/8/ L'appel de la bête

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Je me lève et remets le livre dans la poche de mon sweat -à peine assez grande pour ce grimoire- avec le talkiewalkie. J’hésite à mettre ma capuche, sorte d’habitude, comme pour me protéger du monde qui m’entoure -et accessoirement du froid en hiver-. Mais je dois mettre mes reflex d’introvertis de côté. Puis je vais finir par crever de chaud avec les degrés qui ne cessent de monter.

Je me remets en route vers chez moi, longeant le bord de la mer comme à l’aller, bercée par le son des vagues. D’habitude je me balade toujours avec mes écouteurs, mais j’ai fait une exception pour cette fois. Déjà pour ne pas passer pour une asociale, mais surtout pour vraiment m’imprégner de cet endroit absolument inconnu. Le voir c’est une chose, mais pour réellement connaitre quoi que ce soit, ce sont nos 5 sens qu’il faut mettre en éveil, si ce n’est plus.

Quelques questions se battent dans ma tête et frappent sa paroi, comme les vagues contre la digue. Je décide de les mettre de côté. Après tout, ça n’a aucun intérêt de me remuer les méninges pour essayer d’expliquer tous ces étranges évènements. Je n’ai tout simplement pas encore assez de réponses, donc inutile de faire des conclusions hâtives. Ce soir j’appellerai Charly pour essayer de mieux comprendre ce joyeux bordel.

Je finis par rentrer à ma maison, après avoir traversé le beau quartier résidentiel désert en bordure de forêt.

Je regarde de l’autre côté de la rue, là où j’ai vu le loup hier soir. Comme pour me persuader que cela s’est bien passé. Ce n’est pas tant le fait qu’il y ait un loup qui m’ait choqué, mais c’est son regard. Alors je n’ai certes jamais vu de loup auparavant, mais j’ai bien senti que ses yeux et sa façon de me regarder n’étaient pas normaux.

Je regarde ma porte avant de tourner la clé. C’est là que je m’aperçois de marques de griffes. Difficile de penser que j’ai rêvé maintenant. Ce petit enfoiré a abimé ma porte ! Alors que j’ai emménagé depuis même pas 24 heures ! Oh si je le revois, je vais lui mettre mon poing dans la gueule ! Après tout, si c’est ce que tout le monde me dit de faire, c’est sûrement que c’est la meilleure solution ! Même si en réalité, je serai bien trop effrayée pour faire quelque chose d’aussi courageux -et stupide-.

Je rentre prudemment, comme si je n’étais pas encore complètement sûre que ce soit bien ma maison. On ne sait jamais, tout peut arriver ici. Cela ne m’étonnerait pas de tomber sur un ours dans mon canapé un de ces jours. Cela me fait sourire un court instant, puis je me demande quoi faire. Déballer le reste de mes cartons qui sont à deux doigts de tomber les uns sur les autres dans le salon ? Boarf. Non, je sais ce dont j’ai envie !

Écrire !

Je ne me suis même pas connectée sur Wattpad depuis mon départ de Chicago. Il est temps d’y remédier ! Une fois dans ma chambre, je prends mon ordinateur portable qui se trouve dans un carton, bien enroulé d’habits et de papier bulle pour ne pas le casser. Je doute qu’il y ait beaucoup de réparateurs d’ordinateurs dans le coin, donc je dois faire particulièrement attention à mes affaires.

Je l’allume, rentre mon mot de passe, puis remets la puce dans mon téléphone pour me faire un partage de connexion. Le réseau coupe régulièrement en plus d’être d’une qualité pitoyable. Mais après cinq longues minutes, je parviens à aller sur Wattpad. Je vois une quinzaine de notifications, surtout des commentaires sur mon histoire « Le royaume d’Anita », un roman fantasy dans un monde féérique qui a dépassé les 4000 vues récemment. Ma plus grande fierté !

Je vois aussi un message, que je m’empresse d’ouvrir. C’est un compte qui propose des critiques qui m’a répondu ! Tout excitée, bien allongée dans mon lit en sweat et en jean, je clique sur le lien pour lire leur avis sur mon histoire !

