Chapitre 3 : Tournesols

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Elle n'avait pas rendez vous. On la fit patienter. Elle buvait du thé vert, en feuilletant les magazines hyper hypes du guéridon Stark.

Les étudiantes coiffaient en piaillant comme on leur avait enseigné, Paul Hubert en tiroir-caisse se goinfrait en raillant mais il vint à saigner, il s'était pris le doigt dedans... drame.

Faisant bonne figure, tout sourire, il s'éclipsa dans l'arrière boutique. Devant l'ampleur des dégâts, il ne put se résoudre à éviter les urgences. Son outil de travail était touché et son assurance servait à ça. Mais il venait de s'engager à traiter sa cliente et se voyait forcé de la laisser en plan. Il ne pouvait souffrir un pareil manquement. Il observa les étudiantes débordées, l'agenda dégorgeant, vendredi. Bref coup d'œil à sa collaboratrice qui en retour, sans mot dire et sourcillant même à peine, lui confirma l'impossible merdier dans lequel il était. Alors il se souvint du sous-fifre au balai. Il l'attira à lui.

« Tu as dis que tu savais couper et bien. Voilà ta chance. Tu te révèles ou tu te grilles. À partir de maintenant plus question de balais, jamais. Saisis l'occasion. Œuvres ou échoues »

Sans un mot en réponse, il posa le balai dans un coin et alla se laver les mains tandis que Paul-Hubert installait la demoiselle et lui expliquait fallacieusement la situation avant de s'éclipser. Il n'avait aucune idée des mots à employer, aussi il commença par se taire. Il la regarda profondément, tentant de sentir sa beauté, sa personne et de s'accorder à ses désirs. Heureusement elle avait l'habitude d'être servie et lui déballa son envie du tac-au-tac. Ce serait simple : elle voulait changer de tête, changement de vie oblige. Du volume sans la longueur, de la couleur mais légèrement, elle voulait ça, et que ce soit réussi. Elle se tût abruptement et replongea dans sa lecture, car Djordan de Star Qu'àdemi aurait trompé Beverley et elle devait savoir.

Tandis qu'elle se faisait masser le cuir chevelu d'un shampoing aux senteurs exotiques par la préposée du jour, il cherchait l'inspiration créatrice, les yeux plissés de concentration. Quand elle fut prête, il l'était aussi. Il saisit les cisaux et subitement ses mains s'agitèrent. Elles se mirent à voleter autour des tempes, délicates et affairées, en un ballet aérien devant sublimer la chevelure. Elles repéraient en rase motte les opérations à mener auxquelles elles se livraient ensuite avec une précision chirurgicale. Pour éviter tout dommage collatéral, elles répétaient parfois l'opération, y allant par petites touches comme un sculpteur, un impressionniste. En dépit du bourdonnement de ses mains et du cliquetis des ciseaux, lui même gardait une apparence très calme tandis qu'il vivait une sorte de transe intérieure. L'image qu'il avait en tête prit forme devant lui.

Un léger tremblement agita le côté gauche de sa lèvre supérieur : il lui avait fait Les Tournesols de Van Gogh.

Bien qu'elle ne connût sûrement pas ce tableau, elle fut subjuguée. Pourtant elle n'exprima que le minimum de la gratitude entre des lèvres pincées qui souffraient le moindre remerciement.

En arrière plan, les collègues, bouches bées, hésitaient entre jalousie et admiration. Comment avait-il réussi cela ? Et, surtout, qui était ce blanc-bec qu'elles n'avaient pour ainsi dire jamais vu ?

Savourant sa victoire, il reprit son balai, attendant le retour du patron pour recevoir ses louanges. Mais cela ne se passa pas ainsi.

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