Acte III. Scène 3

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Le lendemain – Dimanche 10 avril 2022

GABIN : Non bah non. Alors là, tu te débrouilles maintenant. C'est bon. Je veux bien être gentil mais il ne faut pas me prendre pour un brocoli non plus.

MAUDE : Mais enfin, Gabin ; je t'ai juste demandé si tu voulais bien me passer un mouchoir.

GABIN : Oui mais ça fait cinq fois que tu me demandes un mouchoir. Je veux bien te le donner, mais avec la boite complète ; comme ça ce sera la dernière fois. Même si je suis juste à côté et que je n'ai pas à me lever ni rien pour t'en donner un, ça me perturbe. Je suis concentré sur ce dossier que je suis en train d'éplucher et, si tu me demandes un truc toutes les deux minutes, je n'y arrive pas.

MAUDE : C'est toi qu'on va éplucher, vu qu'apparemment tu es un brocoli.

GABIN : Déjà, un brocoli, ça ne s'épluche pas et ensuite, je n'ai jamais dit que j'étais un brocoli. Au contraire, j'ai dit qu'il ne fallait pas me prendre pour un brocoli.

MAUDE : Ce qui ne veut strictement rien dire.

GABIN : Oui. Mais tu as dit que tu me pensais incapable de ne pas dire de gros mot pendant tous le mois, et je compte bien te donner tort.

MAUDE : En même temps si tu ne parles plus du tout, ça peut aussi être un moyen efficace de ne pas dire de gros mot.

GABIN : Je ne vois pas le rapport.

MAUDE : Que ne pas parler, ce serait tout aussi efficace que de dire des choses qui ne veulent rien dire.

GABIN : J'ai dit le premier mot qui m'est venu par la tête et il se trouve que c'était brocoli. Mais tu es juste jalouse, parce que j'ai créé une expression mignonne et que tu aurais aimé y penser toi-même.

MAUDE : C'est un peu vrai. Mais que ce soit mignon n'est pas le tout. Il faut aussi que ça ait du sens. Et je ne vois pas pourquoi les brocolis seraient particulièrement bêtes ou naïfs.

GABIN : Non ; mais je ne vois pas non plus pourquoi ils seraient particulièrement malins non plus.

MAUDE : Parce qu'ils ressemblent un peu à des cerveaux ?

GABIN : Si tu penses ça, c'est que ton cerveau à toi doit avoir quelques brocolis coincés entre les lobes. Mais mon cerveau à moi aurait besoin de finir ce travail ingrat, alors je vais laisser ce débat passionnant de côté pour m'y remettre. Enfin, si tu le permets.

Le téléphone sonne.

MAUDE : J'allais le permettre, mais cet appareil ne semble pas du même avis.

GABIN : Je ne sais pas si c'est l'appareil qui n'est pas du même avis, ou si ce n'est pas plutôt le bonhomme dedans. Décrochant. Allo Papa. Qu'est-ce qu'il y a ?

THIERRY : Rien de grave. J'avais juste envie de prendre des nouvelles de mon fils. Savoir comment s'est passé votre week-end. Vous avez vu Joséphine, non ? Elle allait bien ?

GABIN : Tu dois bien avoir assez de nouvelles de sa part, vu que tu sembles connaître toutes les dates où l'on prévoit de se voir, et que ça fait bien cinq fois que tu me poses des questions dessus. C'était prévu hier, mais finalement je n'ai pas pu être là. Après, Joséphine est quand même venue, mais il n'y avait que Maude ; donc c'est plus elle qui pourra te répondre, si c'est ça qui t'intéresse.

THIERRY : Mais non, c'est toi qui m'intéresses. Je voulais juste te dire bonsoir et savoir comment tu vas. Mais je vois que t'es de mauvais poil et que j'ai l'air de te déranger, donc je vais te laisser.

GABIN : Désolé Papa. C'est juste que j'ai un satané dossier à lire et corriger. Et ça m'énerve de devoir travailler le dimanche. Mais ce n'est pas contre toi.

THIERRY : Mais si tu étais en train de travailler, il fallait le dire. Je te rappellerai à un autre moment, ou le week-end prochain. Bon courage, fils. Passez quand même une bonne soirée tous les deux.

Gabin raccroche.

MAUDE : Tiens, tiens : ton père savait que Joséphine venait ici hier midi. Il s'était même expressément renseigné sur le sujet. Intéressant.

GABIN : Je ne vois pas en quoi c'est intéressant, mais je ne doute pas que ce le soit plus que ce dossier. Malheureusement, je dois quand même le lire.

MAUDE : Figure-toi que devant l'immeuble, Joséphine a rencontré un garçon qui, étrangement, aurait les mêmes caractéristiques que le voisin que ton père voulait lui présenter. J'ai trouvé ça très rigolo, voire un peu suspect.

GABIN : Franchement, je suis d'accord avec toi sur le fait que c'est un peu gavant, son intérêt pour Joséphine et sa vie sentimentale. De quoi il se mêle, sérieux ? Mais bon il est comme ça. Il se soucie un peu trop des gens de sa famille, d'une façon parfois un peu intrusive. Mais ça s'arrête là, il ne faut pas non plus aller chercher plus loin.