Je suis soudainement moins excitée en voyant les reproches que cet inconnu me fait. Une histoire "classique" "comme on en a déjà vu des milliers sur le site" "manque d’originalité et de nouveauté". Mon style et mon orthographe semblent lui plaire, c’est le fond qu’il me critique. C’est assez douloureux étant donné que j’ai passé des dizaines -si ce n’est des centaines- d’heures à la travailler sur les moindres détails de mon univers adoré. J’ai même fait une carte du monde et un bestiaire des créatures magiques qu’on y trouve !

Après, c’est vrai que les histoires de fantasy sont très nombreuses sur Wattpad… S’il en critique régulièrement, peut-être en a-t-il ras le bol.

Il veut quelque chose d’original, hé bien je vais lui en donner ! J’ouvre un document Word vierge que je nomme "Oddly Bay". Tout d’abord, je note un plan en décrivant rapidement mon arrivée, la rencontre avec le capitaine, mon entrée dans la ville, Grand ours, la bibliothèque, le loup, le diner,… Est-ce que je devrai dire pourquoi je suis venu habiter ici ? Mhm, je vais laisser planer le doute, ce sera un mystère de plus ! Puis je me lance tout de suite dans mon écriture, pianotant les touches de mon clavier avec une rapidité qui m’est propre, résultat d’années d’écriture intensive. Les mots noirs apparaissent sur la page blanche alors qu’un sourire se dessine sur mon visage, heureuse de reprendre mon activité favorite.

***

J’ai dû écrire pendant deux heures et demie. C’est rare, mais je n’ai pas réellement besoin d’inventer quoi que ce soit, ce qui facilite grandement les choses. Je me contente de raconter ce que j’ai vécu, en transformant les phrases trop simples en belles créatures, et en truffant mon histoire de métaphores, une figure de style avec laquelle j’aime particulièrement jouer. Je prends un malin plaisir à la tourner dans tous les sens pour découvrir un joyau caché dans le creux de mon imagination. J’en suis à mon arrivée au diner et je bloque sur la description de la bête que j’ai vue. Bien évidemment, je suis capable de la décrire. C’était un cerf plus noir que du goudron avec des très longues pattes fines. Mais j’ai du mal à retransmettre l’émotion qui m’a traversé en la voyant.

Je présume que j’aurai dû ressentir de la pitié, moi qui adore les animaux ! Pourtant c’est une sorte de colère qui m’a traversé. Mais pas pour les chasseurs ! Non, c’est bien envers l’animal que j’étais en colère. Comme si mon cerveau ne pouvait accepter une telle abomination de la nature, souhaitant la voir disparaître pour que je puisse retourner dans mon monde normal. Je suppose que c’est exactement comme le racisme, la peur de l’inconnu qui se transforme en haine à cause de l’incompréhension. Mais non, je sens qu’il y a autre chose. Comme si j’avais senti dans mes tripes que cette bête était… mauvaise ?

***

Il doit être 15 heures quand je commence à avoir faim. En même temps, vu les deux petits-déjeuners que je me suis tapés, ça n’a rien d’étonnant. Si Charly mange comme ça tous les jours, je me demande comment elle peut avoir un corps aussi mince. Sûrement est-elle plus sportive que moi -ce qui n’est pas très difficile-.

Après un repas constitué de converses, je décide de m’occuper de mes cartons empilés qui trainent un peu partout. Le mixeur dans la cuisine, mes habits dans le placard de ma chambre, mes affaires de toilette dans la salle de bain, … Je tombe sur le carton où repose, bien entourée de papier bulle, ma collection de vinyles. Dans le carton à côté se trouve ma platine ainsi que mes deux petites enceintes -c’est incroyable tout ce que je peux faire rentrer dans ma voiture !-

Je les sors soigneusement, puis retire quelques livres de la bibliothèque du salon pour y mettre ma collection musicale. Ce n’est qu’une solution temporaire bien entendue. Je pose avec le plus grand respect les anciens ouvrages de Grand Ours -qu’il m’a surement laissé par fainéantise- dans le carton, avant de l’attraper. Je traverse tout le couloir, passe devant les portes-fenêtres qui mènent à la forêt puis le pose dans le garage, là où j’ai rentré ma voiture. C’est en ressortant que j’aperçois quelque chose que je n’avais pas vu hier.

