1:Akelie

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  • Akelie, la ravêche. Vite !

Akelie se dépêche. Il vaudrait mieux qu’elle ne contrarie pas le vieux croûton. Elle traverse le grenier à petites enjambées. Ses pas sonnent comme ceux d'une grosse souris un peu empotée.

Elle donne au sorcier le bouquet de plantes qu'il lui a demandé. Le vieux se penche sur son grimoire et plisse les yeux pour lire sa formule. Normal, la seule fenêtre est jaune de crasse et pas plus grande qu'une chattière. Akelie s'est longtemps demandé si le vieux n'était pas un vampire pour fuir ainsi la lumière.

  • Trouve moi du romarin et de l'huile de pieds de mouton, grogne-t-il sans même la regarder.

Akelie repart à petit pas à la recherche des ingrédients demandés. Elle a arrêté depuis longtemps de pester contre l'attitude désagréable du vieux, il est à moitié sourd. Elle fait le tour du grenier à la recherche du pot d'huile et attrape le romarin au passage, un bouquet qui pend du plafond parmi d'autres bottes de plantes séchées. Un peu comme une forêt à l'envers.

  • Akelie ! Vite ! Grince le vieux. Elle regarde à gauche et à droite.
  • Je trouve pas ! Braille-t-elle pour se faire entendre.

Le vieux grogne un truc dans sa trop longue barbe. Akelie ne relève pas et continue de chercher ce pot qu'elle se souvient avoir vu elle ne sait plus trop où.

  • J'ai dit : trouve moi ce que j't'ai demandé si tu veux pas que je te mette à la porte ! Grince-t-il encore.

Enfin, le voilà, ce vieux pot en métal luisant de graisse et puant la charogne. Akelie ravale sa verve acide et apporte ses trucs à l’affreux sorcier. Il se contente d'un « c'est pas trop tôt » et jette tout ça dans sa marmite.

Il attrape son grimoire de ses grosses mains toutes fripées et tourne quelques pages avant de se mettre à marmonner. Il récite une formule. Akelie a appris que quand il fait ça, elle a plutôt intérêt à se taire si elle veut pas se prendre une volée de bois vert. Alors elle attend plantée, à côté du vieux qui récite, comme un piquet dans un champ.

Au bout d'un certain moment, son échine commence à la démanger. Mais elle n'ose pas bouger de peur de déranger le vieux sorcier. Les chandelles disposées autour du pentacle tracé à la craie au milieu du grenier s’allument. Akelie n'a jamais vu autant de chandelles. Un petit vent chaud se lève dans la pièce. Elle préfère ça aux infâmes odeurs de souffre auxquelles ils ont droit à chaque fois que le croûton décide d'invoquer un de ces monstres. Un petit paquet d'étincelles se met à crépiter au milieu du pentacle.

Puis le fourbe donne une grande claque dans le dos d'Akelie qui s’en trouve poussée dans le pentacle avec le petit paquet d'étincelles. Oh merde. Pense-t-elle.

Les étincelles se figent et se changent en une brume épaisse et huileuse. Akelie tente de sortir du pentacle mais elle est bloquée. Le vieux la regarde de ses petits yeux vicieux et lui tire la langue. J'aurais du l'empoisonner celui là. Elle le pense très fort, mais elle en aurait été bien incapable en vérité. Faire du mal n'est pas dans sa nature et elle a horreur de voir le sorcier sacrifier des petits animaux lors de ses invocations.

Un grand frisson s'empare de sa colonne vertébrale quand la brume lèche la peau de sa cheville. Un rire gras sonne dans la pièce. Le sorcier a soudain l'air un peu soucieux, ce qui n'est pas franchement de bonne augure pour elle.

  • Pauvre vieux bigleux. J'adore ta grammaire vraiment.

Une grosse goutte de sueur glisse entre les rides du sorcier. Il relit tout le pourtour du pentacle en grommelant, 47 ans d'activité et c'est sa première erreur. Discrètement la brume sort du pentacle et quand elle est assez près du vieux, se ru sur lui et l'engloutit. Un rot résonne dans le grenier. Akelie n'ose pas bouger.

