Chapitre 7 : Mèche

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Il n'avait effectivement pas le choix. Un miracle se présentait à ses yeux, comment rester sceptique ? Enfin reconnu à juste valeur, et, surtout, enfin pouvoir s'investir pleinement dans son art, laisser s'épanouir sa créativité.

C'est ainsi qu'un mois après avoir lâché son balai il inaugurait son “propre” salon, non sans avoir au préalable essuyé la tempête de son ancien patron qui le traita d'ingrat... et de bien d'autres choses, faisant ainsi la démonstration de son inventive créativité.

Le succès fut fulgurant. Il devint le coiffeur le plus en vue de la capitale et intriguait déjà le monde entier. Les stars internationales imploraient un rendez vous, il ne savait plus où donner des ciseaux. Bérengère n'avait pas que payé le salon, elle le possédait réellement, mais l'amour semblait éternel et ces questions triviales ne l'entravaient pas. Sa clientèle l'avait suivi, elle avait fait des petits, Bérengère avait même souri. Il ne lui parla pas des chiens et dut ruser pour raconter son parcours. En même temps elle ne faisait pas montre d'une profonde curiosité pour lui, ni pour grand chose à part elle même, et les interminables potins, scandales et autres tendances dont elle discutait indéfiniment en compagnie d'Anne-Sophie, Pétronille et autre Victoire, dans un salon rose bonbon empli de poufs moelleux et de volutes sucrées recréant à merveille la sensation, angoissante pour certains, onirique pour d'autres, d'être pris au piège dans une machine à Barbe-à-Papa. C'est là qu'elle passait le plus clair de son temps, c'est à dire ses journées car le temps sombre se prenait souvent bon aux bars à champagne.

Il s’installa chez elle sans que cela implique autant d’intimité qu’il l’avait imaginé. Ce qui, en un sens, préservait leur couple de l’usure. Il eut la jouissance d'une partie, modeste en comparaison mais déjà conséquente, de l'appartement de Bérengère dans le septième arrondissement. 222 mètres carrés sur deux étages au dessus d'un parking abritant les bolides les plus fuchsia qu'on put imaginer. Il fut surpris par la forme de la plupart des meubles et ne s'habitua jamais vraiment à leur fréquentation. Il passait son temps libre à fumer pensivement des cigarettes à la fenêtre tandis qu'une réunion de l'état-major du ragot se tramait dans les appartements de sa douce. Il s'étonnait encore d'avoir été happé vers le bonheur, si rapidement et facilement qu'un goût d'inachevé venait par conséquent teinter légèrement, mais pas suffisamment pour qu'il s'appesantît sur les réactions de Bérengère à son égard, à des moments qu'il jugeait d'égarement sans y attacher plus d'importance comme la mansuétude nous entraînerait envers un chaton même très taquin tiens un pigeon s'est posé sur le banc, où est mon briquet ?

Il était devenu fier de lui, ses parents aussi, prompts à le pardonner bien plus qu'à s'excuser un tant soit peu. Le mariage promettait d'être somptueux. C'est pourquoi il ne comprit pas que sa clef ne tournât pas dans la serrure ce vendredi soir. Il ne comprit pas non plus qu'elle ne répondît pas à ses messages, après tout elle les recevait même en voyage à New York. Ce n'est que devant le kiosque à journaux qu'il eut un début d'explication. Elle faisait la couverture en compagnie de Djordan qui allait tenter sa chance dans le Arrenbi en enregistrant un album avec des pointures des States (mais commençait par la tournée des clubs au bras de sa nouvelle conquête)...

Il retourna dans son ancien chez-lui, abattu. Il avait nostalgiquement conservé son gourbis afin de ne jamais oublier ses origines. Et ses origines en cet instant se rappelaient cruellement à lui. Solitaire car incompris, même en son foyer. Il passa le weekend à chercher des explications rationnelles de plus en plus originales, tout en coiffant machinalement son linge de maison, qui ne répondait pas très bien à cette offre d'épanouissement.

Au lundi matin il n'avait toujours pas de nouvelles et ne pouvait plus se convaincre qu'elle fréquentait Djordan pour la richesse de son vocabulaire. Ni qu'elle attendait le bon moment pour lui emprunter son chargeur de smartphone afin de tenir son fiancé informé de la bonne tenue de ses vacances. Sa naïveté survécut mal à ces deux jours d'angoisse. Il se demanda si elle avait ressenti autre chose en couchant avec lui que la fierté de posséder le meilleur ? Avait-il été autre chose que le dernier cri en matière d'accessoire ? Un must have qu'elle avait déniché la première, et qui plus est : unique. Cela le déstabilisa quelque peu, difficile pour une quelconque fierté de sourdre du pathétique... Il était harcelé sur son portable par les clientes poireautant rue Montaigne, mais que pouvait-il répondre ? Il n'avait pas la force de reporter les rendez-vous. Voulait-il encore coiffer si c'était au seul bénéfice de son bourreau ? La créativité captive peut-elle se réinventer ?
Comme un baroud d'honneur, il appela sa future belle-mère qui prétendit ne pas se souvenir de lui et rit franchement à l'évocation d'un mariage. Le coup fut brutal, toute la morgue bourgeoise, la snob vilenie le cingla. Une vague s'était gonflée durant ces deux derniers jours et elle s'abattit enfin sur lui, nauffragé à bout de force se laissant rouler par les flots. Il raccrocha les yeux vagues et après avoir fait des dreadlocks à ses rideaux, se pendit au bout d'une sublime corde en cheveux de toutes sortes, accumulés depuis longtemps, comme s'il avait toujours su.

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