VII

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 C’est à peine s’il entend la porte se fermer derrière Frances, le bruit des clés dans la serrure. Puis le silence à nouveau, pesant, le laissant seul avec lui-même. Et avec ses cauchemars. Il a attendu que celle-ci soit partie pour se laisser glisser au sol, le dos contre le mur, impuissant et désespéré. De ses yeux brûlants de fatigue, il contemple ses œuvres aux scènes infâmes. Au moins les terribles résurgences de cette nuit ont elles cessé d’envahir son âme par saccade. Il se sent lucide à nouveau. Enfin presque. Il lui est rassurant de pouvoir soulager ainsi son esprit, en donnant forme et consistance à ses démons. Le fait de les savoir couchés sur la toile atténue les angoisses qui l’assaillent. Un soulagement infime le rend plus léger, il se sent la force de sortir de son atelier et d’arrêter de peindre pour quelques instants. Mais ses paupières sont lourdes et son corps réclame le sommeil qui lui a été refusé ces derniers jours. Hors de question. Le peintre se sent peut-être mieux, toutefois il lui est impossible d’envisager de dormir ne serait-ce qu’une ou deux heures. Il ne veut pour rien au monde se retrouver à nouveau confronté à l’entité au sourire du Cheshire. Qui sait ce que cette saloperie me fera la prochaine fois que je la croiserai ? Il frissonne de dégoût et d’horreur, et secoue la tête de gauche à droite pour chasser ces mauvaises pensées. Les pieds traînant, il va vers la cuisine et se prépare un café des plus corsés. Sans lait, sans sucre, aussi noir que ses peintures. Le goût amer de la boisson lui tire un léger rictus, il a un peu trop forcé la dose. Tant mieux, la caféine est tout ce qui le sépare du sommeil.

 Malgré sa promesse à Frances, il n’a aucune envie de lui dévoiler ses inquiétudes. Il a la certitude que celle-ci ne le prendra pas au sérieux. Il a lui-même le plus grand mal à comprendre ce qui lui arrive en ce moment. Il sait qu’il n’est pas fou, il en a la certitude, mais quelle autre explication peut-il y avoir à ces horreurs soudaines ? Ce ne sont que des rêves, se dit-il pour lui-même, avec la conviction désespérée d’un homme dont les croyances vacillent. Il se répète cette phrase en boucle, telle la litanie d’un croyant dont la foi commence à faire défaut.

 Décidé à remettre de l’ordre dans son esprit et dans sa vie, Howard se dirige d’un pied ferme vers la salle de bain pour prendre une douche brûlante et salvatrice. Il ne sait plus depuis combien de jours il n’a pas pris la peine de se laver. Trois, peut-être quatre. Avec son mode de vie oisif et négligent, il semble naturel que son cerveau se mette à tirer le signal d’alerte. Sans doute est-ce la raison de ses cauchemars affreux. Reprends-toi en main bon sang. Tu te fais entretenir par une femme dont tu apprécies la compagnie mais que tu n’es même pas foutu d’aimer. Tu passes tes journées à ne rien foutre, tu ne te laves même pas. Tu te contentes de dormir, rêver et peindre. T’es qu’un branleur. Pas étonnant que tu pètes un câble. Et tu veux trouver ton satori comme ça ? Howard, pauvre con. Bouge-toi. Il sent un regain nouveau en lui, une prise de conscience qui ne l’avait jamais effleuré auparavant.

 Une fois propre, rasé de frais, il passe un vieux jean constellé de taches de peinture sur un caleçon propre, ainsi qu’une vieille chemise en lin qui sent bon la lessive. Cela faisait longtemps qu’il ne s’était pas donné la peine de se soigner autant. Il se sent un homme neuf et ce sentiment lui permet d’enterrer en partie ses visions cauchemardesques. Howard jette un rapide coup d’œil en direction de son atelier. De là où il se trouve il ne voit que le coin sombre d’une de ses toiles récentes, trônant sur son chevalet. Il n’a aucune envie d’y retourner. Chose exceptionnelle, il s’empare d’un jeu de clés dont le métal froid tinte dans sa paume et, enfilant un imperméable de cuir élimé, il franchit la porte qui le séparait du monde extérieur depuis si longtemps.

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