Chapitre 5 : Envisager

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À l'ouverture Paul-Hubert était là, le doigt bandé. « Sois content, tu deviens coiffeur à plein temps, mais méfie-toi, des tensions sont nées dans l'équipe... »

Il s'installa dans un coin, se préparant à affronter les bêcheuses en en faisant fi. Les filles du salon adoptèrent différentes attitudes, elles qui ne l'avaient jamais remarqué auparavant et ne lui avaient donc forcément pas parlé. Certaines continuaient simplement de l'ignorer, ne changeant rien dans leurs habitudes. Certaines lui jetaient quelques regards noirs qu'il interceptait à la dérobée puis laissait glisser entre ses cils. Certaines lui décochaient des œillades admiratives, timidement. Certaines lui souriaient même franchement, ah non, Paul-Hubert se tenait derrière lui à ce moment-là.

Aucune ne lui parla, mais le patron ne s'en soucia guère et lui livra une dame âgée et acariâtre qu'il n'aimait pas tant entendre le morigéner en maugréant. La vieille femme ne cacha d'ailleurs pas sa désagréable surprise d'être livrée entre les mains d'un jeunot à l'air plus ahuri que déterminé. Paul-Hubert et ses courbettes surent presque la convaincre en ne lui laissant guère le choix.
Sa confiance en son talent ne l'empêchait pas d'être stressé, mais ce stress n'entamait en rien sa dextérité. Il fit du très bon travail, mais on disait bel ouvrage. Il avait su donner l'impression d'un soleil, même s'il était couchant à cause de l'age déclinant du sujet. L'ancêtre dût bien reconnaître qu'il avait su accommoder voire rehausser les restes de beauté cachés au creux des rides, sans toutefois l'exprimer aussi clairement. Il retourna s'asseoir dans son coin après avoir reçu les félicitations de Paul-Hubert et se replongea dans l'observation des apprenties pipelettes qui le fascinaient à mesure que lui aussi les découvrait.

Tout ça ne dura pas car La Cliente revint et il se leva d'un bond pour aller l'accueillir. En vain car il fut précédé par l'associée de Paul-Hubert, dont la fonction de prime abord semblait être hôtesse d'accueil obséquieuse. Puis par Paul-Hubert lui même qui ne manquait jamais de saluer ses clientes. Enfin il put se contorsionner suffisamment pour qu'elle le remarquât derrière les larges épaules du patron et les hanches de sa première collaboratrice qui les concurrençaient honorablement.

Il était toujours subjugué par son immense beauté, fasciné par sa dureté et tétanisé par sa froideur. Après cette analyse précise de son ressenti, dont deux arguments sur trois n'était pas forcément positifs, il bafouilla pâteusement quelques borborygmes. Elle lui demanda de la suivre sur le trottoir sans lui avoir répondu, mais que répondre à d'aussi floues salutations ?

Géné autant qu'enthousiasmé qu'elle désire converser, il la suivit dehors et l'écouta. Elle était ravie de sa coiffure et le ferait savoir. Elle pouvait lui rapporter une clientèle exigeante mais nombreuse, qui lui assurerait rapidement une belle renommée. Pouvait-il coiffer à domicile ?

Non, il n'avait pas de matériel et était engagé chez Paul-Hubert. Il ne quitterait pas précipitamment le seul à lui avoir offert sa chance. D'ailleurs, du coin de l'œil, il voyait que Paul Hubert n'appréciait pas cette connivence nouvelle. En bon professionnel des affaires il pressentait sûrement que cela finirait par lui nuire. Il reprit son travail en s'essayant à plaire à Paul-Hubert, lui expliquant que la demoiselle ne l'avait que félicité tout en lui suggérant de s'installer à Londres. Il s'empressa de préciser qu'il ne l'envisageait pas du tout, et Paul-Hubert rebondit sur le mot envisager qu'il aimait tant.

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