/10/ La nuit ne cache pas que des démons

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Je n’ose même pas regarder par la fenêtre alors que le ronronnement mécanique est juste devant chez moi. Paralysée, je réfléchis à toute vitesse à la plus vieille question de l’humanité :

Comment survivre ?

Car il s’agit bel et bien de survie à ce niveau-là. Vu les messages que ce malade m’a envoyés, je pense pas qu’il ait traversé tous les États-Unis pour venir s’excuser autour d’un verre.

De vieilles douleurs réapparaissent. Je me rappelle de son regard, de sa colère, de sa haine, de ses coups et de ses mots. Je n’arrive plus à me concentrer, tout mon corps est affolé. Fuir ? Non il m’attrapera bien plus facilement. Il faut que j’appelle la police, seuls eux pourront me protéger ! J’essaye d’attraper mon téléphone, mais je n’arrive même plus à bouger. Je le vois, juste là, sur mon lit, mais mon corps ne répond plus. Tous mes muscles sont tendus alors que je sens une goutte de sueur dévaler mon front à toute vitesse.

Le bruit de sa voiture s’arrête.

Je parviens à me libérer de ma terreur et saute sur mon portable. Je tremble, mais réussis tout de même à composer le 911 avant de voir le petit symbole en haut de l’écran : pas de réseau.

C’est pas possible ! Dites-moi que je rêve !

Je me mets à pleurer de terreur en tremblant.

C’est pas possible.

C’est pas possible.

C’est pas possible ! Il ne peut pas être là ! J’ai tout fait pour ne plus jamais le revoir, il ne peut pas être là, pas devant chez moi !

Mon cerveau patine, cherchant une solution tout en étant incapable de réfléchir. Je ne peux pas sortir de la maison ni appeler la police. Il faut que j’aille prendre un couteau !

Toc-toc-toc

Il est là pour moi… Je n’ose même pas me lever pour aller m’armer tant mes jambes tremblent. Je tomberais immédiatement si j’essayais de me mettre debout sous le poids de ma terreur. J’aperçois alors le talkie-walkie et l’attrape presque instantanément. Je me retiens de crier pour ne pas qu’il m’entende.

« Charly ! Charly ! Je t’en supplie appelle la police, j’ai pas de réseau et il est là ! Il va me tuer s’il rentre ! »

Elle répond étonnamment vite : « Qui ça ?

— Mon ex, je t’en supplie appelle la police il va me buter ! »

Une voix venue des enfers brise soudainement le silence de la nuit. Une voix qui m’a d’abord couverte d’amour pour mieux me manipuler et m’insulter derrière. Une voix qui m’a poussé à traverser tous les Etats-Unis pour m’en éloigner. Mais elle m’a retrouvé.

« Emily ! Aller ouvre-moi ! On va s’expliquer toi et moi ! »

Si je n’étais pas allé aux toilettes un quart d’heure avant, je me serais littéralement pissée dessus. Mes yeux s’écarquillent tandis que je sens ma pupille disparaître dans mes iris marron, comme pour se cacher. J’ai l’horrible sensation d’être déjà en train de mourir. Rien qu’avec sa voix, il me transperce et me provoque d’horribles douleurs fantômes qui ne partiront jamais réellement.

« Aller, ne m’oblige pas à devenir méchant ! Moi je suis venu pour discuter, c’est tout ! »

Je l’entends de nouveau toquer, avec son poing et ses phalanges, véritable outil de torture dans l’esprit de ce fou furieux. Il frappe plus fort, commençant à s’impatienter devant mon silence.

« Je sais que t’es là ! Ça sert à rien de te cacher ! ALORS MAINTENANT TU M’OUVRES CETTE PUTAIN DE PORTE EMILY. »

Je ne sais pas quoi faire. Je suppose que je pourrais toujours le supplier ? Je serai obligée de donner mon corps en échange de l’arrêt de ses coups… Mes larmes coulent en discontinu sur mes joues alors que tout mon corps me tord de douleur et que mon cerveau se liquéfie de désespoir.

Tel le grand méchant loup, il continue de toquer à ma porte comme un fou, prêt à me manger sans aucune pitié. Il hurle à la mort désormais : « JE VAIS RENTRER CONNASSE TU COMPRENDS CA ?! JE VAIS TE CHOPER ET TE RAMENER A L’APPART ! TU VAS ME SUPPLIER POUR QUE JE TE PARDONNE, TU MÉRITES RIEN, TU ME MÉRITES MÊME PAS. J’AI TOUT FAIT POUR TOI, TOUT ÇA POUR QUE TU T’ENFUIES ?! PETITE CONNE ! »

Je me mets en boule dans mon lit en essayant de me boucher les oreilles, en pleurs. Je ferme les yeux et essaye de me persuader que c’est un cauchemar. Cela doit être un cauchemar. C’est forcément un cauchemar !

