L'avènement de la faune

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« Aujourd’hui est un grand jour ! C’est un grand pas pour l’Humanité ! Les opérateurs viennent d’activer la 5G dans le monde entier. La technologie fait encore une fois un pas en avant. La demande croissante de rapidité et de partages de données a donc amené à cette avancée planétaire : largement plus stable et extrêmement rapide, la cinquième génération est sur le point d’enterrer la 4G. Terminé les lenteurs et perte de données. Pour plus de détails et de renseignements, retrouvons notre journaliste d’investigation, Thierry Saltoir, devant la maison mère du plus grand opérateur mondial. »

Sur ces mots, le présentateur engoncé dans son costume noir sort une petite canette de Perrier de sous son bureau et en boit une lampée. Il n’a plus le trac de ses débuts, mais sa bouche s’assèche rapidement. Surtout quand il n’aime pas ce qui défile sur son prompteur. Malheureusement, comme beaucoup, ses convictions se tarissent face à ses obligations professionnelles.

Ecologique invétéré et militant absolu, Marc est foncièrement contre ce déploiement. Et il n’est pas le seul, loin de là. Mais le système fait que les nantis et celles et ceux qui ont le pouvoir décident. Le réchauffement climatique ne faiblit pas, et cela l’obsède au plus haut point. La pollution incessante l’effraie, tout comme la fonte des glaciers ou l’évaporation des nappes phréatiques. La quête du « mieux » prédomine face à au bien-être à la vie en elle-même. Depuis des années, voyant cette pauvre Terre se faire coloniser et malmener par la tumeur humaine, il ne cesse de penser que la Nature va finir par reprendre ses droits. Et que ce ne sera pas beau à voir.

Depuis sa dernière année de fac, il avait participé à de très nombreuses manifestations, et ce n’était pas fini. Dernièrement, il avait planifié de crier sa colère et de tirer la sonnette d’alarme quant à la destruction prochaine de la planète, le tout devant l’Elysée. C’était pour très bientôt. Il avait hâte.

Pour le moment, les maquilleuses s’affairent autour de lui dans des raccords maquillages rapides. Ils le pouponnent afin que son teint fatigué soit presque invisible. Si seulement elles pouvaient le débarrassaient de ses pensées moroses et fatalistes. Il regarde l’horloge digitale placée devant lui à côté de ses notes gribouillées et de ses stylos fatigués : le reportage se termine dans cinq minutes. Le temps de se morfondre et de remettre son masque de parfait présentateur sous tout rapport.

Au même moment, dans l’immense zoo de Pairi Daiza, le plus grand d’Europe, un lion aux oreilles arrondies couleur sable et à la crinière touffue sursaute, suivit de ses congénères.

Le roi de la jungle se retourne comme s’il avait reçu une nouvelle piqure pour l’endormir, mais il n’y a rien. Aucun vétérinaire à l’horizon pour lui faire passer un énième examen. Quelque chose brûle dans sa tête, son cerveau est en ébullition. Ses yeux passent d’un rouge carminé à un noir abyssal. Sa conscience se délite. Encagé depuis années, ses heures agréables en compagnie des humains l’ayant privé de liberté s’effacent. Il ne reste rien, rien d’autre que le côté animal et un désir de vengeance omniprésent.

Baptisé Arkhan, le mammifère aperçoit au fond de son enclos, entre les roches et la végétation, un des soigneurs animaliers. Il se lève lentement et part chasser sa proie, celui qui le nourrit depuis fort longtemps. Evoluant silencieusement, le lion arrive derrière l’homme occupé à nettoyer les déjections et à réparer la grille électrifiée. Il se met sur ses pattes arrières et lacère le dos du malheureux qui hurle à pleins poumons. Ses griffes rétractiles surpuissantes qu’il utilisait pour rattraper un ballon et faire le plaisir des visiteurs se transforment en crocs mortels avide de sang.

Le soigneur se traîne pathétiquement, laissant une traînée pourpre sur son passage et appelant à l’aide, mais personne ne l’entend. Arkhan, le suit et lui saute dessus pour lui arracher la jugulaire. Un geyser de sang l’éclabousse. Ce qui l’excite encore plus.

Des kilomètres plus loin, dans une petite ville de Bretagne, au troisième étage d’un appartement H.L.M, le chat d’une vieille dame sort de son sommeil, la bave aux lèvres.

Marley, sept ans est un chat Bengal à la fourrure tachetée ressemblant à celle d’un léopard. Animal de compagnie de madame Chapelet, ancienne secrétaire médicale et nouvelle retraitée depuis peu. Elle se bat depuis des mois contre un cancer des poumons et de l’œsophage, son chat adoré l’aide quotidiennement à ne pas sombrer. Il s’étire, ses pupilles dilatées au possible et saute sur le fauteuil de sa maîtresse endormie. La télévision diffuse un jeu de télévision dans lequel les candidats doivent répondre à des définitions, plus dures les unes que les autres.

Le félin contemple celle qui le nourri plus que de raison, qui le fait passer pour un roi, qui accepte ses envies et qui le caresse d’une main douce et experte. La jugulaire de Mme Chapelet pulse irrégulièrement, le mouvement erratique attire et excite Marley. Il grimpe lentement sur ses jambes striées de varices et son torse. Là où il a l’habitude de se lover et de ronronner bruyamment.

Mais, aujourd’hui, il n’est pas question de se prélasser et d’attendre patiemment son réveil. Il lève sa patte griffue et lacère sauvagement la peau parcheminée de sa mère de substitution. Elle ne peut hurler à cause de sa maladie, mais ses yeux exorbités et ses pleurent glissent le long de ses joues marquées par le temps qui passe.

Madame Chapelet gémit et s’évanouit. Juste après avoir vu son petit chat s’abreuver de son liquide vital. Elle qui se battait courageusement contre des cellules cancéreuses agressives succombe à la bestialité primaire de son animal.

Dans un jardin verdoyant entouré d’un potager rempli et de plantes odorantes, Estelle s’affaire autour de son immense ruche bourdonnante.

Apicultrice depuis de très nombreuses années, elle est passionnée par les abeilles. Ces bébés lèchent le nectar des fleurs entreposées tout autour de leur habitacle et produisent du miel délicieux depuis plusieurs mois. Leur vrombissement se faire de plus en plus menaçant.

Habillée de sa combinaison spéciale, visage et mains protégés, Estelle récolte la gelée royale d’une main habile. Confiante, elle ne voit pas les abeilles se réunir en un énorme essaim. Une piqure. Une deuxième. Elle n’a pas le temps de réagir et de s’enfuir que les abeilles, folles, lardent sa combinaison et finissent par la déchirer. Elles s’insinuent dans son casque, grouillent sur son visage au rythme de ses hurlements inhumains.

L’apicultrice se débat, sa peau boursoufflée par les piqures répétées et gémit. Elle tombe et rampe. Quelques mètres, puis plus rien.

En Guinée-équatoriale, des cris, des hululements, des feulements ou encore des vagissements retentissent dans la forêt où fourmillent des centaines d’animaux sauvages. L’animal qui tuait pour survivre venait de choisir une autre voie. Les ondes mortellement dangereuses de la 5G déplaçaient les maillons de la chaîne alimentaire.

Dorénavant, les animaux allaient chasser et tuer pour le plaisir. Comme l’Homme le faisait jusque-là.

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