/9/ 90 Charly

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Je me retrouve obligée de devoir retirer mon sweat orange tant la chaleur a envahi la maison. Je finis en t-shirt noir avec le blason de la maison Gryffondor et mon jean. Même si j’ai encore du mal à dire que cette maison est la mienne, ce lit est complètement à moi. La baguette choisit son sorcier, le lit choisit son dormeur. Je m’écroule sur ce dernier, incroyablement confortable, probablement grâce à l’ancien possesseur qui a dû faire travailler les ressorts. Je dis ça par rapport à son poids, hein, bien entendu.

Je me sens en sécurité dans la chambre. Dans toute la maison, mais SURTOUT dans ma chambre. Les murs sont tout blanc et l’ampoule est entourée d’un abat-jour des plus classique. Cela manque clairement d’originalité, on se croirait dans un endroit qu’on louerait à des étudiants pour un loyer hors de prix. Un jour il faudrait que je m’occupe de peindre, ou de mettre du papier, rendre cet endroit plus personnel et intime. Je verrai bien du rouge… Ou du violet ! Et pourquoi pas de l’orange.

Peu importe. Je sors le livre de ma table de chevet, un roman policier dans un univers futuriste, et rentre dans ce monde de robots et de gratte-ciel volants -particularité des plus originales- en attendant patiemment qu’il soit assez tard pour appeler Charly. Je garde son talkiewalkie près de moi, au cas où prise d’une insomnie en pleine après-midi, elle m’appellerait.

***

Après deux bonnes heures de lecture, je décide de travailler sur la couverture de mon nouveau roman. Pour ce faire, j’allume mon téléphone et me fais un partage de connexion sur mon ordinateur.

« Sale pute de merde je vais te choper et t’éclater

J’vais te retrouver connasse

Pour qui tu te prends ? Tu m’appartiens salope »

Mais j’avais pas bloqué son numéro à lui ? Ah si, il utilise un autre téléphone. Ses messages me donnent des sueurs froides devant la possibilité qu’il vienne réellement ici, pour moi. Quelques flashbacks me frappent : des insultes, des coups de poing, des coups de pieds, et bien d’autres. Inconsciemment, je me mets en boule dans mon lit, comme pour me protéger d’éventuelles attaques de ce malade. Comme je l’ai fais tant de fois alors qu’il se déchainait sur moi…

Je touche ma cicatrice sur mon front par reflex. C’est peut-être pour vérifier que tout cet enfer a bien eu lieu ? Pourtant la réponse est plus qu’évidente…

Je retire régulièrement la puce de mon téléphone… Je n’ai dit à personne que je venais ici, même pas à ma famille. Personne n’est au courant. Il n’y a aucun moyen pour qu’il sache où je suis. Mais ses messages… Je me mets à genoux sur mon lit et regarde le voisinage par la fenêtre, pour m’assurer que personne n’est là. La rue est totalement vide et les maisons ont toujours leurs volets fermés. Rien n’a changé. Je pousse un soupir de soulagement en sentant une larme se frayer un chemin entre mes cils pour ensuite glisser sur ma joue. J’ai traversé tous les états de ce pays pour m’éloigner de ce malade, pour le supprimer définitivement de ma vie. Et ce chien veut tout de même me retrouver après tout ça.

On peut dire ce que l’on veut, mais pouvoir communiquer avec n’importe qui de n’importe où, ça n’a vraiment pas que des aspects positifs...

Quel psychopathe. En me remémorant son sourire sadique, tous mes muscles se remettent à trembler. Je peux presque le voir au dessus de moi et…

Aller ! Je dois me calmer ! Il n’a pas de moyen de me retrouver ! C’est décidé ! Je supprime tous ses messages puis bloque son nouveau numéro ! J’hésite avant d’appuyer sur l’écran, mais finis par le faire. Il va bien finir par se lasser.

Je me replonge dans ma lecture, troublée, en m’essuyant la joue avec le revers de ma main, comme tant de fois auparavant lors de ces deux dernières années passées avec lui.