MAUDE : Mais imagine, s'il avait appelé le gars pour lui demander exprès de passer par ici et de l'aborder ?

GABIN : Franchement, c'est un peu gros. Il est un peu intrusif, mais pas manipulateur. Et puis, pourquoi le gars aurait-il accepté ça ? Ce n'est pas parce que ta mère paye un gars pour sortir avec sa fille que tous les parents sont comme ça.

MAUDE : Très drôle. Mais pourquoi pas après tout ? Si on admet que ma mère puisse te payer, pourquoi l'inverse ne serait-il pas valable également ? Tes parents pourraient très bien avoir eu besoin de me payer aussi ; après tout, je ne suis pas plus insupportable que toi.

GABIN : Ah ça, je ne sais pas. Je te signale que t'es quand même en train de m'entrainer dans un débat loufoque alors que je suis censé travailler.

MAUDE : Je te distrais d'un travail ingrat pour te divertir par des théories fantaisistes. Ça me fait dire deux choses. La première, que tu as plutôt de la chance de m'avoir. Et la deuxième, que jamais ma mère ne te payerait pour ça ; ce n'est tellement pas dans son intérêt.

GABIN : Mais, si on pense plus loin que l'instant présent, ce n'est pas dans le mien non plus.

MAUDE : Bon, d'accord, je te laisse travailler. Je vais aller dans l'autre pièce et l'appeler elle.

GABIN : Fais donc ça, vu que ta langue semble avoir la bougeotte.

MAUDE : Là, je ne vois pas du tout quel gros mot cette expression est censée remplacer.

GABIN : Aucun. Il n'y a pas forcément besoin d'un gros mot à remplacer, pour s'accorder la joie de créer une expression.

MAUDE : Surtout quand il s'agit de s'accorder cette joie au lieu de travailler.

GABIN : Tu fais bien de me le rappeler.

Gabin reprend ses papiers. Maude sort de la pièce et déclenche un appel sur son téléphone.

MAUDE : Bonsoir Maman.

FAUSTINE : Bonsoir petite anguille. Comment ça va ?

MAUDE : Ça va bien. Un peu enrhumée, juste. Et Gabin est un peu grognon parce qu'il a encore des dossiers à lire ce soir. Mais sinon, ça va.

FAUSTINE : Je comprends mieux pourquoi tu m'appelles. Ce n'est pas ta Maman que tu appelles pour lui raconter ton week-end. C'est la boss de ton copain que tu appelles pour te plaindre qu'on lui donne trop de boulot.

MAUDE : Franchement, ce n'est pas vivable. Déjà hier on avait prévu un déjeuner avec Joséphine et il n'a pas pu être là. Et aujourd'hui qu'on peut passer un peu de temps ensemble, il n'a même pas la journée entière parce qu'il lui reste des choses à faire.

FAUSTINE : Je sais, ce n'est pas rigolo. C'est le métier qui veut ça. Des choses qui s'ajoutent au dernier moment, d'autres qui prennent du retard. Mais je n'ai jamais obligé Gabin à travailler le dimanche. Et puis, il ne travaille pas demain. Il pourrait pas passer son dimanche avec toi et faire plutôt demain les dossiers qu'il n'a pas eu le temps de finaliser hier ?

MAUDE : Si, il pourrait. Mais il a déjà d'autres plans pour demain. Sa mère a pris sa journée et ils ont prévu de la passer ensemble à faire je ne sais trop quoi. Enfin bon, ce n'était vraiment pas pour ça que je t'appelais. Je tenais quand même à le signaler, mais enfin ça reste ma Maman à qui je voulais parler en priorité. En plus, je viens d'y penser, mais si Gabin va chez ses parents demain, je comprends encore moins pourquoi son père l'appelle aujourd'hui.

FAUSTINE : C'est toujours à moi que tu parles ? Ou tu baragouines toute seule ?

MAUDE : Je baragouine toute seule. C'est juste mon beau-père qui est bizarre. Comme je t'ai dit, on avait Joséphine qui venait hier.

FAUSTINE : C'est qui Joséphine déjà ?

MAUDE : C'est la cousine de Gabin. Et son père essaye de la caser avec son voisin, j'ai l'impression.

FAUSTINE : Ah ça, ce sont des choses qui peuvent arriver. Des parents qui veulent le bonheur de leur enfant, et qui poussent un peu pour l'aider à arriver, ce n'est pas l'exploit le plus reluisant, mais ce n'est pas non plus un crime.

MAUDE : Mais ce n'est même pas son père à elle ! C'est son père à lui. Le père de Gabin, donc pour Joséphine, c'est son oncle. Et enfin, c'est juste bizarre. Parce qu'il a voulu lui présenter un gars, ce qu'elle a refusé. Et là elle rencontre un garçon qui ressemble étrangement à celui qu'il voulait lui présenter.

FAUSTINE : Peut-être que c'est une coïncidence. Et même si ce n'est pas le cas, comme je dis, c'est quelque chose qui peut être pardonné.

