quand je suis arrivée devant l'immeuble, il était en train de chercher un nom sur la sonnette. Moi j'étais en train d'attendre derrière lui pour sonner aussi, et au bout d'un moment il s'est excusé. Il a dit qu'il était désolé mais qu'il ne voyait pas le nom de son ami. Je lui ai dit que je n'étais pas pressée, et que de toute façon j'étais en avance. Je ne voulais pas te déstabiliser en arrivant trop tôt, si tu étais encore en train de préparer à manger, de ranger, de te faire belle ou quoi. Enfin bref, on a engagé la conversation comme ça. Il a dit que, lui non plus, il n'était pas spécialement pressé, et on est restés à discuter pendant le petit quart d'heure que j'avais d'avance.

MAUDE : Il n'y a vraiment qu'à toi que ça arrive des trucs comme ça. Il est comment ?

JOSEPHINE : Il est grand, brun, avec un sourire ravageur et des fossettes à faire tomber du trottoir.

MAUDE : Je ne voulais pas dire physiquement. Je voulais dire quel genre de personne ça a l'air d'être ?

JOSEPHINE : Je te connais un petit peu, Maude. Je me moquais de toi. Enfin, c'est vrai qu'il est grand et brun ; et qu'il a un joli sourire aussi. Mais je ne l'aurais jamais dit de cette manière spontanément. C'était pour t'embêter.

MAUDE : Mais oui, mais aussi, c'est toi ! Gabin, il me dit des choses pour me faire marcher ; je le repère tout de suite. Mais je ne m'attends tellement pas à ça de toi que je tombe dans le panneau tout de suite.

JOSEPHINE : Je ne sais pas ce que ça veut dire sur l'image que tu as de moi, mais je vais choisir de le prendre comme un compliment.

MAUDE : Tu fais bien. C'est un talent rare qu'être capable de me prendre au piège. Et donc, ce monsieur Sonette, comment est-il mentalement ?

JOSEPHINE : Il a trois-cent de QI.

MAUDE : Là, je ne vais pas marcher ! Surtout que ça n'existe même pas, trois-cent de QI.

JOSEPHINE : Il m'a dit qu'il était banquier. Je t'avoue que ça ne m'a pas forcément plu comme information. Le genre ambitieux dont la vie tourne autour de l'argent, très peu pour moi. Mais il n'a pas l'air du tout comme ça. Ça a l'air d'être un bon gars.

MAUDE : Il y a bien que toi pour dire "ça a l'air d'être un bon gars" comme un vrai élément positif sur quelqu'un.

JOSEPHINE : Bah je ne vois pas ce qu'il y aurait de mal à ça. Ça a l'air d'être quelqu'un de posé. Tu vois, je lui ai demandé pourquoi la banque et il m'a parlé de la relation avec les gens, d'essayer de trouver des solutions à leurs problèmes, de les accompagner dans leurs projets.

MAUDE : Du baratin de banquier, tout ça.

JOSEPHINE : Mais non, pas du tout ! Il avait vraiment l'air sincère ! Après, il a l'air un peu ambitieux quand même. Il a dit qu'il aimerait être responsable d'une agence un jour. Mais il a aussi dit que ce serait seulement si ça pouvait se faire sans faire du mal à qui que ce soit, sans faire des trucs malhonnêtes, ou sans rogner sur la qualité de son travail ou le bâcler.

MAUDE : Parce que bâcler son travail, ça aide à avoir des promotions ?

JOSEPHINE : Carrément ! Je ne sais pas dans ton domaine, mais moi, je m'en rends bien compte, depuis que j'ai commencé à travailler. Il y a plein de trucs sur lesquels je dois faire des dossiers un peu techniques. La personne qui va lire le dossier au final, elle n'y connaît pas assez pour savoir si ce que je dis c'est vrai, si j'ai vérifié mes infos, si j'ai été suffisamment rigoureuse, si je n'ai pas négligé un point qui pourrait se révéler important. Et, s'il faut être honnête, cette personne, que j'aie été rigoureuse ou non, elle donnera la même somme à ma boîte. Par contre, si je bâcle un rapport, j'irais plus vite. Ils se rendront compte que je suis allée plus vite, mais personne ne se rendra compte que j'ai bâclé le rapport. Je serai allée plus vite, donc je pourrais prendre d'autres tâches, rapporter plus d'argent, et, dans les chiffres et les indicateurs que ma boîte va analyser, j'aurais l'air meilleure. Je suppose que pour des dossiers de prêts bancaires ou des trucs comme ça, il doit y avoir le même genre de phénomènes qui peuvent entrer en ligne de compte.