Au plafond semble se trouver une trappe. Je dis "semble" car elle est aussi blanche que le reste, la rendant presque invisible. Il n’y a qu’une petite encoche pour l’ouvrir. C’est bien trop haut pour mes 1m68, je vais donc chercher une chaise et grimpe dessus pour l’ouvrir. J’ai fait cela sans même réfléchir, comme si c’était une évidence. Après tout je suis chez moi, j’ai bien le droit d’aller où je veux ! J’abaisse donc la trappe et en descends une échelle -que je manque de me prendre dans la tête de peu-.

J’hésite légèrement devant l’obscurité de l’endroit. Je n’arrive à apercevoir que la charpente dans cette mer de ténèbres. Je prends mon téléphone dans ma poche arrière et allume la lampe-torche, brûlant l’obscurité jusqu’à ce qu’il n’en reste rien avant de monter.

C’est un sacré bordel ici ! Principalement de vieilles étagères remplies de bric-à-brac. La poussière est certes omniprésente, mais je suis surprise de ne pas voir de toile d’araignée. Cet endroit semble avoir été encore visité il y a peu, sûrement que Grand Ours y stockait des affaires.

Le plancher grince et ne me rassure pas vraiment. Je dois fléchir légèrement mes genoux pour avancer, le toit étant très bas. J’observe toutes les babioles qui sont stockées ici. Des habits, quelques outils de bricolage et de jardinage, des objets de décoration comme des bougies ou des vases, le tout recouvert d’une épaisse couche de poussière grise.

Des affaires laissées par les anciens bibliothécaires, je présume. Une chose attire mon regard en particulier. C’est une petite boite en bois verni pas plus grande qu’un livre. Ses renforts métalliques brillent face à ma lampe, ce qui me permet de constater qu’elle ait bien plus propre que le reste des objets stockés ici. Je l’attrape dans ma main libre et la tourne dans tous les sens pour voir qu’elle est verrouillée par un cadenas à code. Pas des chiffres, mais des lettres, 4 pour être précis.

Franchement, pas la moindre idée de ce que ça pourrait être. Mais étant donné la propreté et la beauté de la boite, Grand Ours l’a laissé là volontairement, cela ne fait aucun doute. Il voudrait donc que je l’ouvre… Hé bien c’est ce que je vais faire !

***

Scie, marteau, tournevis, tous les outils de ce foutu grenier y sont passés. Mais rien n’y fait ! Je sens que même une tronçonneuse où une perceuse ne feraient pas une égratignure à ce cadenas ! Encore quelque chose à rajouter à la liste des trucs bizarres… Ou alors je manque juste de force… Non, c’est sûrement un mystère magique.

Je jette un dernier coup d’œil à cet endroit qui aurait bien besoin d’être nettoyé, puis redescend avec la boite et remonte l’échelle de la trappe. Je pose l’étrange objet sur la table à manger. Si Grand Ours veut que je l’ouvre, c’est que je trouverai le code tôt ou tard. Rester dessus toute la journée ne servirait à rien. Quand on est bloqué par quelque chose, la meilleure chose à faire c’est de s’aérer l’esprit et de prendre du recul.

Mais oui, c’est ça que je vais faire ! Je prends le double des clés pendu dans l’entrée et sors de chez moi avant de verrouiller la porte. Je fais ensuite le tour de ma maison et arrive dans mon propre jardin. Il est tristement vide. Je ne suis pas une grande fan de botanique, mais ça manque tout de même de fleurs ici. Il est assez grand, je pourrai même planter des légumes ! Je dis ça, mais je me connais, j’aurai jamais la motivation pour autant travailler.

Je le traverse, écrasant l’herbe bien verte sous mes pieds, avant de rentrer dans la forêt. Je suis entourée par les énormes épicéas d’un marron profond. J’ai l’étrange sensation d’être encore dans mon jardin, alors que je suis dans la forêt. Le manque de limitation entre les deux est vraiment étrange, comme si toute la forêt m’appartenait. J’aime beaucoup ça. Ça me donne un sentiment de liberté inimaginable.

