Première lettre

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Comme chaque fin après-midi de juin, dès que la température le permettait, Anaëlle observait les vagues de l’océan s’échouaient sur le sable fin des côtes de Floride. Elle ne saurait dire pourquoi, mais ce lieu l’avait toujours attirée, fascinée depuis son enfance. Une légère brise marine portait à ses narines cette douce odeur si caractéristique de sel et d’iode, synonyme de liberté et d’aventure par-delà cette immense étendue bleue. Ses longs cheveux bruns ondulaient au gré du vent, tantôt absent, tantôt présent, les imprégnant de cette senteur qu’elle avait toujours adorée.

Un éclat de lumière attira son attention sur la plage, lui faisant baisser ses yeux similaires à des cendres sur ce qui lui sembla être un morceau de verre. En l’observant un peu plus attentivement, la demoiselle se rendit compte qu’il s’agissait en réalité d’une bouteille remplie d’un morceau de papier. De nature curieuse, elle décida de s’en emparer et de l’ouvrir. Anaëlle fut assez surprise de découvrir que le contenu n’était autre qu’une lettre manuscrite, surtout qu’elle était de plus en plus rare de nos jours avec les nouvelles technologies comme les ordinateurs ou les téléphones portables. La missive était rédigée à la plume, ne faisant qu’accentuer la finesse et la beauté de l’écriture et parsemée de taches, comme si l’auteur avait pleuré en la rédigeant. Toujours guidée par sa soif de découverte, elle entreprit de la lire.


Mercredi 11 juin 1997

A toi qui as trouvé ma lettre, je m’appelle Kuro DABURU.

Si tu lis ceci, c’est qu’il est trop tard pour me sauver. Ne cherche pas à m’aider, ce seraient des efforts inutiles. A quoi bon vivre quand on a, comme moi, pris tellement de vies innocentes, détruit autant de familles qui ne demandaient qu’à vivre leur vie paisiblement. Je ne peux plus le supporter. Je ne peux plus vivre avec tous ces actes sur ma conscience. Alors il est temps pour moi de quitter ce monde dans l’unique but d’arrêter ces massacres que je n’ai aucunement souhaités. Il me restait cependant une dernière chose à faire avant de partir définitivement et c’est le but principal de cette lettre : révéler ce qu’il s’est réellement passé sur l’île Ritō en cette nuit fatidique lorsque l’entièreté de ma famille a été massacrée.


L’île Ritō ? Nuit fatidique ? Massacre ? Cela lui semblait familier et en même temps inconnu, comme si elle en avait déjà entendu parler, mais qu’il lui était impossible de savoir où ni le contenu.

La demoiselle décida alors de rebrousser chemin pour regagner la maison familiale un peu plus haut sur la plage. Elle était sûre d’y trouver son frère pour lui poser des questions sur cet évènement, et s’il n’y était pas, elle irait voir sur Internet pour obtenir ses réponses. Si elle ne trouvait rien, elle lirait la lettre et aviserait ensuite. En arrivant, elle le vit sur la terrasse, prêt à partir. La demoiselle déposa la bouteille dans laquelle elle avait remis la lettre pour éviter toutes questions à son propos par son frère avant d’être dans son champ de vision.

— Morgan, attends, j’aurais une question avant que tu ne partes, l’interpela la demoiselle. Si je te dis massacre de l’île Ritō, ça te dit quelque chose ? Ça m’a traversé l’esprit pendant que je marchais, mais je n’arrive pas à me souvenir où j’en ai entendu parler.

— Tu as vraiment des pensées bizarre lorsque tu te retrouves seul sur la plage, fit-il plus pour lui-même que pour sa sœur, sachant très bien que ce n’était pas la première fois qu’elle lui posait des questions sur ce genre de sujet après ses petites promenades. Il y a une dizaine d’années, pendant une énorme tempête, l’île Ritō s’est retrouvée coupée du reste du monde. L’orage fini, les autorités ont reçu un message de détresse en provenance de cette même île. Une fois sur place, ils ont découvert la famille propriétaire de l’île complètement massacrée d’une façon des plus horribles et aucun survivant. D’où le nom de « Massacre de l’île Ritō ». Ils n’ont jamais trouvé qui avait fait ça malgré les années passées. Cela assouvit-il ta curiosité ?

— C’est parfait ! Merci grand frère.

— Je pars travailler, ne rentre pas trop tard. Il ne faudrait pas que tu sois fatiguée pour tes 21 ans demain.