Puis je l’entends encore hurler, comme s’il n’était pas capable de parler normalement, comme un animal enragé. Mais ce qu’il dit est… étrange. Je retire mes mains de mes oreilles pour l’écouter, essayant de comprendre : « Qu’est-ce que c’est que ce bordel ?! Nan, mais on est où là, au zoo ?! »

Mais… de quoi il parle ? Peut-être qu’il a complètement perdu la tête…

Ma curiosité me calme légèrement, juste assez pour me mettre à genoux sur mon lit afin de regarder par la fenêtre. Je ne le vois pas, ma porte est plus à droite. La nuit a tout envahi, heureusement les quelques lampadaires éclairent tout de même ma rue. Et cela me permet de voir quelque chose... d’incompréhensible. Bon, maintenant je suis sûr que je suis dans un rêve là, car ce que je vois n’est clairement pas possible.

J’aperçois tout un tas d’animaux au milieu de la rue, tout autour de ma maison. Une vingtaine, tous différents. Un sanglier, un cerf, un renard, une cigogne, même un zèbre ! ... Non, mais c’est du délire, c’est pas possible...

Tous regardent en direction de ma porte, et donc de mon démon je présume. Je vois légèrement flou à cause de mes larmes, mais même après m’être frotté les yeux, ils sont toujours là ! Et ce ne sont pas des costumes ou des effets spéciaux, ils sont réels ! Leurs regards sont menaçants, comme s’ils étaient en colère envers ce psychopathe. Certains semblent même prêts à le charger, c’est du délire !

J’aperçois même le loup, le même qu’hier. Il a les dents bien visibles, probablement en train de grogner. Cela semble bien trop réel pour être un rêve. Quelqu’un a dû me droguer alors ! C’est pas possible autrement…

Mon ex s’avance devant ma maison en direction des animaux. J’ai la sensation de sentir mon cœur s’arrêter quand mes yeux se plantent sur lui. Comme si au fond de moi, je continuais d’espérer jusqu’au dernier moment que c’était quelqu’un d’autre. Mais non, le plus petit doute ne m’est plus permis désormais. Ce fou est devant chez moi, prêt à me rattraper. Pour une parfaite inconnue, cet homme est un beau-gosse incroyable, musclé, bien habillé, bien coiffé, bien rasé,… Mais pour moi, le simple fait de l’avoir dans mon champ de vision me donne la nausée et me fait envisager le suicide plutôt que de passer une heure en tête à tête avec lui.

La scène est surréaliste. On se croirait dans un film comique pour enfant, où les animaux se révolteraient contre le méchant fermier avant de le pendre avec les pieds avec une corde. Même si la tension est bien plus palpable avec les regards menaçants et les grognements de mes drôles d’héros.

« QU’EST-CE QUE VOUS REGARDEZ ?! BARREZ-VOUS ! LE CIRQUE C’EST PAS ICI !

— Vu ta gueule de clown pas étonnant qu’on se soit trompé ! »

Une voix inconnue, que j’entends à peine au travers de la fenêtre. Je ne sais pas du tout d’où elle vient, mais cette bonne répartie fait paniquer le monstre qui souhaite rentrer chez moi. Ce dernier s’énerve en fronçant les sourcils et transforme ses cris en aboiements : « QUI A DIT ÇA ?! MONTRE-TOI SALE MERDE ! »

Il a complètement déraillé. Je le vois dans son regard et ses gestes brusques. C’est le plus grand déshonneur que de se faire insulter, lui et son énorme égo. Mais la chose la plus étrange dans cette scène c’est que j’ai l’impression que les animaux rigolent. Comme s’ils souriaient et se moquaient de lui. Pourtant des animaux ne sont pas censés sourire ! De temps à autre on sent qu’un chien ou un chat est heureux, mais leurs bouches ne font pas clairement un sourire normalement ! Surtout un zèbre ou une cigogne ! Comment c’est possible ? Et où est la personne qui a parlé ?

Je me surprends à sourire légèrement en voyant ce connard se faire ridiculiser et se mettre dans tous ses états devant des animaux. Mais je souris beaucoup moins quand il sort un pistolet de son pantalon et le pointe vers ces pauvres bêtes. C’est d’ailleurs étrange la vitesse à laquelle elles comprennent. Un animal ne peut pas savoir ce qu’est qu’une arme à feu, pourtant tous ont arrêté de rire et semblent sur leur garde.

