Chapitre 6 : Franges

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Peu de jours s'écoulèrent avant qu'il coiffât d'autres clientes, toutes enchantées. Mais leur niveau social semblait les empêcher de remercier chaudement et directement un jeune homme destiné à les servir. Ainsi Paul-Hubert se bornait à recueillir les satisfactions de sa clientèle en tentant de s'en contenter sans s'en sentir dépossédé.

La damoiselle revint vite. Dans l'attente il avait été des plus fébriles, n'osant imaginer la suite des événements sans pouvoir pourtant s'en empêcher. Paul-Hubert savait qu'elle ne venait pas se faire coiffer et cela figea quelque peu son rictus. Elle se laissa offrir un thé mais garda son manteau sans sucre afin de le boire dehors en compagnie d'un jeune homme qui fascinait de plus en plus de monde, tout en restant très mystérieux. Elle lui reparla de la coiffure à domicile. Il prétendit que cette idée ne l'enchantait pas. Au fond, il savait qu'en dehors du salon il lui faudrait acquérir une tenue vestimentaire adéquate pour se rendre chez ce genre de clientèle, or il ne savait définir cette tenue, ne pouvait la payer et était convaincu d'en nécessiter plusieurs. Elle resta dubitative mais lors de cette deuxième entrevue sur le trottoir il sentit ses yeux le regarder de manière nouvelle. Il ne put y croire ni s'empêcher de rougir. Sentant ses oreilles ardentes, il pensa qu'il aurait pu préparer du thé en les trempant dans un gobelet d'eau froide. Elle fit mine de ne pas voir sa gêne. Sachant ne pas l'accabler en ne se départant pas de son air sec de violence contenue. Lui, tournait fréquemment la tête en direction de la vitrine où Paul-Hubert se tenait, mal caché par cette décoration si moderne qu'elle avait l'air d'avoir été interrompue en cours de montage. Quand elle comprit sa préoccupation subordonnée, elle lui conseilla d’ouvrir son propre salon « mais je n'ai pas d'argent ! -moi si » rétorqua-t-elle immédiatement, et il fut surpris par cette spontanéité.

À présent le bouche à oreilles, le téléphone à franges comme disait Paul-Hubert, avait commencé à fonctionner et certaines clientes arrivaient en le désignant d'office, et en le mettant de moins en moins en garde. La confiance s'installait. Elles lui demandaient toujours une création extraordinaire, le pensant probablement magicien. En réalité chacune voulait que ses amies ressentissent le même étourdissement qu'elle-même avait subi en découvrant chez une autre cette révolution capillaire pour la première fois. Gardant sa ligne de conduite toute en discrétion, qui ne l'autorisait pas même à donner son nom, il œuvrait de son mieux. Tout en demeurant reconnaissant et admiratif devant son Maître, ainsi qu'il avait rebaptisé PH, sentant poindre quelque jalousie en lui. Ne sachant son nom, les femmes qui créaient sa réputation l'avait surnommé l'Artiste. Paul-Hubert s'étant depuis longtemps gargarisé du titre, inventé par lui, de Capillairiste se sentit un peu à la traîne. Surtout qu'à cause de sa blessure il n'avait pu créer pendant plusieurs jours. Mais si l'amertume s'immisçait en lui, il se devait un contrôle total car il ne pouvait se séparer du jeune audacieux. Son salounge de coiffurisme étant le plus couru de la capitale, et bientôt, il en était convaincu, du monde !

La jeune bourgeoise revint, mais ne voulu pas de thé. La journée étant chaude elle voulut un jus de fruit frais comme on en proposait ici. Cette anecdote ne troubla personne, et fort heureusement car elle était insignifiante. Après lui avoir demandé s'il avait changé d'avis quand à la coiffure à domicile, ce qu'il n'avait pas fait, en partie de peur de se désavouer, elle lui annonça qu'il avait raison, qu'un artiste de son acabit n'avait pas à se déplacer continuellement comme un VRP, même de luxe. Il devait posséder son propre Lounge. Un lieu à sa hauteur, pouvant le représenter, lui offrir la vitrine sur le monde qui lui manquait. Estomaqué, il ne sut que répondre devant cet afflux de compliments, excepté que ses finances étaient lacunaires. Elle répliqua avoir les moyens, sa réputation étant faite le succès serait assuré. Incrédule devant cette proposition sans détour, il botta en touche, répondant que cela tuerait Paul-Hubert. Elle rétorqua qu'il ne passerait pas sa vie sous son autorité, à moins qu'il n'en fisse explicitement le choix. Elle acceptait de le laisser réfléchir encore un peu, surtout pour s'organiser concrètement car elle ne lui octroyait qu'un très court délai. La chance qu'elle lui offrait devait être saisie sans attendre, cela n'était pas que de la politesse, c'était également du bon sens.

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