***

Le soleil s’est pratiquement couché. À quelle heure suis-je censée l’appeler sans la déranger ? Je veux dire, se lève-t-elle lorsque les gens normaux se couchent, vers 10 p.m ? Je ne sais pas, mais ma main me démange et j’observe le talkiewalkie comme une sorte d’artéfact mystique, détenteur d’une vérité et de connaissances qui dépassent probablement de loin tout ce que je peux imaginer. En réalité ce n’est qu’un morceau de plastique et de fer. Le véritable artéfact, c’est Charly.

Je décide de manger quelque chose pour me changer les idées ! Et au menu ce soir… Plus de conserves. Je suppose qu’il faudrait que j’aille faire les courses lundi… Mais non, je suis bête ! Il ouvre à 8 heures, mais du soir. Je dois donc y aller ce soir. Mais vu que c’est la nuit de samedi à dimanche, est-ce qu’ils considèrent ça comme étant samedi ou dimanche ? Et est-ce qu’ils travaillent le dimanche ? Oh je vais avoir du mal à m’habituer à tout ça moi, je le sens...

Je mange mes haricots et mes quenelles -repas discutable, mais tout à fait avalable- puis saute sur le talkiewalkie. Je sais plus ou moins comment m’en servir, mon père m’en avait offert quand j’étais jeune. Tout d’abord je tourne le bouton du volume pour l’allumer, et ensuite le bouton de canal. Elle m’avait parlé du canal 6. Je me mets dessus, puis tente de parler.

« Allo ? »

Je réessaye plusieurs fois, mais je n’ai pas de réponse. Elle n’a pas intérêt à m’avoir raconté des histoires parce que sinon, je vais vraiment lui en vouloir ! J’attends ça depuis ce matin quand même, et je ne suis pas quelqu’un de patient !

Je tente alors le canal 9, comme elle me l’avait dit.

« Allo ? »

Rien. Un grésillement, comme sur l’autre canal.

« Il y a quelqu’un ? »

Aller répond !

« Ouuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuui ? »

Je pousse un grand soupir de soulagement et m’empresse de répondre.

« Charly ! Eum… Bien dormi ?

— Comme un bébé, merci. »

J’entends les cliquetis de sa cuillère qui semble frapper une tasse ou un bol. Elle met quelques secondes avant de répondre, probablement est-elle en train de prendre son petit-déjeuner.

« Vu que c’est le soir, mais que tu viens de te réveiller, tu manges un petit-déjeuner ou un diner ?

— C’est ça les fameuses questions que tu voulais tant me poser ? Je m’attendais à mieux.

— Non non ! Je panique comme un enfant tant j’ai peur de pas pouvoir avoir mes réponses. J’aimerais juste que tu m’expliques tout en détail, toutes les choses bizarres qui se passent dans cet endroit. Et sans me mentir !

— Mais il n’y a rien de bizarre ici voyons ! »

Et elle recommence à se foutre de ma gueule !

« Charly s’il te plait, j’ai besoin de savoir !

— Mais je suis sérieuse ! Pourquoi ce serait nous qui sommes bizarres hein ? Pourquoi pas le reste du monde ! C’est pas bien de juger comme ça, surtout que tu fais partie de la bande maintenant. »

Je peux deviner son petit sourire en coin alors qu’elle me parle, ce qui m’agace quelque peu.

« Bon… Alors, c’était quoi l’animal que j’ai vu ce matin, l’espèce de cerf tout noir aux yeux blancs ?

— On appelle ça un Ohanzee. Mais il peut prendre bien d’autres formes. Là c’était un cerf, mais tu en as en forme de souris, d’écureuil, de raton laveur, de loup ou même d’ours des fois.

— Mais c’est un animal ? Et comment ça se fait que je n’en ai jamais entendu parler nulle part ! C’est pas normal !

— Ce sont juste des créatures qui vivent dans Demon Wood. Il n’y a rien de plus à comprendre, c’est comme ça, nous sommes les seuls à les connaître.

— Maiiiiis pourquoi les chasseurs l’ont capturé ? Pourquoi pas l’avoir tué ?

