Chapitre 1 : Soleil

2 minutes de lecture


Elle était belle à en faire pâlir le soleil. Il se l'était dit dès qu'il l'avait vue, car il n'avait que peu de lettres. Il ne s'était pas dit qu'elle le ferait souffrir comme jamais il n'aurait cru possible de souffrir, car il était assez naïf. C'est pourtant ce qui devait arriver. Elle ne l'avait même pas remarqué, et c'était dans l'ordre des choses qu'une femme comme elle ne remarquât pas un homme comme lui. Après tout il n'était que le pauvre gars balayant les cheveux chez le visagiste-artiste capillaire. Et quand on le voyait on ne lui décelait aucun relief. De plus on ne le voyait pas. Tête baissée, il semblait honteux. Seule l'insignifiance émanait de lui, comme s'il savait valoir moins que ces cheveux morts qu'il rassemblait inlassablement. Il était probablement le seul à se voir un avenir brillant dans la profession fermée, donc lucrative, des capillairistes, ces nouveaux artistes créant la tendance, faisant rêver les femmes et accomplissant il faut bien le reconnaître certains miracles. Il suffisait de songer à la femme d'un ancien président de la république pour s'en convaincre, qu'eut-elle été sans ses cheveux, bien peu de choses semble-t-il, quoiqu'il lui fût resté son sac à main.

Quand elle était entrée dans le salon, mais on devait dire Lounge. Au son digital des bambous flottant au vent. Le temps s'arrêta. Plus rien n'exista que son intemporelle beauté, qui emplissait le lieu et embellissait tout objet alentour. Il s'en fallut de peu qu'il ne chût dans le tas de mèches devant lui. Quand il reprit ses esprits, il comprit être le seul à avoir subi ce blocage spatio-temporel. Il en conclut naturellement que c'était un signe d'accord parfait entre leurs deux âmes...
Huit mois déjà qu'il balaye chez ce Paul-Hubert Lafartouz, et toujours pas eu l'occasion de montrer ses talents. On lui avait promis pourtant. Il aurait pu coiffer un enfant par là, une ancêtre par-ci. Après tout, le fils hyperactif de cette attachée de presse tout aussi frénétique, ça aurait pu faire l'affaire et ce n'aurait même pas vraiment été un cadeau. Ou cette vieille dame quasiment aveugle, ce serait-elle rendu compte n'être pas soignée par Paul-Hubert ? Au lieu de ça on le laissait balayer encore et encore, retardant l'échéance sans même daigner trouver de prétexte convaincant.

Il observait avec envie toutes ces pimbêches du lycée professionnel qui prenaient leurs grands airs pour coiffer des lycéennes bourgeoises les traitant comme des domestiques, alors qu'elles-mêmes tentaient de ressembler le plus possible à des prostitués anorexiques et sous antidépresseurs.

Ah la mode ! Se disait-il, la tête dans la pelle où il récupérait des épis définitivement domptés qu'il tissait chez lui le soir. En faisant une seule mèche, de toutes les nuances, toutes les textures, toutes les natures de cheveux.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 6 versions.

Vous aimez lire Romuald G. Benton ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0