L'envers de Noël

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Santa Claus volait dans le ciel noir de jais, son traîneau nitescent s’entremêlait avec les étoiles brillantes parsemant la voûte céleste. Sa barbe broussailleuse au vent et ses yeux vairons vifs, il prit un morceau de papier élimé sur lequel s’inscrivait continuellement une quantité pharamineuse de noms. Dans ses mains noueuses et ancestrales se trouvait la liste, celle qu’il chérissait par-dessus tout, celle qui lui permettait de faire son travail et de le rendre heureux. Il aimait cette période de l’année, cette fête en son honneur et adorait rentrer chez les gens pour déposer les cadeaux demandés. Mais il ne faisait pas que ça.

Avisant que ses huit rennes n’avançaient plus, il entama une descente limpide vers la maison de Loni Chenet, un petit garçon de sept ans qui avait demandé une maquette de lego. Les cervidés atterrirent lestement sur le sol enneigé. D’une peau blanchâtre, ils perdaient des fragments de derme, fragments qui s’évaporaient dans la seconde. Les yeux cinabres et une bave verdâtre au coin de la gueule, ils regardaient l’habitation de l’enfant, comme s’ils sondaient l’intérieur. Flattant leurs encolures, Santa s’avança. Ses pas frôlaient le lit neigeux et une lueur naquit dans ses iris. Son épiderme parcheminé couvert de pustules purulents et de croûtes sanieuses représentait la vision même de l’horreur pour les enfants.

Il grimpa le long d’une gouttière branlante drapée de lierres grimpants et arriva devant une cheminée rocailleuse d’où s’élevaient encore quelques volutes de fumée opaques. Pansu et très carré, il allait devoir se glisser dans un fin conduit fait de briques orangées. Santa Claus ferma les yeux et se concentra intensément. Son corps se déforma, ses membres se disloquèrent et il réussit à se faufiler. Arrivé en bas, dans un âtre mourant où quelques copeaux fumants traînaient, il se reforma dans un craquement sourd et horrible.

Un silence de plomb régnait en maître. Le Père Noël sortit un énorme cadeau de sa hotte confectionnée à base de lambeaux de peaux de chérubins et le plaça méticuleusement sous le sapin chichement décoré. Il monta les escaliers en colimaçon et se trouva devant la chambre de l’enfant. Poussant délicatement la porte, il le vit, dans les bras de Morphée, le visage angélique et serein.

Après plusieurs secondes de contemplation, Santa écarta son habit cramoisi et en tira une seringue d’où perlait un liquide sombre. Il se rapprocha doucereusement du lit à baldaquin, écarta une mèche blonde et injecta le produit dans la jugulaire de Loni. Pas un bruit. Une frustration naquit en lui, il chérissait les hurlements. Ce serait pour plus tard, comme d’habitude.

L’enfant anesthésié sur son épaule, celui que les Mongols appelaient Grand-Père Hiver retourna au rez-de-chaussée et entreprit la remontée de la cheminée. Le produit de la seringue qu’il avait inoculé rendait sa victime molle et malléable à souhait, ses os remplacés par une sorte de gélatine.

Remontant dans son traîneau, Santa Claus disparut dans un flash aveuglant. Quelques secondes lui avait suffit pour regagner son chalet abandonné au fin fond de la Laponie. Entouré de stalactites flottantes, son domaine trônait au beau milieu d’un désert de givre. Une brume opaque lévitait, formant un amas menaçant. Il emmena Loni dans sa demeure enténébrée, sous le regard démoniaque de ses rennes dont les naseaux brisés exhalaient une mofette méphitique.

L’intérieur était de très bonne facture et regorgeait d’emballages de cadeaux, de cannes à sucre caramélisées, de bonbons au goût exquis et l’on pouvait même trouver des fontaines de chocolat chaud bouillant. Un décorum idéal. L’antre saturnale resplendissait. Un immense sapin vert et blanc siégeait au centre de la grande pièce, des guirlandes clignotantes s’enroulaient et une myriade de boules de Noël se balançaient.

Il déposa Loni sur une table en marbre noir et le réveilla à l’aide d’un chiffon imbibé d’ammoniac pur. Le temps que celui-ci émerge, il enleva son habit de travail et le déposa sur un large fauteuil en peau de chamois.

Terrorisé, le pauvre bambin hurla à plein poumons, tirant un sourire carnassier au Père Noël. Les cris résonnèrent et se répercutèrent sur les cloisons épaisses et boisées de la bâtisse. Une mélodie qu’il vénérait et adulait, une douce mélopée qui l’enivrait. Il sortit une mallette contenant une panoplie complète d’armes aiguisées et l’ouvrit.

Loni, paralysé et la gorge sèche, fixait Santa Claus de ses yeux embués.

L’enfant tremblait et pleurait à chaudes larmes. Une peur incommensurable s’emparait de lui, une terreur innommable créait une flaque d’urine dégoulinant de la table.

C’était le moment qu’il préférait. Il sortit un large couteau et, dans un rire guttural, commença à découper la peau du malheureux. A chaque incision, le petit Chenet mugissait. Santa récupéra chaque morceau de peau, évalua la texture et, lorsque celui-ci lui plaisait, il en habillait sa hotte. Le gamin s’évanouit plusieurs fois, des mares de sang recouvrant le parquet.

Après plusieurs heures d’agonie, Loni succomba. C’est à ce moment que le Père Noël alla récupérer le sang qu’il mit dans une canule métallique. Admirant le liquide rubescent, il retourna chercher son habit et déversa le contenu de la fiole mortifère. Quelques minutes d’imprégnation plus tard, son costume flamboyait, nourri à nouveau par le fluide vital d’une énième victime.

Une fois son plaisir assouvi, le ciel se déchira violemment. Noël commençait réellement.

Depuis des temps immémoriaux, Santa Claus arpentait les terres de par le monde, déposait pléthore de cadeaux et kidnappait celles et ceux figurant sur son sinistre répertoire. Son vêtement purpuracé se repaissait constamment du sang de ses proies. Sa hotte éternelle se voyait enrubannée de parcelle épidermique.

Sa magie phénoménale lui permettait d’entrer et de sortir des chaumières silencieusement. Personne ne le voyait, personne ne l’entendait. Tornade, Danseuse, Fringant, Furie, Comète, Cupidon, Tonnerre et Eclair, ses rennes fidèles, l’emmenaient là où il le voulait, là où il devait aller.

La liste funeste ne le quittait jamais. Les hivers lugubres se succédaient et, plus la croyance était forte, plus son pouvoir et son envie de tuer s’intensifiaient.

Chaque année, le Père Noël entamait sa danse macabre, charriant mort et tristesse partout où il passait. Chaque année, les larmes des enfants massacrés se transformaient en flocons de neige.

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