MAUDE : Franchement, j'espère que je me trompe. Parce que moi, je veux bien admettre que ce ne serait pas la fin du monde qu'il s'en soit mêlé. Mais Joséphine, c'est une grande romantique ; si elle se rend compte que ce qu'elle prend pour un coup de foudre ou une rencontre du destin n'est en fait qu'une machination créée par un oncle intrusif, tous ses rêves vont se briser. Enfin, je dis ça mais elle n'est même pas encore vraiment avec le gars ; elle l'a juste rencontré sur le pas de la porte.

FAUSTINE : Bah, si elle finit vraiment avec lui et s'ils s'aiment vraiment, elle sera capable de passer au-dessus de tout ça.

MAUDE : Donc toi, tu crois aussi que c'est possible ? Parce que Gabin, lui, il dit que son père ne ferait jamais ça. Par contre, il essaye de me faire croire que, toi, tu le payes pour sortir avec moi.

FAUSTINE : Il t'a dit ça ?

MAUDE : Non, pas vraiment. Enfin, c'est peut-être moi qui ai lancé cette idée la première. Mais il est quand même pas mal entré dans le jeu.

FAUSTINE : Bah, dans ce cas, je préfère vous laisser régler ça entre vous.

MAUDE : Il n'y a rien à régler. J'ai trouvé ça rigolo. Parce qu'en fait, je ne pense pas que, si tu avais dû payer un gars pour sortir avec moi, tu aurais choisi Gabin.

FAUSTINE : Et pourquoi pas ? J'apprécie beaucoup ton chéri, ma petite anguille.

MAUDE : Oui, je sais bien. Mais parce que tu le vois avec moi et que tu vois qu'on est bien ensemble. Je ne sais pas si, juste en me connaissant moi d'un côté et lui de l'autre, tu nous aurais imaginés ensemble. J'ai toujours eu l'impression que tu allais plutôt m'imaginer avec un beau gosse de cours de récré.

FAUSTINE : Et qu'est-ce donc qu'un beau gosse de cours de récré ?

MAUDE : Tu sais, le genre de gars avec qui on sort pour embêter sa mère. Un gars avec un physique de catalogue, un sourire ravageur, une moto, et un pass VIP pour toutes les boites de nuit.

FAUSTINE : Alors là, n'importe quoi ! Je ne t'aurais jamais vue avec un gars comme ça. Déjà, je ne suis pas certaine que ça existe. Et puis, toi, tu n'en aurais eu strictement rien à faire. Qu'est-ce que tu irais foutre sur une moto ? Ou dans une boite de nuit, où on ne t'entendrait même pas parler ?

MAUDE : C'est bien vrai, ça ! Mais je ne sais pas, tu m'as toujours dit d'essayer d'être plus féminine et des trucs comme ça. Moi, j'avais l'impression que ce genre de simagrées, il n'y a que des gars comme ça que ça pouvait attirer.

FAUSTINE : Franchement, on en entend des belles ! En tout cas, tout ce que je peux dire, c'est que je suis très contente que Gabin ait croisé ton chemin. Vous avez l'air bien ensemble, et j'espère que son travail n'impacte pas trop votre relation.

MAUDE : Non, ça va. Enfin, c'est embêtant, mais ça aurait pu être la même chose avec un autre boulot. Ça impacte notre relation quand il grogne parce que le boulot l'a mis de mauvaise humeur, mais ça, c'est un peu tout le monde pareil.

FAUSTINE : Toi, je ne pense pas que tu sois comme ça.

MAUDE : Non, moi, je ne grogne pas trop ; je me contente de me moquer et de faire des remarques acerbes. Mais, au final, ça revient à peu près au même.

FAUSTINE : Je ne sais pas. Mais en tout cas, sache que ton bonheur passera toujours avant tout le reste, et surtout avant le travail. C'est ce que je ressens moi, et j'espère bien que Gabin ressent la même chose. Alors, s'il a besoin qu'on change la façon dont on fonctionne au travail pour que ça puisse vous permettre à vous de mieux fonctionner ensemble, il n'a qu'à m'en parler. Et s'il ose faire passer son boulot avant ma petite fille chérie, alors là, c'est toi qui n'as qu'à m'en parler ! Et je ferai le nécessaire.

MAUDE : Comme lui retirer l'argent que tu lui donnes pour sortir avec moi ?

FAUSTINE : Je voulais dire comme ajuster sa charge de travail pour qu'il puisse passer plus de temps à être avec toi ou à penser à ton bonheur.

MAUDE : C'est très gentil Maman. Mais, franchement, je trouve tout ça carrément injuste pour tous les pauvres gens dont le patron n'est pas le parent du conjoint.

FAUSTINE : Il y a beaucoup de choses injustes dans la vie, ma petite anguille. Mais il faut garder ton énergie pour te battre contre les choses injustes qui t'impactent négativement. Celles qui t'impactent positivement, contente-toi d'en profiter.

MAUDE : Je ne sais pas trop quoi penser de cette affirmation. Mais je vais te laisser sur ces bons mots, et retrouver mon chéri qui semble venir de poser son dossier. Bonne soirée.

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