Acte III. Scène 1

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Environ un an plus tard – Vendredi 8 avril 2022

MAUDE : C'est à cette heure qu'on rentre ?

GABIN : Désolé, j'ai complètement oublié de te prévenir de mon retard. J'étais à peine à deux pas, mais le client était un bavard pas possible. Et puis, j'ai fait un petit détour en chemin.

MAUDE : Ah oui, c'est ce que je vois. Mais pourquoi tu as acheté des fleurs ?

GABIN : Parce que c'est l'anniversaire de notre rencontre. Joyeux anniversaire Maude.

MAUDE : De mémoire, on s'est rencontrés plutôt en février, non ?

GABIN : Je ne parlais pas de la première fois que l'on s'est rencontrés. Je parlais du jour où l'on s'est rendu compte qu'on était en train de tomber amoureux. Enfin, moi en tout cas.

MAUDE : Moi aussi, bien sûr ! Enfin je sais que c'était en même temps. Je vois de quel jour tu parles. Mais je t'avoue que je n'en avais pas retenu la date. Et, vraiment, ce n'était pas la peine de m'apporter des fleurs ; surtout si ces fleurs doivent me coûter un quart d'heure de moins à tes côtés.

GABIN : Ta gratitude fait chaud au cœur. Tu es vraiment une personne horrible, en fait.

MAUDE : Horrible, tout à fait. On se demande comment tu fais pour me supporter depuis un an entier, tout en feignant toujours l'enjouement.

GABIN : C'est vrai ça, je me demande bien pourquoi je m'inflige ça.

MAUDE : Ça doit être ma mère qui te paye. Je ne vois pas d'autre explication pour supporter une fille aussi méchante que moi.

GABIN : Tu n'es pas méchante, loin de là. On dira que tu peux faire passer ton amour de la répartie avant le soin de ne pas blesser les autres. Mais ça fait aussi partie de ton charme.

MAUDE : N'empêche, ce serait bien son genre. Je la vois bien me présenter un catalogue de tous les beaux partis du quartier, en me demandant à chaque page "Et lui ? Il ne te plait pas non plus ?"

GABIN : Pas sûr que tu te serais arrêté sur ma page.

MAUDE : Bien sûr que tu aurais été mon préféré ! Je ne le lui aurais pas dit, parce que j'aurais trouvé sa démarche on ne peut plus déplacée et stupide, et je ne me serais jamais prêtée à un tel jeu. Mais je t'aurais probablement trouvé plus craquant que les autres.

GABIN : Et moi qui croyais que tu m'aimais pour qui je suis au fond de moi, et que nos sentiments étaient nés en apprenant à se connaître et en développant une certaine complicité. En fait, je découvre que c'est mon physique qui te plait. Je ne sais pas si je devrais être flatté, mais je suis plutôt vexé.

MAUDE : Mais non. Bien sûr que ce n'est pas une histoire de physique. C'est juste que, connaissant ma mère, elle m'aurait filé un catalogue bourré d'Apollons aux cheveux gominés et aux muscles ciselés. Alors, forcément, si ta petite bouille avait réussi à se glisser entre ces pages, je me serais arrêtée dessus.

GABIN : Bien, encore mieux. Je ne suis donc pas un Apollon aux cheveux gominés et aux muscles ciselés. Tu es vraiment d'une prévenance extrême aujourd'hui. Joyeux anniversaire encore une fois.

MAUDE : Bien sûr que tu n'es pas un Apollon aux cheveux gominés et aux muscles ciselés. Et encore heureux ! Tu es mon petit Gabin le lutin. Et j'aurais été charmée par tes petits sourcils froncés et tes jolis bras croisés.

GABIN : Heureusement qu'elle paye bien, décidément.

MAUDE : C'est moi qui vais être vexée. Moi qui croyais que nos sentiments étaient nés en apprenant à se connaître, je découvre aujourd'hui que tu t'es mépris pendant tout ce temps en pensant sortir avec une fille gentille.

GABIN : Bien sûr, tu n'es pas un modèle de prévenance et d'abnégation. Mais je suppose que j'ai été charmé par tes phrases qui rebondissent.