— C’est simple : ce ne sont pas des chasseurs que tu as vu. »

Elle laisse durer le suspense quelques secondes, savourant probablement la sensation de connaissance et dominance qu’elle a sur moi. Je crois l’entendre également croquer dans une tartine…

« Ce sont nos gardiens. Ou les Wakizas comme disent les vieux. Ils défendent le village des Ohanzee.

— Pourquoi un cerf attaquerait un village ?

— Mais c’est pas un cerf. C’est un Ohanzee qui a la forme d’un cerf, rien à voir. »

Je prends quelques secondes pour assimiler ce qu’elle me raconte, assise en tailleur dans mon lit.

« Mais pourquoi est-ce que personne dans le monde ne connait ces bestioles ? J’veux dire, on connait bien les animaux qui se trouvent au plus profond de la forêt Amazonienne, pourquoi on ne connaitrait pas ce machin-là !

— Alors, vu que je t’aime bien, j’accepte de répondre à toutes tes questions. MAIS ! Je dois avoir quelque chose en échange, tu ne crois pas ? »

Roh purée qu’elle m’énerve ! J’ai besoin de comprendre, mon cerveau patine là ! Je réponds de manière très sèche :

« Qu’est-ce que tu veux ?

— Pour chaque question à laquelle je réponds, tu devras répondre à une question que je te pose. »

Parmi tous les habitants, il a fallu que je tombe sur la plus grosse casse-couille. Sans réfléchir je réponds du tac au tac : « Si tu veux.

— Aaaaah là on va commencer à s’amuser ! Tu as posé 4 questions, j’ai donc le droit à quatre questions moi aussi !

— Hey ! Le jeu n’avait pas commencé ! Dans quoi je m’embarque moi...

— J’ai les réponses, je décide des règles ! Dans ma grande générosité, on va dire que ça comptait que pour 2. » dit-elle avant de mordre dans sa tartine une nouvelle fois. Je me résigne à accepter.

« D’accord, si tu veux... » Je l’entends pousser un petit cri de joie et taper dans ses mains. Elle a 10 ans d’âge mental ou ça se passe comment ?

« Alors... On va commencer simplement ! Pourquoi tu es venue habiter ici ? Et attention, je ne veux que des réponses sincères ! »

Elle attaque directement là où ça fait mal. Rrrrh elle m’énerve !

« Eum... Disons que je voulais prendre un nouveau départ. Quitter les grandes villes bruyantes, et aussi partir loin de mon ex.

— Pourquoi tu veux partir loin de lui ? »

J’hésite à lui répondre. C’est très personnel et vu que les rumeurs se répandent vite ici vraisemblablement, j’ai pas envie que tout le village soit au courant de mes problèmes.

« Je te le dis si ça reste entre nous.

— Croix de bois, croix de fer, si je mens, j’te paye une bière ! »

Une gamine...

« Bon, hé bien, disons qu’il m’a maltraité. Et que je ne voulais pas rester avec lui. Cet enfoiré m’a fait perdre tous mes amis, je n’avais plus personne à Chicago. Et j’avais... peur qu’il me retrouve et me fasse du mal. »

Un grand silence s’engouffre dans le talkiewalkie, qui se contente de grésiller.

« Bon, eum... » Je sens qu’elle est très mal à l’aise, son ton de voix a complètement changé. Je l’aide un petit peu à continuer la conversation tandis que ce moment devient vraiment gênant.

« Bref, à mon tour ! Mhm... Donc si j’ai bien tout suivi. Dans ce village, vous vivez la nuit et dormez le jour par tradition. Il y a des animaux noirs qui vous attaquent et vos gardiens les capturent. C’est ça ?

— Exact. S’ils les capturent, c’est pour les tuer ensuite, c’est pas pour les emprisonner. Je préfère te le préciser.

— Je sens... Que tu caches quelque chose. Il y a trop d’incohérences dans tout ça. C’est comme ce loup-là !

— Henson.

— Comment un loup peut être pervers ? Un loup ça mange des lapins, ça vit en meute, ça va pas mater les filles par leurs fenêtres ! C’est pas normal pour un loup !

