Chapitre 14

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  • Vous y croyez vous, au malaise de Phoebe ? S’exclama Bryan, jouant avec le ballon entre ses mains.

— À mon avis elle a plutôt exagéré la chose pour que June en bave, répondit machinalement Maverick Hart, ennuyé par ce sujet de conversation peu intéressant à son goût. Et les choses ne vont sûrement pas en rester là.

— Les filles sont vraiment bizarres, intervint un jeune homme d’une carrure plutôt imposante à sa droite. Je ne les comprendrais jamais.

— C’est parce qu’il y a rien à y comprendre Gordon, elles sont chiantes, point. Quelle galère cette histoire…

Le professeur était parti accompagner les deux jeunes femmes, dont l’une s’était miraculeusement réveillée après le départ de la Henley, et les autres élèves vaquaient à chacun dans leur coin, le même sujet au bout des lèvres de tous. Certains garçons avaient repris leurs matchs, tandis que d’autres s’étaient mêlés aux filles pour en savoir plus. Deux jeunes femmes s’avancèrent vers le groupe formé par les garçons quand deux autres, l’un brun, l’autre blond, firent leur entrée dans le gymnase. Le jeune Gray se retourna vers eux et lança le ballon dans leur direction, que le blond attrapa facilement dans un sourire moqueur.

  • Alors, murmura l’une des deux filles, les cheveux bruns attaché en queue-de-cheval haute. Comment vont-elles ?

— Lauren n’a rien, répondit évasivement Kylian Mckinney en secouant la tête. Et…

— Phoebe a un léger hématome à la joue, l’interrompit le blond dans un ricanement, du nom de Duncan Weaver. L’infirmière a beau lui dire que c’est superficiel, on l’entend geindre jusqu’au bout du couloir ! June ne l’a pas ratée tiens !

Le Mckinney tiqua à cette phrase et lança un vague regard noir à son ami, avant de franchir les quelques pas qui le séparaient du mur en face, se posant à côté d’un Wesley Chambers totalement stoïque. La mâchoire crispée, son regard glissa lentement sur le sol, le regard vide.

  • Au fait, vous pensez que c’est vrai ? Demanda subitement Bryan, arrachant le ballon des mains du blond qui retint un juron.

— De quoi tu parles ?


— Mais si, la rumeur de ce midi. Comme quoi June coucherait avec des vieux, et notamment avec… Vaughn. Rien que d’y penser, j’en ai la nausée.


— Comment tu peux y croire une seule seconde ? S’écria Savannah, scandalisée. Vaughn la dans le collimateur, ça c’est sûr, mais ça ne fait pas d’elle une traînée comme Lauren a pu le beugler tout à l’heure. Bryan, tu imagines sincèrement June capable de faire ce genre de choses ?


— Non, non ! Répondit-il en secouant la tête, croisant le regard noir de la jeune femme brune. C’est vrai qu’il l’a renvoyée de son cours ?


— Ça, c’était totalement injustifié ! C’est pareil avec ce qu’il vient de se passer, désolée de dire ça Kylian, mais Lauren l’a vraiment cherché…


— Kylian n’a rien à voir avec ce qu’il s’est passé, murmura aussitôt Duncan en scrutant le visage impassible de son ami. Mais je m’inquiète vraiment pour June, je me demande où elle a pu passer…


— Surtout qu’elle avait l’air flippante, non mais vous avez vu son regard ? J’espère qu’on ne va pas apprendre une mauvaise n…


— Non mais… comment tu peux penser à des choses pareilles Bryan ?! S’indigna Savannah, complètement choquée et dépitée de compter un abruti pareil parmi ses amis. On ne doit pas penser à ça enfin !


— Calmos ! Tu sais très bien que ce n'est pas du tout ce que je souhaite, elle ne m’a rien fait June !


— J’espère bien ! Déjà que ça ne doit pas être facile pour elle tous les jours alors si en plus on…



La jeune femme se stoppa brusquement devant l’expression sombre arborée par le brun appuyé contre le mur, et elle fut vivement imitée par les deux autres énergumènes qui ne dirent plus un mot, s’échangeant des passes pour tuer le temps. La porte du gymnase s’ouvrit à la volée et tous se retournèrent pour abhorrer le nouvel arrivant, qui leur lança un bref regard avant de s’avancer dans la direction opposée à l’endroit où ils se trouvaient.


  • Hé Liam ! Le héla le Weaver en lâchant le ballon, tandis que l’intéressé se retournait pour lui faire face, s’essuyant le visage du revers de la main.

