Chapitre 2 : Rideaux

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Dès la première fois où il avait tenu des ciseaux il avait su que là serait sa vie. C'est en voyant ce film à propos d'un homme aux mains faites de ciseaux qu'il avait voulu jouer lui aussi.

Ainsi les rideaux, les draps, les nappes d'abord, mais cela se remarquait trop. Il s'essaya aux buissons alors, mais il fallait de bons ciseaux. Les chiens du quartier ensuite, mais chaque dérapage lui fendait le cœur et les oreilles à cause des voisins. Jouer avec des ciseaux n'est pas si anodin avait-il fini par comprendre, et les poupées de sa sœur avaient achevé de le convaincre.

Son apprentissage fut long et difficile, clandestin, mais il se sentit un jour prêt à se confronter à la réalité. Sa sœur accepta de se livrer entre ses mains en échange de la coiffure de la présentatrice météo, mais leurs parents horrifiés ne laissèrent pas son entraînement se poursuivre. Alors ce fut en cachette, derrière le mur des toilettes de l'orphelinat, qu'il coiffa ses premières starlettes.

Elles n’avaient pas de parents pour faire d'histoires, mais les bonnes sœurs finirent par le déloger. Il commençait à pressentir le monde comme un conglomérat ennemi de son talent prometteur.

Et ses soupçons bientôt se confirmèrent. Il dut se rabattre sur des cobayes plus proches de lui dont les mères ne pouvaient payer le coiffeur, et il en fit des heureuses ! Jusqu'à ce qu'il soit renvoyé du lycée, car lui apprit-on « Cela ne se fait pas ! ».

Ses parents, désespérés, l’envoyèrent à Paris où, songeaient-ils, il ne pourrait nuire plus à leur réputation. Il voulait coiffer ? Il pouvait se brosser ! Qu’il file ! Il nous avait fait faire assez de cheveux blancs ici.
Muni d'un léger pécule parental, il était parti, comme tant d'autres avant lui, tenter sa chance. Vérifier si son numéro était le bon, et faire valider son ticket le cas échéant. Rastignac, Cézanne, Brassens, il aurait pu s'identifier s'il avait seulement eu vent de leurs aventures. Seul dans son ambition, sans autres références que sa propre estime, il y croyait pourtant fermement. Tant et si bien qu'il conservait son moral malgré les nombreux échecs essuyés. Pour preuve l'attachement démesuré qu'il entretenait avec sa miteuse chambre de bonne, la considérant comme l'antre vénérée de sa créativité. Il la quittait toute la journée en quête d’un emploi. Il voulait devenir coiffeur, on l'aurait deviné. Il avait son talent pour atout, mais un atout bien caché. Après avoir écumé tous les salons, épongé tous les refus, sa vision du monde s'était affinée : un ramassis d'incompétents, la méchanceté en bandoulière. L’aigre revanche qu’ils avaient éveillée en lui l’amena à ne désirer plus qu'une seule chose : travailler dans le plus prestigieux établissement de capillocréativité ou rien, et enfin leur faire voir à tous sa valeur. Il avait donc patiemment harcelé le propriétaire en le couvrant d'éloges, lui vantant ses propres talents, lui offrant même de travailler gratuitement. Jusqu'à ce que de guerre lasse Mr Lafartouz accepte de l'embaucher comme stagiaire balayeur, payé par les Assedic. Il avait mis un pied dans ce temple de l’agencement capillaire mais il ne coiffait toujours pas et dans cette ville, étrangère à lui, il ne savait où trouver le mur des toilettes. Alors il avait repris le cours canin, et certaines propriétaires de caniches hurlaient au scandale en retrouvant leur petit chéri-tout-plein agrémenté d'une afro, d'une crête ou d'un carré plongeant dégradé. Cela n'avait pas encore attiré l'œil des professionnels et il rongeait son frein patiemment jusqu'à ce jour de mai...

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