Belle-mère et belle-fille

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Assise sur le tabouret de sa coiffeuse, Cendrillon se tressait les cheveux avant d’aller se coucher. En se regardant dans la glace, elle aperçut le reflet du chat tigré de Javotte, étalé le plus naturellement possible, sur sa paillasse.

« Maurice ! s’écria-t-elle en se tournant vers l’animal. Combien de fois, je t’ai dit de ne pas rentrer dans ma chambre ! Encore moins de t’allonger sur le lit ! »

Aussitôt qu’il entendit son nom, le chat souleva péniblement sa grosse tête encore alourdie par le sommeil et la regarda. Ne voyant rien d’inquiétant, il ferma à moitié ses yeux et reposa tranquillement sa binette là où elle se trouvait deux secondes plut tôt.

« Maurice, reprit-elle, écoute-moi, tête d’artichaut… si tu continues à t’inviter comme ça, tu vas faire des envieux ! »

Cette fois-ci le chat resta sourd à ses appels. la jeune fille se leva contrariée et se dirigea à toute allure vers l’animal. De ses mains, elle secoua assez fort la paillasse afin qu’il se lève. Mais au lieu de produire l’effet souhaité, ce fut le contraire qui arriva. Les vibrations ainsi formées sur le lit avaient l’effet d’un relaxant massage. Maurice s’étalait de plus en plus en s’étirant gracieusement .

« Va voir ta maîtresse, lui dit-elle, c’est elle la spécialiste des frictions ! »

Le chat ne réagissait toujours pas, Cendrillon reprit : « Tu n’es qu’un bon à rien, Maurice ! Le sais-tu au moins ?... Tu devrais nous attraper quelques rats… tu sais, Maurice, ces petites bêtes avec une queue hideuse et des dents d’écureuil. »

Pour mieux lui expliquer ce qu’était un rat, Cendrillon se mit à imiter le bruit d’un lapin en train de manger sa carotte, en écrasant, avec ses dents du haut, sa lèvre inférieure. Mais Maurice ne bougeait toujours pas. Cette fois-ci, sans aucune raison particulière, elle mima le singe. Elle sautait sur un pied puis sur l’autre en émettant des cris, hihi… houhou. Maurice se réveilla à moitié, la regarda d’un air encore somnolant et se rendormit. À ce moment-là, sa belle mère rentra. Bien sûr, Cendrillon se redressa aussitôt. Elle n’avait pas envie de partager avec elle son spectacle. Elle monta bien vite sur sa paillasse et poussa Maurice sur le côté. Le chat, quant à lui, avait à peine réagi au changement de place.

La belle-mère venait dans sa chambre, comme tous les soirs à cette heure-là et établissait avec elle l’inventaire des provisions. Chose qu’elle ne faisait jamais devant ses filles par peur de les inquiéter ; à cause de cette situation financière qui ne faisait qu’empirer.

Puisque c’était Cendrillon qui tenait les cordons de la bourse, la belle-mère lui demanda si c’était possible d’acheter quelques mètres de ruban afin de décorer les robes de ses filles. Celle-ci au lieu de lui répondre se contenta de la foudroyer du regard. La belle-mère comprit que sa question était déplacée, car à vrai dire, elle savait qu’elles n’avaient pas suffisamment les moyens pour acheter les produits nécessaires, que dire d’un morceau de ruban. Elle s'était imaginée à tort que Cendrillon allait faire abstraction et dirait oui.

  • As-tu trouvé un jeune homme pour le travail de la ferme ? demanda la belle-mère pour changer de sujet.
  • Non, pas encore ! marmonna Cendrillon, un peu irritée.
  • Si nous ne trouvons personne, alors il faudra la vendre.
  • La vendre ? s’étonna la belle-fille. Quelle drôle d’idée !
  • Que veux-tu faire ? Nous manquons cruellement d’argent, nous n’avons pas d’autre choix.
  • Voulez-vous que je vende le seul bien de ma mère ? Vous ne manquez pas de culot, belle-maman !

La belle-mère rougit en se rendant compte de ce qu’elle venait de dire et décida encore une fois de changer de sujet en insistant sur la venue de sa belle-fille au bal. Celle-ci promit de réfléchir et bailla trois fois, assez fort pour que l’autre comprenne qu’elle était fatiguée et qu’il était temps pour elle de dormir. Mais avant de sortir, la belle-mère ne put s’empêcher de lui faire des remarques sur son penchant pour l’alcool : « Fais attention, Cendrillon, si tu continues comme ça, tu finiras ta vie ivrogne.

  • Comme vous, belle-maman... comme vous ! répondit-elle en lissant de ses doigts le bout de sa natte.»

La belle-mère, sidérée par son audace, voulut riposter méchamment, mais comme elle savait que l’autre n’avait fait que dire la vérité, elle se contenta de chuchoter bonne nuit et claqua la porte derrière elle.

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