MAUDE : J'aime bien l'image, même si ça semble un peu dangereux.

GABIN : Tu m'étonnes que ça l'est ! Tout ce que tu dis est rebondissant. Et tu n'attends pas de rattraper une phrase pour en envoyer cinq autres. On est cerné de partout et on ne sait plus où se mettre pour y échapper.

MAUDE : Mais veut-on vraiment y échapper ?

GABIN : Je ne sais pas.

MAUDE : Ça doit être une sorte de syndrome de Stockholm.

GABIN : C'est la force de l'habitude. On s'attache à ça comme on peut s'attacher à tout ; ou à n'importe quoi, je suppose.

MAUDE : Moi aussi, je crois que je dois être pas mal habituée à toi. J'ai l'impression que chaque jour qui passe, je t'aime de plus en plus.

GABIN : Tu essayes de te rattraper ou quoi ?

MAUDE : Mais non, pas du tout. J'essaye juste de décrire ce que je ressens.

GABIN : Moi, je ne suis pas sûr de t'aimer plus qu'avant.

MAUDE : Pourtant, tu disais que tu t'étais attaché.

GABIN : Oui, mais c'est différent. Je ne suis pas certain qu'on puisse aimer quelqu'un plus à un moment qu'à un autre.

MAUDE : Jamais rien entendu d'aussi ridicule ! Si on ne peut pas aimer plus à un moment qu'à un autre, comment peut on tomber amoureux sans l'être au départ ?

GABIN : Oui, bien sûr. Ce n'est pas ce que je voulais dire. Ce que je voulais dire, c'est qu'une fois qu'on est amoureux, ça me semble absurde de quantifier, ou de comparer. Bien sûr que je t'aime différemment d'il y a un an, ou même d'il y a un mois ou de ce que je t'aimerai l'an prochain. Mais je ne suis pas sûr que ça puisse être plus ou moins. Ce n'est pas quelque chose qui se mesure en euros, ou en minutes, ou en kilos d'amour. C'est à chaque fois quelque chose d'unique et qui ne s'échange pas.

MAUDE : Je crois que je vois ce que tu veux dire ; c'est parce qu'il n'y a pas qu'une sorte d'amour dans notre amour. C'est différentes saveurs d'amour qui se mesurent dans différentes unités, et pour lesquelles il n'existe pas de tables de conversion.

GABIN : Exactement ! Il y a des composantes qui augmentent et d'autre qui peut-être diminuent ou changent de nature. Enfin, les choses changent et les sentiments changent, mais pas en plus ou en moins, ni forcément en mieux ou en moins bien.

MAUDE : Enfin, moi j'ai quand même l'impression que c'est mieux ; parce que c'est l'évolution de notre histoire. C'est mieux que ça évolue, mieux qu'il y ait de nouvelles choses qui se développent, même si ça ne doit pas vouloir dire qu'on s'aimait moins avant.

GABIN : C'est mieux que ça évolue, je suis d'accord. Surtout si ça veut dire que l'an prochain tu accepteras mes fleurs.

MAUDE : Je les accepte, bien sûr. Et je t'en remercie, même. C'est mignon d'y avoir pensé. Mais c'est tellement…

GABIN : Tellement quoi ?

MAUDE : Tellement normal.

GABIN : L'an prochain, je t'offrirai une branche d'orties.

MAUDE : Peut-être pas. Mais un plan de tomates, pourquoi pas.

GABIN : Pourtant, les orties seraient un meilleur hommage à ton piquant.

MAUDE : Tu peux m'offrir un bouquet de balles rebondissantes en hommage à mes phrases qui rebondissent.

GABIN : Ça dépend si ta mère me paye assez cher.

MAUDE : Je ne suis pas sûre que des balles rebondissantes soient plus chères que des fleurs.

GABIN : Je ne comparais pas par rapport aux fleurs, mais par rapport aux orties.

MAUDE : Franchement, s'il faut que tu te donnes la peine et la douleur de les trouver et de les ramasser, je ne suis pas certaine que le coût soit moindre.

GABIN : C'est dur à comparer, de l'argent et de la douleur. Ce n'est pas la même unité.

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