— Qu’est-ce qu’il y a ?

— Ben… Tu l’as trouvée ? Je veux dire, tu étais bien en train de chercher June non ? Demanda le blond, se grattant la tête d’un air gêné.

Nul doute qu’il devait afficher sa perpétuelle tête d’ahuri, mais parler à ce type le dérangeait quelque peu. Après tout, ce dernier avait eu l’air très proche de l’ancienne meilleure amie de Kylian, lui-même son propre meilleur ami…


  • Elle est près du portail, murmura-t-il simplement. Je suis juste venu chercher mon gilet, ajouta-t-il avant de reprendre sa marche.

— Ça veut dire qu’elle s’est barrée du lycée, souffla Bryan aux autres, tandis que Duncan regardait le brun s’éloigner d’eux. Si la directrice l’apprend, ça craint pour elle…

— Tu l’as dit, acquiesça le blond dans un soupir, imaginant parfaitement la scène. Elle est trop flippante comme femme.

Le Mckinney lui, n’avait rien perdu du court échange entre Duncan et le brun qui retournait déjà sur ses pas, le regard soucieux. Leurs regards d’encre se croisèrent un instant et la mâchoire de Le Mckinney se contracta convulsivement, jusqu’à ce que Liam détourne la tête, mettant fin à leur brève joute visuelle. Puis il franchit les quelques mètres qui le séparaient de la porte, et tous le regardèrent sortir du gymnase, probablement pour aller à la rencontre de la jeune femme. La même question taraudait les esprits des jeunes gens, et le rejeton des Gray se jeta à l’eau.


  • Il y a un truc entre ces deux-là non ? Je ne me rappelle pas avoir jamais vu June lui adresser la parole, du moins jusqu’à aujourd’hui.

— Je ne pense pas qu’ils sortent ensemble, ça serait un peu prématuré, répondit Savannah, jetant un bref regard à Kylian, le regard étrangement agacé. Mais il a eu réellement l’air de se soucier d’elle, et ce n’est pas une si mauvaise chose, je trouve.

Duncan ne l’avouerait probablement jamais, mais il donnait raison aux propos de Savannah. Savoir que la jeune Henley n’était pas complètement seule le rassurait quelque peu, ne sachant si lui-même pouvait lui apporter ou non son soutien. Tout s’était enchaîné si vite qu’il n’avait pas eu le temps de comprendre ce qui s’était passé. Et d’ailleurs, Kylian ne lui en avait pas touché un mot. Tournant la tête vers ce dernier, il scruta longuement son visage d’un air soucieux, se demandant à quoi le brun pouvait bien penser en ce moment. Se sentant observé, le Mckinney releva son regard sombre et croisa les prunelles azures de son ami, avant de se redresser légèrement pour marcher lui aussi, vers la porte du gymnase. Surpris, Duncan hésita un court instant avant de le suivre, un tas de questions sans réponses dans la tête.




******************


Frictionnant mes membres engourdis par la pluie glacée, je traîne un peu des pieds en franchissant le portail du lycée, une envie subite de m’enfuir à toutes jambes. Inutile de reculer désormais, cela ne servirait à rien, ça ne réglerait pas non plus les choses, bien au contraire. Je me sens nullement prête à affronter le courroux de la directrice, totalement exténuée moralement parlant. De toute manière, j’assume totalement mes actes. Avoir frappé ces garces ne me contentera pas éternellement, et ce n’est pas avec une piètre gifle que je vais régler mes comptes. Mais j’espère tout de même ne pas avoir un visage trop bouffi, sinon on devinera sans peine que j’ai lamentablement chialé et on risque de me prendre pour une cinglée – si ce n’est pas déjà fait… Des bruits de pas retentissent dans la cour et mon cœur rate un battement, espérant naïvement quelque chose. Levant péniblement mes yeux, je croise alors deux orbes sombres me dévisager avec inquiétude, le regard d’encre glissant de haut en bas sur ma silhouette. La pluie tombe toujours, et les pas se rapprochent lentement, jusqu’à se stopper à quelques mètres de moi. Pourquoi ?


  • Tu es complètement gainée, constate-t-il dans un souffle, tandis que je me mords la lèvre, prise de remords.

— Je…

C’est tout ce que je suis capable de prononcer actuellement, l’incompréhension se faisant plus grande dans mon esprit. Mon regard dérive sur ses cheveux courts passablement mouillés, comprenant qu’il a dû me chercher après mon départ. Une seule question brûle mes lèvres. Pourquoi ? Pourquoi se soucie-t-il autant de moi ?


