L'Hystérie du bal

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Pendant toute la semaine, les deux sœurs et leur mère n’avaient pas cessé de parler du bal, des vêtements qu’elles allaient porter, des gens avec lesquels elles allaient faire connaissance et bien entendu, le point le plus important, leur rencontre avec le prince. Cendrillon n’accordait pas plus d'attention que d’habitude à leurs histoires. D’ailleurs, elle les prenait le plus souvent pour des sottes, mais que ces dernières ne fassent plus attention aux récits qu’elle avait l’habitude de leur conter, l’enragea. Elles l’interrompaient constamment dès qu’elle commençait ses histoires, en demandant à leur mère si telle ou telle chose était prête. La plupart du temps, il s’agissait de leurs robes de soirée. La grande sœur avait du mal à saisir leur intérêt pour des choses aussi futiles que des vêtements. Pour elle, ça ne servait qu’à cacher la nudité déplaisante de l’être humain, ou à la limite du raisonnable, le tenir bien au chaud.

Bien qu’elle fut désintéressée par tous leurs artifices, elle ne pouvait rester insensible aux envies de ses sœurs ; elle aimait avant tout leur faire plaisir.

Elle finit par céder à la demande de sa belle-mère et acheta, chez madame Gauvreau, trois morceaux de rubans de différentes couleurs. Le premier était bleu turquoise et avait pour motif des différentes feuilles d’arbres dorées. Le deuxième était aubergine et brillait grâce à son revêtement en paillettes. Quant au dernier, il était violet et avait pour motifs la forme sexangulaire des flocons de neige. Bien qu’en ce temps-là, on ne possédait pas de microscope pour observer cette propriété fractale du flocon pourtant, celle-ci se trouvait bel et bien imprimée sur ce morceau d’étoffe. Cendrillon fut ravie de découvrir cette nouvelle forme étrange. Loin de l’assimiler à la neige, elle s’empressa de le montrer à sa famille.

« Regardez, belle-maman, s’exclama-t-elle avec joie, une fois rentrée, regardez ces morceaux de ruban, ne les trouvez-vous pas magnifiques ? » Dans un total silence, La belle-mère les prit et les palpa curieusement entre ses doigts. Cendrillon la regardait faire avec un sourire en coin et attendait de sa part une exclamation de joie aussi sincère que la sienne. Mais voyant que sa belle-mère tardait à donner son avis, elle déclara à bout de patience : « Dites au moins quelque chose !

  • Oui, oui, effectivement, ils sont très beaux… cependant…
  • Cependant, quoi ?
  • Ce ne sont pas les couleurs souhaitées. »

Au lieu de la remercier, elle venait de critiquer son choix. Une erreur qu’elle allait regretter amèrement par la suite. Indignée par son ingratitude, Cendrillon sortit en claquant violement la porte.

Lui avait-elle au moins demandé où elle s’était procuré l’argent ? Non ! Elle ne semblait même pas s’y intéresser. Et si cela avait été le cas, Cendrillon l’aurait informée sans hésiter, qu’elle avait dû vendre sa seule paire de gants pour pouvoir les acheter.

Par la suite, la belle-mère chercha plusieurs fois à se rattraper. Elle proposa à sa belle-fille de s’occuper de sa robe, en lui apportant quelques modifications par-ci par-là. Mais Cendrillon, aussi rancunière qu’elle l’était, refusa aussitôt, prétextant qu’elle préférait le faire elle-même.

L’évènement du bal fut sur toutes les bouches des villageois, si bien que toute discussion la plus futile qu’elle soit, convergeait obligatoirement vers cette soirée du samedi. La concurrence chez les mères et l’hystérie des jeunes filles avait profondément indigné notre héroïne. A cause de ce choix qui ne fera qu’une heureuse et frustrera toutes les autres, les amies les plus intimes s’étaient transformées en ennemies féroces.

La veille de bal, en rentrant du marché, Cendrillon aperçut deux jeunes filles de sa connaissance en train de se disputer la dernière robe d’un magasin. Celles-ci s’étaient mises au beau milieu de la rue et s’insultaient de tous les noms. Dès qu’elles eurent épuisé leur quota d’injures, elles s’attaquèrent mutuellement en s'arrachant les cheveux. Au lieu de les séparer, Cendrillon sortit une pomme de son panier, la frotta sur le revers de sa manche et y croqua à pleines dents. Elle les observa tranquillement sans bouger le moindre petit doigt. Elle s’était jurée que l’indifférence allait être son seul remède face à son indignation dans cette histoire. Quand l’une des deux filles tomba par terre et fut couverte d’égratignures, Cendrillon lui tendit quand même la main afin de l’aider à se relever et dit à haute voix : « Enfin… une clodette de moins pour mes sœurs ! »

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