MAIS QU’EST-CE QUI EST EN TRAIN DE SE PASSER ?!

« MONTRE-TOI SI T’AS DES COUILLES ! TU RIGOLES MOINS LA HEIN ?!»

Tous les animaux le regardent d’une manière -encore une fois- vraiment étrange. Ils ont l’air… Sérieux. Avec une touche d’animosité pour les plus imposants .

« BAH ALORS ?! PLUS PERSONNE N’OSE PARLER D’UN COUP ?! »

Je pensais pas voir un jour ce malade menacer des animaux avec un flingue en leur hurlant dessus. Mais qu’est-ce qu’il fout avec une arme d’ailleurs ? Il n’en avait pas avant… Il l’aurait acheté pour venir ici… Si ces drôles de bestioles n’étaient pas apparues, il m’aurait sûrement déjà tué. Cette pensée me glace le sang, alors que mon cerveau ne parvient pas totalement à croire une chose si folle. On pense régulièrement à la mort, mais pour pouvoir vivre, on se persuade en permanence qu’elle n’arrivera que dans plusieurs années. Mais là, la mienne est si proche que je peux la voir… Et si personne ne l’arrête, j’ai peur qu’il… aille jusqu’au bout.

Je suppose que je devrai utiliser de cette diversion pour m’enfuir, mais… c’est plus fort que moi. Je dois regarder. Je dois observer cette scène, ce moment clé de ma vie. Je ne peux pas détourner le regard, ne serait-ce qu’un instant. Il faut que je comprenne ce qu’il se passe et surtout que je sache ce qu’il va se passer. Ma curiosité me mènera à ma perte…

Seuls les lampadaires et la lune éclairent cette scène atypique, rendant le tout encore plus anxiogène. J’ai vraiment peur que ce con fasse une bêtise. Même si ce ne sont que des animaux, j’ai pas envie que ce fou utilise son arme. Je ne comprends pas comment ça se fait qu’aucun voisin ne sorte voir ce spectacle, toute la rue doit entendre ce fou hurler à la mort. Surtout que toutes les maisons ont leurs volets d’ouvert, tout le monde doit être réveillé à cette heure.

Il finit par se retourner et regarde ma maison. Je n’ai pas le temps de me baisser et nos regards se croisent. Le mien est plein d’appréhension et de questions alors que le sien est rempli d’une rage immense et inarrêtable. Cette dernière semble se dédoubler en me voyant. Il veut me tuer, sans aucun doute. Et encore, j’aurai de la chance s’il me tue directement.

« SORS DE CETTE BARAQUE EMILY ! »

Je suis de nouveau paralysée. De revoir celui qui m’a fait tant de mal, après avoir tout quitté pour être le plus loin possible de lui... J’ai l’impression que j’aurai beau tout tenter, rien n’empêchera cet enfoiré de me reprendre. Pour une raison inconnue, un tour du destin sûrement, nous sommes reliés et je ne pourrai jamais refaire ma vie sans lui. Il continuera de me retrouver, quoi qu’il en coûte. Cette terrible sensation, sorte de condamnation, me traverse et me transperce l’esprit alors qu’il lève son bras pour me mettre en joue.

Je sais bien que je devrais me baisser. Mais mon instinct de survie m’a complètement quitté, soudainement persuadé que rien ne pourra me faire échapper à mon sort. Comme si, sans mon consentement, mon cerveau avait décidé d’arrêter de lutter. D’arrêter de lutter pour l’oublier. D’arrêter de lutter pour ne plus être sous son emprise. D’arrêter de lutter pour ma vie qui est devenue un enfer depuis que je l’ai rencontré.

Le temps semble s’arrêter alors que le canon est dans ma direction. Je suis déjà partie de toute manière. Mes yeux ne fixent plus rien. Ma tête ne pense plus. Un moment d’apesanteur et de légèreté, de lâcher-prise total. Plus rien n’a d’importance. Je me sens légère. Comme capable de voler, loin, très loin de tous mes petits et gros traquas.

Plus de bruits.

Plus d’ennuis.

Loin de lui.

Mais la réalité me rattrape à une vitesse folle alors que je vois une masse passer à toute allure dans la rue et foncer sur mon ex. Un coup de feu part et traverse ma fenêtre tandis qu’une bête sauvage est en train d’attaquer le tireur. Je reprends mes esprits et vois ce dernier au sol, en train d’hurler à la mort, écrasé par... un félin qui est en train de lui mordre le poignet.