  • Dis moi petite crevette, ça te dirait d'avoir l'honneur d'abriter un démon dans ton corps ? susurre la brume qui est revenue près d'elle.
  • Euh... Non pas vraiment. Sans vouloir vous offenser, moi j'aime bien la solitude. Répond-t-elle d’une petite voix tremblotante.

La brume ricane. Les mécaniques de son cerveau tourne à pleine vitesse, si elle est restée chez le sorcier, c'est parce qu'elle est incapable de se débrouiller seule dans ce monde de dingues. Ça fait quelques années qu'elle est là, elle n'a fait qu’endurer. Endurer les regards méprisant, les moqueries et la peur de sortir de cette maison où elle subissait le sorcier et ses manies. Finalement, c’est peut-être ça qu’elle attendait depuis tout ce temps.

  • En faites si je veux bien mais à plusieurs conditions, qu'a-t-elle à perdre après tout ? Déjà je veux pas mourir. Donc si je meurt, tu disparais avec moi.

La brume qui avait décidé de lui tourner autour se recule. Elle s'amalgame et prend une forme humanoïde. Deux yeux de chèvre apparaissent sur ce qui semble être sa tête. Elle toise Akelie qui continue à énumérer les clauses de leur contrat.

  • Ensuite je veux que tu mette ton pouvoir à ma disposition. Et quand tu quitteras mon corps, je veux que tu te débrouille pour que je mène une vie tranquille. Capice l'affreux ?

Le dit affreux ne semble pas ravi par ces conditions. Mais il accepte quand même d'un signe de tête. Akelie lui tend la main. Il l'attrape et ses yeux se révulsent, la forme humanoïde qu'a prit la brume se tord en arrière et convulse. Akelie a bien envie de retirer sa main, mais la brume est trop bien accrochée. Elle a la désagréable impression que de la bave de limace s'infiltre dans son corps et que les clauses du pacte était trop peu nombreuses. Elle s’évanouit.

Quand enfin elle se réveille, la pauvre petite fenêtre crasseuse du grenier ne laisse plus filtrer aucune lumière. Il fait nuit, son nombril la gratte. En soulevant sa chemise elle découvre un pentacle, comme celui sur le sol, qui se grave sur son ventre ornant son nombril de ses branches.

  • Tu va rester longtemps assise là à te regarder le nombril ? dit-une voix qu'elle reconnaît trop facilement à son goût.
  • Que veux tu que je fasse, il fait nuit.
  • Tu m'a demandé mon pouvoir. Fais en usage, je sais pas, lance une révolution, puis une guerre, étend ta domination sur le monde. Mais fait un truc par pitié. Les larves m'insupportent.

Akelie fronce les sourcils. Et répond en faisant les gros yeux à son nombril.

  • Dis plutôt que tu es tellement chiant qu'on t'invoque une fois tous les trois millénaire et que tes occasions de te défouler se font plutôt rare. En plus j'ai lu ta fiche technique, malgré ton grand âge personne ne te craint.

Un grognement résonne dans son crâne. Un peu comme si le vieux fou grognait dans son oreille. Une vive douleur au ventre la prend. Un démon, même coincé dans un nombril, reste un démon.

  • Mais arrête ! Ça fait mal !
  • Non, sans blagues.

Akelie entend clairement des ricanements dans sa voix. Le démon arrête tout de même sa torture. Soudain elle regrette son choix, mais c’est déjà trop tard pour revenir sur le pacte. Elle a les yeux qui piquent et envie de bailler. Alors elle sort du greniers et descends l’échelle de bois qui y mène. Elle traverse le couloir du premier étage, pousse la porte de la remise qui lui sert de chambre et s'écrase à plat ventre sur son matelas.

  • Mais qu'est ce que tu fais ?
  • Je suis fatiguée, laisse moi dormir.

Elle plonge dans le sommeil, sans attendre la réponse de son parasite.

Un tiraillement au ventre la réveille. Elle se doutait bien en se couchant que l'affreux ne la laisserai pas dormir tranquille. Quand elle ouvre les yeux, un rayons de soleil lui brûle la rétine. Il l'aura au moins laissée dormir jusqu'au matin.