MAUDE : Je ne comprends pas ce que tu veux dire. Enfin, si, je comprends l'idée ; mais je n'y crois pas du tout. Mais moi, je pars du principe que, si on n'est pas rigoureux dans ce qu'on fait, ça finit toujours pas nous retomber dessus. Un jour, il y aura une conséquence. Et là, ta réputation sera complètement ruinée.

JOSEPHINE : Peut-être. Enfin, pas la mienne, parce que moi, je refuse de bâcler justement, même si ça me rend plus lente que certains de mes collègues. Mais je ne suis pas sûre que le monde soit si juste que tu le penses. Pourtant, normalement, je suis plus naïve que toi.

MAUDE : Donc, le beau banquier a des valeurs.

JOSEPHINE : Oui, il a des valeurs, et pas n'importe lesquelles. Respecter les gens, c'est important et je pense que c'est une valeur que tout le monde partage (ou au moins une valeur que tout le monde professe ou affiche, même s'ils ne l'appliquent pas forcément). Mais le sérieux dans son travail, le fait de refuser de bâcler, d'avoir à cœur de faire les choses bien ; ça, c'est plus rare. Enfin, j'ai l'impression que c'est rare ; il n'y a pas grand monde qui me parle de ça, en tout cas. Je crois que c'est surtout ça qui m'a bien plu chez lui.

MAUDE : Je comprends. Donc, pour résumer, tu as rencontré devant chez moi un beau brun qui serait ambitieux, respectueux et sérieux.

JOSEPHINE : C'est ça.

MAUDE : Ambitieux, respectueux et sérieux.

JOSEPHINE : Oui, c'est ça. Pourquoi t'es morte de rire ?

MAUDE : Cette description ne te rappelle rien ?

JOSEPHINE : Bah non, pourquoi ?

MAUDE : Ce gars que tu as rencontré en bas de chez moi, il ne vivrait pas par hasard dans la rue de ton oncle ?

JOSEPHINE : Mais qu'est-ce que j'en sais, moi ? Je lui ai peut-être demandé son numéro de téléphone, mais pas son adresse.

MAUDE : Non mais Joséphine ! Comment c'est possible qu'un truc que Gabin m'a raconté me marque plus que toi, qui est la première concernée ?

JOSEPHINE : Mais de quoi tu parles ?

MAUDE : A ton anniversaire, Tonton Thierry ne t'aurait pas par hasard proposé de te présenter son voisin ?

JOSEPHINE : Ouais, il a peut-être mentionné cette idée, mais je n'ai pas relevé. C'est tellement pas mon truc les rencontres arrangées. J'avais même complètement oublié.

MAUDE : Mais lui, tu crois qu'il aurait oublié ?

JOSEPHINE : Mais t'es complètement parano ou quoi ? Tu crois vraiment que mon oncle en aurait tellement marre de me voir célibataire qu'il aurait organisé à mon insu et sans mon accord un coup monté pour que je croise son voisin, c'est ça ? C'est complètement tiré par les cheveux. Personne ne fait un truc comme ça.

MAUDE : Moi, je dis juste que je le verrais bien faire ce genre de choses.

JOSEPHINE : Bah si c'est le cas, tu dois avoir des infos que je n'ai pas.

MAUDE : Moi je dis ça, je ne dis rien. Peut-être que c'était juste un beau brun qui n'a rien à voir avec le voisin, à part d'être lui aussi sérieux, ambitieux et respectueux. Peut-être même que c'était son voisin, mais que c'est complètement par hasard que le destin l'a mis sur ton chemin.

JOSEPHINE : Si c'est le destin, ce n'est pas par hasard.

MAUDE : Si tu le dis. Mais quand même, je peux demander : tu l'as vu rentrer dans l'immeuble et entrer chez son ami ?

JOSEPHINE : Non. Il a fini par appeler son ami avant qu'on ne se quitte, parce qu'il n'avait pas trouvé son nom sur l'interphone. J'ai proposé de lui ouvrir, mais il ne savait pas à quel étage il habitait. Donc il l'a appelé, et là, il s'est rendu compte qu'il n'était pas à la bonne adresse.

MAUDE : Comme par hasard ! Et l'ami en question, il n'avait pas par hasard une voix qui ressemblerait à celle de Tonton Thierry ?

JOSEPHINE : Mais arrête avec ça ! Pourquoi tu fais une fixation comme ça ?

MAUDE : Je trouve ça rigolo, c'est tout. Tu rencontres un gars, et, comme par hasard, il répond pile poile à la description de monsieur Rasoir.

JOSEPHINE : Il n'a pas du tout l'air rasoir.

MAUDE : Il a l'air d'avoir de la fantaisie ?

JOSEPHINE : Je ne sais pas trop, en fait. Mais notre rencontre en avait, en tout cas.

MAUDE : Je te conseille quand même d'approfondir ce point et de vérifier qu'il en ait, à un moment donné avant le mariage.

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