— Peut-être... Parce que ce n’est pas réellement un loup ? »

Elle a pris une toute petite voix, comme si elle avait un peu honte, ou qu’elle était effrayée de ma réaction.

« Qu’est-ce que c’est alors ? Un loup-garou p’tet ?! »

Je commence à hausser la voix. Purée que ça m’énerve de ne pas tout comprendre ! Non seulement j'arrive pas à savoir si elle ment ou pas, mais en plus je sens qu'elle joue avec moi !

« Hey, calme-toi hein ! J’essaye de répondre à tes questions, pas besoin de m’engueuler ! »

Elle a pas complètement tord. Je suis trop sur les nerfs avec tout ces changements, toute cette nouveauté. Je dois me ressaisir !

« Désolé... C’est juste que... C’est assez stressant tout ça...

— Je comprends. T’inquiètes pas, c’est pas grave. J’aime juste pas qu’on me crie dessus. » Je sens une sincérité étonnante venant d’elle dans sa voix.

« Même si je t’expliquais. Même si je te racontais tout dans les détails. Tu ne me croirais pas ! Et je ne veux pas que tu me cries encore dessus... »

Charly prend une petite voix d’enfant en disant ça. Elle arrive à me faire culpabiliser alors que c’est elle qui s’amuse avec mes nerfs !

« Bon... Aller, je t’offre une question si tu veux, pour me faire pardonner. »

Elle répond instantanément, sautant sur l'occasion avec un enthousiasme fou...

« Tes mensurations !

— ... Pardon ?

— Quel bonnet ? »

MAIS ELLE EST INSUPPORTABLE ! Je me retiens de lui hurler dessus et préfère couper le talkiewalkie que je me retiens de balancer dans l’énervement. Elle joue avec moi là, en se faisant passer pour une victime avec sa petite voix innocente, purée que ça m’énerve !

Mais pourquoi je m’énerve autant moi ? Je suis bien plus calme d’habitude. Cet endroit me fout vraiment sans dessus dessous... Je dois être bien trop stressée... Et moi qui dois rouvrir la bibliothèque après-demain ! Raaaaah ! J’aimerais juste réussir à comprendre comment marche ce village de fous ! Il y a forcément une logique derrière tout ça, on n’est pas dans un film là, c’est pas un délire surnaturel, c’est le monde réel ! Et dans le monde réel, il y a une logique. Alors pourquoi est-ce que je n’arrive pas à la trouver ?!

Un son me permet de reprendre mes esprits. Un son que je connais extrêmement bien, mais qui pour une raison obscure, n’arrive pas à être identifié immédiatement par mon cerveau. Comme s’il avait complètement oublié son existence dans cet endroit coupé du monde. Une sorte de cri qu’inconsciemment, je ne pensais même pas réentendre un jour. C’est vraiment étrange, comment j’ai pu presque oublier le son d'un moteur de voiture en deux jours ? Peut-être que mon cerveau s'habitue déjà à ce joyeux bordel finalement.

J’observe par la fenêtre, mais la rue est déserte. Le soleil a disparu et l’obscurité n’est pas encore totale, donnant quelques teintes bleu foncé au plafond de verre qui nous sépare du vide intersidéral. Les lampadaires sont allumés et je remarque que de nombreux volets se sont ouverts, mais pas tous. J'essaye de comprendre... C'est étrange car je n’avais pas entendu de voiture hier à cette heure...

Le son se rapproche de plus en plus tandis que je sens mes poils s’hérisser. Mon corps se met à sécréter un maximum de sueur et mon coeur perd petit à petit son rythme de musique relaxante pour se tourner vers du black métal. Tous mes membres se mettent à trembler alors que je n’arrive même pas à analyser l’information que tout mon corps m’hurle. Il a bel et bien compris quel était ce bruit, tout comme mon cerveau très certainement. Mais il est trop effrayé pour l’accepter et me transmettre l’information.

Il se rapproche... Je reconnais ce bruit. Et ce n’est pas n’importe quelle voiture...

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