  • Allez, lève-toi, je veux voir le monde.

Cette voix, c'est comme le bruit d'une porte dont on aurait jamais huilé les gonds.Pour s'en protéger Akelie cache sa tête sous son oreiller. Mais la voix est dans sa tête, l'oreiller ne sert à rien, son parasite se plaint tant et si bien qu'enfin elle se lève.

  • Ça y est? Tu es réveillée? Va te promener alors!

Elle ne réponds pas mais cède à sa demande. Après avoir mangé un copieux déjeuner, le premier depuis longtemps, et avoir méticuleusement fouillé toute les affaires du défunt sorcier, elle pousse la porte d'entrée. La joie du démon est tangible, elle la sent dans sa tête, comme si cette joie était la sienne. Pourtant ses émotions propres sont diamétralement opposées à celle de son parasite. Elle, elle ne veut pas sortir.

Ça fait presque deux ans qu'elle vit ici. Elle a appris plein de choses, sur la magie, sur les sciences et sur cette société. Elle a lu tout ce qu'elle pouvait dans la bibliothèque du vieux. Elle a même appris à lire le Skitrac, aussi ironiquement appelé langue des vipères, la langue dans laquelle sont écrits les grimoire. Elle parle aussi très bien la langue de bois, seule langue admise par le vieux sorcier.

En deux ans, elle est sorti à peine quinze fois de la maison. Et uniquement les jours de marché pour faire ses courses.

La main sur la poignée de la porte, elle hésite encore. Mais il faudra bien qu'elle mange. Et elle a les pouvoirs d'un démon à sa disposition, peut-être pourrait-elle lui demander, ou lui ordonner, de faire apparaître ses aliments? Voir même d’user de son pouvoir pour qu’elle n’ai plus jamais besoin de manger? Cela reviendrait à se priver du plaisir de manger ainsi que du contact humain. Elle respire un grand coup et tourne la poignée d’une main tremblante.

Elle déambule dans les rues sablées où le vent desiccant de midi s'engouffre. L'habitant de son nombril s'émerveille devant tout. Il est énervé comme un enfant la veille de Noël.

Les gens la regardent, la toise, et crachent sur son passage. Mais elle s'en fiche, elle marche la tête haute pour la première fois depuis qu'elle est arrivée dans cette foutue ville.

Un homme épais comme un frigo passe à côté d'elle et lui jette un regard noir. La femme qui marche à ses côté ne daigne même pas poser ses yeux sur elle.

Akelie colle ses épaules à ses oreilles et enfonce ses mains dans ses poches. Le regard rivé au bout de ses chaussure,elle avance.

Derrière elle un cri retentit. La femme panique, Frigo est à terre, les mains sur le ventre il se tord de douleur. Le mal frappe quand on s'y attends le moins.

  • Prend à gauche au bout de la rue, il y a quelque chose qui m’intéresse.

En prenant à gauche au bout de la rue on entre dans une ruelle étroite. Un antiquaire y tient commerce, c'est là qu'elle entre ; discrètement sous peine de se faire jeter dehors.

Des chandeliers éclairent faiblement des tas aléatoires de vieux bibelots poussiéreux.

  • Le bol là, prend le.
  • On en plein des bols à la maison.
  • Donne le moi !

Une main de brume sort du nombril d'Akelie qui sursaute. Sans se poser plus de question elle attrape le bol et le posa dans la main qui se referme et retourne dans son nombril. Akelie est prise d'un haut le cœur et se maudit d'avoir prêter son corps à ce démon. Une porte au fond grince, tout ses muscles se tendent comme les cordes d'un même arc.

  • Le propriétaire. Partons.

Akelie détale, faisant sonner la cloche à grand bruit en sortant. Elle courrait dans la ruelle quand elle entendit derrière elle un « au voleur ! » qui lui semble tonitruant. En sortant de la ruelle elle percute un Frigo rouge de colère. Le propriétaire l'avait rattrapée, elle ne pouvait pas repartir par la ruelle ; devant elle, le frigo bloquait le passage. Elle n’eut pas besoin de se retourner pour savoir que deux gendarmes lui bloquait le passage par derrière, leur bottes de fer cliquettant harmonieusement sur le sol.