— Ne t’en fais pas pour moi, le rassura-t-elle. Passe une bonne nuit.

Dès qu’il fut parti, Anaëlle récupéra la missive puis retourna sur la plage où elle s’installa à même le sol pour continuer sa lecture.


Ce carnage, c’est mon œuvre. Inconsciemment, mais c’est bien moi le responsable de ce massacre. Et malheureusement, ce n’était pas mon premier. Mais ce sera le dernier, je peux te l’assurer.

Pour comprendre pourquoi je te certifie tout ça, il faut revenir quelques années en arrière, avant tous ces meurtres, tous ces massacres que j’ai faits à travers les Etats-Unis. Il faut revenir à ce fatidique vendredi 13 juin 1992, jour de mon 21ème anniversaire. Depuis ce jour, dès qu’un orage éclate dans la ville où je me trouve, les autorités retrouvent des familles, des couples, des innocents massacrés, torturés à mort, mutilés de la façon la plus atroce qui soit. Et chaque matin qui suivait ces découvertes macabres, je me sentais comme si je venais de faire une nuit blanche. La première fois, je n’y ai pas prêté attention. La deuxième fois, j’ai pensé à une coïncidence. La troisième fois, j’ai commencé à me poser des questions, mais je n’avais aucune preuve. La quatrième fois, je me suis filmé dans mon sommeil. Mais il n’y avait toujours rien. Et plus le temps passait, plus mes doutes se solidifiaient malgré le manque de preuve. J’avais alors pris l’habitude de m’attacher la nuit lorsqu’une tempête faisait rage. Mais je m’éloigne du sujet initial.

La veille, nous étions arrivés sur l’île familiale pour une réunion visant à choisir le successeur de grand-père. En milieu d’après-midi, une tempête a commencé et son intensité a fini par isoler l’île. Comme toutes les autres fois, un énorme ouragan battait alors son plein. Mais je n’y ai pas prêté attention, trop occuper avec le reste de ma famille. Le soir venu, je me suis couché comme si de rien n’était.

A mon réveil, j’étais couvert de sang, comme si le moi tueur n’avais pas voulu prendre la peine de se nettoyer comme les autres fois. C’est à ce moment précis que j’ai compris que je venais de perdre ma famille, de massacrer tous ses membres sans exception. La boule au ventre, je me suis levé pour découvrir l’œuvre macabre que j’avais accomplie pendant la nuit. Un vrai bain de sang. Mes parents avaient été sauvagement égorgés et leur crâne fracassé. Ils étaient méconnaissables, baignant dans leur propre sang sur ce lit autrefois d’un magnifique blanc. Mes oncles et mes tantes avaient été démembrés et leur ventre ouvert laissait pendre leurs boyaux. Mes cousins et cousines quant à eux avaient un pieu planté dans le cœur comme s’ils étaient de vulgaires vampires. Mon grand-père avait été carbonisé dans son bureau jusqu’à ce qu’il de reste que les os noircis par le feu, sa bague attestant de son identité. A la vue de cette boucherie, j’ai senti mon estomac se retourner et j’ai rendu mon repas de la veille à peine les toilettes rejointes.

C’est pour ça que j’ai décidé de mettre fin à mes jours. Je ne pouvais pas supporter un carnage de plus à mon actif. J’avais réussi à quasiment stopper cette folie meurtrière qui m’habitait les nuits d’orage, mais ce dernier massacre était celui de trop. C’était trop pour ma conscience. Je n’arrivais déjà presque plus à dormir la nuit, régulièrement réveillé par des cauchemars.

Cette lettre, en plus de révéler au monde entier ce qu’il s’est passé en cette nuit orageuse, permet aussi de montrer le monstre que je suis réellement avant que je ne mette fin à mes jours au large de l’île où ma famille a rendu son dernier souffle.


Devant ces révélations, Anaëlle ne savait pas quoi faire de cette lettre. Devait-elle la prendre au sérieux et la remettre à la police ? Devait-elle l’ignorer et faire comme si elle n’avait jamais existé ? Peut-être que quelques recherches lui permettraient d’y voir plus claire dans cette histoire. Malheureusement pour elle, les détails de l’affaire n’étaient pas divulgués, les représentants de l’ordre ayant bloqué l’accès à l’île aux médias, l’empêchant de savoir si les scènes de crimes décrites étaient bien celles retrouvaient par les autorités. Ne sachant toujours pas quoi faire, la demoiselle espérait que la nuit lui porterait conseil.

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