Le tueur au pinceau

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  • Putain, tu vas fermer ta grande gueule !

Eric s’avança vers la femme qui braillait depuis de trop longues minutes et la gifla sans ménagement. Il la frappa si fort que les jointures de son poing blanchirent sous l’impact. Attachée sur une chaise branlante, elle hurlait, mais personne ne pouvait l’entendre. Enfermée dans la cave de l’homme qui se tenait devant elle et qui la terrifiait, la malheureuse était perdue, sans défense.

Il aimait les entendre hurler, implorer et pleurer. Depuis des années, Eric marchait dans les rues et choisissait ses victimes au hasard. Cela devait être des femmes, peu lui importait qu’elle soit jeune ou vieille, peu lui importait leur nationalité. Il les regardait et ses sens décidaient pour lui. C’est alors qu’il les kidnappait. La pièce insonorisée avait vu passer énormément de tortures et de cadavres. Une fois son méfait accompli, il mettait le corps dans un sac poubelle qu’il s’empressait de déposer devant le commissariat de police le plus proche.

Ce soir, il avait jeté son dévolu sur une blonde peroxydée qui s’était arrêtée devant une vitrine scintillante, bavant devant les dernières Louboutins rouge carmin. Elle tenait son enfant d’une main et de l’autre, elle cherchait son téléphone. Peut-être pour prendre en photo son futur cadeau, peut-être pour appeler son mari et lui parler de ce qu’elle désirait… Eric s’en foutait comme d’une guigne. Une fois la rue déserte, il leur avait collé un tissu imbibé de chloroforme et les avait trainés dans sa Mercedes.

  • Au secours ! Aidez-moi ! Mon fils !

Cet appel à l’aide le ramena à la réalité. Il la regarda se tortiller, l’épaule dénudée par ses mouvements brusques, essayant désespérément d’arracher ses liens et alla se replacer devant sa toile de lin immaculée.

  • Qu’est-ce que je vais dessiner ce soir ? Pourquoi pas ces chaussures qui faisaient baver cette salope ?

Il prit un pinceau en poil synthétique, souffla délicatement dessus et se retourna. Excité comme jamais, son sexe ne cessait de gonfler. Il se caressa au travers de son jean. C’était le moment qu’il préférait : l’apothéose jouissive.

  • Tu les aimais ces chaussures de merde, hein ?
  • Quoi ? De quoi vous parlez ? Où est mon fils ?
  • Ce que tu matais dans la vitrine toute à l’heure, tu bavais devant. Tu vas m’aider à les peindre.

Il mit le bout en nylon dans sa bouche et le suçota. De sa main gauche, il sortit un couteau et commença à aiguiser le manche en métal. Il plaça la pointe effilée contre l’un des ongles. Elle ne glissa pas. Son pinceau prêt à l’emploi, ses yeux détaillaient sa victime qui le regardait en silence.

Eric exultait. La peur qu’il vît dans ses pupilles secs et dilatées lui donnait envie d’en finir au plus vite. Elle ne criait plus, tétanisée. Une flaque d’urine s’était formée à ses pieds, la pauvre femme sombrait dans l’effroi le plus total.

Humant l’air, Eric éclata d’un rire sonore. Qu’est-ce qu’il aimait cette odeur ! Une odeur qui signifiait qu’il avait le contrôle sur les peurs de sa victime. Il l’avait brisé, comme toutes les précédentes.

Le tueur au pinceau – c’est ainsi que les médias le surnommait – allait créer une nouvelle œuvre d’art. Il enlevait et séquestrait ses victimes le temps d’exprimer sa passion pour l’art puis laisser ses tableaux aux côtés des corps sans vie.

Cette nuit encore, son art allait se révéler. Il caressa la joue humide et tuméfiée de la blonde puis glissa sa main dans ses cheveux. Il était si excité que des gouttes de sperme perlaient déjà de son membre tendu. C’était maintenant.

Tenant son pinceau par la garniture, il planta le bout pointu dans la joue qu’il venait d’effleurer. Une coulée de sang cramoisi s’en écoula au rythme des gémissements. Eric s’empressa de la récolter et la mit sur sa palette ovale, faisant bien attention à ce que rien ne tombe à terre.

Pris d’une frénésie meurtrière, il enfonça son arme dans la jugulaire de celle qui devenait pendant un temps sa muse artistique et un geyser de sang l’éclaboussa. Sa palette recouverte, il commença à peindre alors que la blonde mourrait à petits feux. Plus il peignait les contours des escarpins rougeoyants et les colorait, plus il jouissait.

Après plusieurs minutes de travail, le tueur au pinceau recula pour admirer son œuvre : une magnifique paire de chaussures de marques, représentée à la perfection, une réalisation à en faire pâlir Pablo Picasso, Vincent Van Gogh, Paul Cézanne et consorts.

  • Qu’est-ce que c’est bon ! s’extasia-t-il. J’en bande encore.

La femme venait de mourir dans un râle pathétique. L’artiste déposa avec précaution sa palette sur une table en verre et fit tournoyer son pinceau. Son tablier moucheté de gouttes de sang, il monta les escaliers grinçants pour aller voir l’enfant. Celui-ci jouait à la console qu’Eric lui avait prêté le temps de faire ce qu’il voulait faire.

  • Alors gamin, tu gagnes ? Tu t’amuses ?
  • Oui, merci monsieur ! Où est ma maman ? demanda-t-il, les yeux brillants.
  • Elle a besoin de dormir, tu la verras plus tard.

Le gamin marqua une pause, regarda le tablier et le pinceau dans la main droite d’Eric et se replongea dans le jeu vidéo. Le meurtrier féru de peinture se plaça à ses côtés et prit une deuxième manette.

  • Vous dessinez ? fit le petit garçon.
  • Je peins, ouais. Tu veux que je te fasse un truc ?
  • Oui, s’exclama-t-il, le sourire aux lèvres.

Il amena l’enfant dans son salon où trônait une petite toile de chanvre installée sur un chevalet boisé. Une palette rectangulaire traînait sur un des meubles. Eric la prit et la bichonna à l’aide d’un chiffon de taffetas doré.

  • Tu veux quoi ?
  • Vous pouvez dessiner un mouton ?
  • Ouais.

Eric empoigna son pinceau et lui planta férocement dans l’œil. Il l’imprégna du sang du chérubin, sang mélangé au liquide vitreux qui s’écoulait lentement de la blessure mortelle.

Chantonnant pendant que l’enfant prit de spasmes vivait ses dernières secondes, le tueur au pinceau commença à esquisser, lentement, un agneau gambadant gaiement.

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