Une brise souffle entre les arbres et lève légèrement mes cheveux courts, que je sens se reposer sur ma nuque après deux petites secondes. J’inspire par le nez et expire lentement par la bouche en marchant, observant tranquillement les alentours. J’entends des oiseaux ci et là, cachés dans les branches pleines d’épines des épicéas. Quelques racines sortent du sol et tentent de me faire des croche-pieds, que j’esquive avec habilité, écrasant les quelques branches mortes qui craquent sous mon poids. Le silence est total. Pas de voitures, de personne hurlant au téléphone ou de chiens hargneux.

Ce n’est pas la première fois que je me promène en forêt bien sûr, mais c’était extrêmement rare quand j’habitais à Chicago. Et dire que maintenant je pourrais le faire quand j’en aurai envie, cela remplit mon cœur de joie et mes poumons d’un air pur revigorant.

Mon sweat orange doit très nettement contraster avec le marron environnant. Au moins je ne risque pas de me faire tuer par un chasseur ! Vu que j’ai l’étrange impression que c’est l’un de leurs passe-temps favoris, je vais devoir faire attention.

Je dois aussi faire attention aux loups. Je ne pensais pas dire ça un jour. Je suis une sorte de petit chaperon rouge… Le petit sweat orange. Ouais non, ça sonne mal.

Je continue de m’enfoncer plus profondément, à un point où je ne peux même plus voir ma maison. Je devrai peut-être faire demi-tour avant de me perdre, ce serait con que je disparaisse le premier jour de ma nouvelle vie.

Au moment de rebrousser chemin, mon corps est immobilisé par un cri très lointain. J’aurai du mal à le caractériser. C’est le hurlement d’un animal, sans aucun doute, mais quel animal ? Cela n’a rien à voir avec la brame du cerf de tout à l’heure, ni même avec un grognement, pas plus que le hurlement d’un loup. C’est très grave, profond et long. Il dure une bonne dizaine de secondes avant de recommencer. Ce son semble provenir des profondeurs de la forêt, celle-là même que je me faisais un plaisir de découvrir il y a quelques instants.

Tous mes poils se sont hérissés. Je tourne la tête pour vérifier qu’aucune bête n’est proche de moi. Mais non, rien. Je suis bien seule, et le silence est revenu. Les sifflements des oiseaux ont quant à eux disparu, comme s’ils avaient été effrayés par cette chose. J’essaye de comprendre si c’était un hurlement de peur, de tristesse ou de colère, mais impossible de savoir. J’ai l’étrange impression qu’il m’était destiné. Mais hors de question que j’essaye de trouver la bestiole qui a fais ça ! Je me remets à marcher -assez rapidement- vers ma maison en priant tous les saints pour ne pas croiser la créature capable de produire des sons si démoniaques.

Donc dans ma forêt, j’ai des loups pervers, des cerfs noirs aux yeux blancs, des chasseurs et des bestioles capables de produire des hurlements d’un autre monde. Moi qui me réjouissais de pouvoir me promener longuement entre ces arbres, je comprends que cela ne va pas être aussi incroyable que ce que j’espérais… Et si je me baigne dans la mer, je vais tomber sur quoi comme bestioles, des requins multicolores en tenue de plongée ?

Je finis par retourner dans mon jardin. J’observe les arbres immenses qui caressent les nuages. Ils me semblent bien plus menaçants désormais, laissant mon esprit imaginer les bizarreries qui doivent se cacher dans le fond de cette bien étrange forêt.

Cela me revient soudainement.

« Demon Wood »

Moi qui trouvais ce nom bizarre, il prend soudainement tout son sens. Mais dans quel pétrin je me suis fourrée en venant habiter ici moi ?!

J’essaye de rationaliser tous les étranges évènements qui se produisent depuis mon arrivée, mais là je n’y arrive plus du tout ! C’est pas possible que tout cela soit naturel et qu’il y ait des explications logiques ! Je comprends mieux pourquoi les habitants n’aiment pas les nouveaux arrivants, c’est parce qu’ils ont des choses à cacher c’est ça !

Je dois me calmer… Je réfléchis avec la peur et ce n’est absolument pas la meilleure chose à faire. Je vais rester dans mon lit le reste de l’après-midi et ce soir, si Charly ne répond pas à mes questions, tout le voisinage va m’entendre lui gueuler dessus.

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