  • Écoute, commence-t-il lentement, m’incitant à le regarder. Je sais que ça ne me regarde pas, et je me doute bien que non, ça ne va pas.

— Hein ?

— June, ne te sens pas obligée de m’en parler si tu n’en as pas envie. Mais tu m’as quand même fait une frayeur en t’éclipsant sans dire un mot.

Mes yeux me brûlent à nouveau, un brusque élan de bonté s’emparant de moi. Ce garçon… Pourquoi est-il si gentil avec moi ? Ça existe réellement, des êtres capables d’éprouver de l’inquiétude pour des personnes qu’ils connaissent à peine ? Le simple fait qu’il m’appelle par mon prénom me donnerait presque envie de pleurer, et ça ne fait que renforcer ce sentiment de culpabilité qui s’intensifie à l’idée d’avoir pu lui causer du souci.

  • Je… Il faut que j’aille voir Monsieur Brown pour m’excuser, marmonnai-je en baissant les yeux, incapable de trouver quelque chose de mieux à dire.

— Il est parti accompagner Crawford et Massey à l’infirmerie. Tu devrais en profiter pour aller te changer, tu risques d’attraper froid sinon.

Lui aussi non ? Un coup d’œil à mon haut détrempé suffit à lui donner raison, sans compter qu’on peut presque voir mon soutien-gorge se dessiner à travers le tissu.


  • Hum, oui… murmurai-je, sentant mes joues rougir légèrement. Je… J’y vais, alors m…

Ma voix s’éteint devant la main tendue dans ma direction, le regard encore soucieux de Liam me transperçant au plus profond de mon être. Pourquoi… Tremblante, je glisse mes doigts dans la paume agréablement chaleureuse et tente tant bien que mal de calquer mes pas au rythme des siens, le cœur battant plus vite qu’à l’ordinaire. Sa main si chaude… Mais au moment où nous arrivons près du gymnase, il se stoppe brusquement et je m’arrête à mon tour, le sondant du regard. Puis mes yeux glissent d’eux-mêmes sur la raison de ce brusque arrêt et mon cœur se compresse aussitôt dans ma poitrine, le souffle venant à me manquer. Bien que Duncan se tienne à ses côtés, le visage tourné dans notre direction, seules les prunelles de jais m’atteignent réellement ; impassibles. Une larme dévale ma joue. Je ne peux plus avancer.


  • Ferme les yeux. Je te guiderai.

Cette phrase, soufflée par Liam, m’apparaît comme une bourrasque de vent frais, dissipant ma tristesse. N’écoutant que la raison, mes paupières se ferment et je me laisse guider par cette main si douce qui pourtant me tient avec fermeté, comme pour me ramener à la réalité. Je ne veux pas savoir s’il me regarde, non, je ne veux pas. Je veux simplement effacer son image de mon esprit, rien d’autre. Et pourtant, cette sensation si lourde qu’elle m’engourdit les sens… Son regard pèse, ça m’affecte. Ça m’affecte vraiment. Les secondes passent et je me contente de serrer les dents, jusqu’à ce que la voix salvatrice m’invite à ouvrir les yeux. Je m’exécute, clignant plusieurs fois des paupières pour retrouver mes repères, avant de relever mon regard dans le sien. Inquiet, encore.



  • Je te laisse ici, commence-t-il doucement en jetant un regard aux vestiaires. Même s’il n’est pas encore revenu, mieux vaut que je retourne au gymnase avec les autres.

Ses doigts se défont lentement des miens, un faible sourire illuminant son visage. Et au moment où il s’écarte de moi pour partir, la main qu’il tenait précédemment dans la sienne s’agrippe à son bras, comme pour le retenir. Je le lui dois, je le lui dois tellement.


  • Liam, je… »

Un seul. Un seul mot suffit.

  • Merci…

Souriant faiblement, je lève les yeux vers son visage.

  • Merci… pour tout, murmurai-je, la voix presque inaudible.

Son sourire… Je ne me lasserais jamais de son sourire. Tellement, je lui dois tellement.

  • Je t’en prie.

Et je le laisse partir, contemplant un long moment son dos jusqu’à ne plus pouvoir le voir. Bien que je me retrouve à nouveau seule, tout me semble… Différent. Même ce trou dans ma poitrine, si béant, semble s’être refermé. Un peu, juste un petit peu. Grâce à lui. Grâce à ses mots.

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