  • Démon, il serait temps que tu me montres un peu de ton pouvoir.

Un grognement lui répondit. Une goutte de sueur glisse le long de son dos. Le frigo avance, lentement, savourant sa vengeance sur l’étrangère qui vient de le ridiculiser en public, lui, riche marchand de bonne foi. Il n’a aucune idée de comment elle s’y est pris mais elle va payer. Akelie ne peut pas reculer, elle se sent tourner de l’œil tant elle est terrifiée. Ils vont la tabasser. C'est ce qu'on fait aux voleurs ici. En prévisions des coups, et parce qu'elle est trop lâche pour ne serait ce qu'oser se défendre, elle s'accroupit et mets les mains sur la tête. En attendant le premier coup, elle se rassure du mieux qu'elle peut, se disant que tant qu'ils ne lui coupe pas les mains, elle pourrait survivre. Le premier coup se fait attendre.

Elle se met à réciter les grandes théories scientifiques de ce monde. Il n'y en a pas beaucoup, elle a vite fait le tour. Mais aucun coup. Rien.

Ses muscles commencent à tirer, sa position est inconfortable. Elle envisage d'ouvrir un œil mais elle avait trop peur. Alors elle attend encore un peu.

Quand enfin elle ouvre le yeux, elle est chez elle.

  • Démon. Interroge-t-elle mi offusquée mi soulagée.
  • Quoi ?
  • Tu aurais pu me le dire que j'étais sortie du pétrin.
  • Tu ne me l'a pas demandé.

Il s'était bien moquée d'elle, elle le sentait. Cet être acariâtre la fatiguait.

  • Je sens que ma vie va être très longue avec toi dans mon nombril.
  • La mienne l'est déjà.

La pression retombant, elle se sentit brusquement épuisée, elle s'affala sur le parquet.

  • Démon.
  • Quoi encore ?
  • Comment tu t'appelle ?
  • C'est écrit dans les livres.
  • Non, ton vrai nom. Celui qui ne donne aucun pouvoir sur toi.
  • En quoi ça t’intéresse ?
  • Je ne sais pas.

Le démon grognât encore. Akelie sentait comme une mélancolie venir de lui.

  • J'ai oublié. Ces mots prononcés semblaient beaucoup lui coûter .
  • Pourquoi ? Le nom d'un démon n'est il pas la seule chose qu'on ne puisse lui soustraire ?
  • J'ai offert le mien. Je l'ai donné à un maître dont j'ai oublié le nom. Je me souviens que je lui faisais confiance. Que je lui était dévoué. Quand j'y repense, ça me fait comme un rat qui me ronge les entrailles.
  • Tu me semble triste.
  • J'ai donné tout ce que j'avais à quelqu'un dont j'ai tout oublié et pour des raisons que je ne comprend pas. Ça me rend un peu amère oui.

Akelie sentait les émotions du démons, elle les vivait avec une curieuse distance. Là ça lui faisait comme un cœur de plomb près de son cœur à elle. Un vieux cœur lourd et froid, plein de larmes contenus durant des siècles. Elle voulait l'aider, mais le méritait-il?

  • Démon, demain nous irons à la bibliothèque. On trouvera peut être des informations.
  • Je t'habite Akelie. Mais je ne suis pas ton ami. Chercher à m'aider ne t’attirera pas mes grâces.

C’était sincère, c’est un démon, et un démon ça tourmente les humains. Elle n’y couperait pas, le démon était bien décidé à faire son office. Akelie fixa longtemps le plafond, pensive, avant de répondre.

  • Je vais t’aider quand même. Cela m’occupera et constitue un objectif un peu difficile à atteindre et surtout je me sentirai coupable de ne pas t’aider alors que je n’ai que ça à faire.
  • C’est très humain de ta part.

Elle soupira ey s’endormit en se demandant si elle ne ferait pas mieux de trouver le courage de mettre sa conscience de côté et de l’abandonner à son amnésie.

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