L’animal déchainé a ses crocs complètement plantés dans la chaire de ce psychopathe, qui essaye tant bien que mal de se défendre en frappant la bête avec son bras restant -sans grande réussite-. Les quadrupèdes et autres bestioles plumées observent la scène, certains avec une certaine crainte, d’autre semblant plutôt réjoui d’assister à un tel spectacle.

Dans un mouvement très rapide, ce malade attrape un couteau dans sa poche. Il avait prévu un véritable arsenal pour "discuter" avec moi. L’enfoiré plante sa lame dans les côtes de l’animal —un léopard ou un guépard peut-être— qui grogne de douleur avant de serrer d’autant plus fort ses crocs aiguisés dans son poignet qui saigne abondamment et ressemble désormais plus à un morceau de viande inanimé. Devant le regain de férocité de l’animal, le tireur hurle à s’en arracher la gorge. La bête décide de l’aider en changeant de cible, ouvrant grand la gueule pour refermer sa puissante mâchoire sur le cou du tireur.

Ses cris s’arrêtent. Même à cette distance, j’aperçois dans ses yeux une peur terrible, comme si ses pupilles pouvaient apercevoir la robe noire de la faucheuse. Ses cordes vocales se retrouvent complètement broyées, je devine que des petits râles morbides en sortent toujours, signe que la vie le quitte petit à petit. Puis d’un mouvement brusque, le guépard arrache le cou, emportant dans sa gueule le larynx et le cartilage thyroïde complètement broyé et ensanglanté. Le malade se retrouve complètement immobile, avec une expression de terreur sur son visage.

Un horrible silence s’installe. Un silence de mort, symbole que l’irréparable a été commis. Qu’une âme a été enlevée. Qu’une vie a été arrachée, comme la gorge de ce démon. L’animal ouvre la gueule et lâche les morceaux de peau et de chair ensanglantés qui tombent pitoyablement sur le cadavre encore chaud. Un son lointain se fait entendre, un bruit qui aurait dû arriver bien plus tôt. Des sirènes de police. Tous les animaux se regardent entre eux, ne sachant pas réellement quoi faire, exactement comme des humains l’auraient fait. J’en suis persuadé désormais, ce ne sont pas des animaux normaux. Déjà parce que la probabilité qu’il y ait un guépard ou un zèbre ici, dans l’Oregon, est assez faible, mais ensuite car leur manière de réagir est beaucoup trop… humaine.

Je veux juste voir un autre être humain, pour qu’il me confirme que je ne suis pas folle et que ce que je vois n’est pas qu’un fruit pourri de mon imagination. Avec les sirènes et les lumières bleues et rouges des gyrophares qui arrivent au loin, je m’attends tout naturellement à voir arriver une voiture de police…

Mais non…

C’est un cheval tout gris qui arrive dans un accoutrement des plus étrange. Il est "habillé" d’un habit bleu marine qui lui recouvre le dos et le ventre avec écrit "POLICE" en blanc. Sur son dos est posée une barre de gyrophare allumée qui éclaire toutes les façades des maisons et fait hurler un cri aigu. Le plus étrange est une sorte de mécanisme au niveau de ses jambes avant.

Il est relié à son habit bleu marine avec des sortes de barre de fer et de fils électriques. J’aperçois que l’un est relié à une arme pointée vers le sol, accroché à cette drôle d’armature, et l’autre au gyrophare. Le cheval s’arrête et lève l’une de ses pattes, ce qui éteint la sirène qui hurlait dans la rue. Je ne suis même pas tant étonné que ça. Je devrais l’être pourtant, je le sais. Mais cette scène est déjà tellement invraisemblable que je ne suis même pas surpris de voir un tel animal arriver. Je ne parviens même pas à réaliser que mon démon personnel gît sur le sol sans vie, alors que l’adrénaline et l’incompréhension coulent dans mes veines.

Le "policier" regarde la scène et plus particulièrement le guépard, d’un air… étonné. Et choqué. Il se met à ouvrir la bouche, comme pour parler, mais je n’entends rien derrière ma fenêtre fissurée. Je décide de l’ouvrir, comme si cet animal était pourvu de parole et que j’allais pouvoir écouter ce qu’il avait à dire.

« … Mais qu’est-ce que t’as encore fait cette fois ? »

Non, mais…

Je suis folle… C’est définitif.

« J’ai fait ton travail, encore une fois. Tu préférais que j’le laisse la tuer ? »

ET LE GUÉPARD RÉPOND EN PLUS ! Et le pire c’est que je reconnais clairement leurs voix. Le cheval à la voix du capitaine William ! Et le guépard c’est… Charly ?!

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