Chapitre 16

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Le soir arriva. Ce soir si redouté.

Je ne me souviens plus quelles pensées se bousculaient dans ma tête, mais en tous cas, c'était le bordel. J'étais tiraillée. Partagée entre l'envie de partir en courant, tout abandonner, disparaître de cet hôtel, de la surface de la Terre, même, et celle d'aider l'homme que j'aimais. Comment pouvais-je l'abandonner ? D'autant plus que c'était moi qui lui avais proposé mon aide.

Oui, c'est moi. Je suis la fautive. Mais je ne pouvais pas me douter qu'il demanderait effectivement mon aide.

Tout le monde fait ça, non ? Dire « si jamais, je suis là » alors qu'on n'a pas vraiment envie d'aider, on pense juste qu'on ne sera pas sollicité et qu'on ne nous demandera rien. En plus, comme ça, on a la conscience tranquille « mais j'ai proposé... et... il peut me demander ». Et quand on nous demande, tout devient plus compliqué. Me voilà avec ma conscience « tranquille »... Pourrait-elle encaisser ce que j'allais lui faire ? me demandais-je.

Elle l'a encaissé.

Le soir du « drame », je fus enveloppée dans une jolie robe rouge, moulante, décolletée. J'étais tel un joli petit cadeau servi sur un plateau doré. Ou presque. Ce paquet rouge fut déposé devant les portes de l'hôtel par une Maybach noire. Plutôt comme un colis égaré d'ailleurs. Il était resté là une bonne dizaine de minutes avant que le destinataire ne le trouve. Celui-ci s'était mis sur son trente-et-un, lui aussi. Ça se voyait. Costume sur mesure, cravate d'un bleu nuit, montre Patek. Il avait même lustré son crâne chauve, ce rigolo avait le sens du détail.

Le dîner était des plus embarrassants, comme vous avez pu le deviner. Il n'avait pas même essayé de détendre l'atmosphère : sa conversation avait été complètement déroutante et orientée sexe. Ça me filait la nausée. Les blagues salaces passaient encore mais « tout à l'heure, en tête à tête, je te mettrai à l'aise, ne t'inquiète pas » m'a achevée. Plusieurs fois, j'ai eu envie de vomir. Encore plus souvent, j'ai eu envie de fuir.

Je suis restée.

Il a abrégé le repas en glissant un « on prendra le dessert dans la chambre » assorti d'un clin d'oeil au serveur. Nous sommes montés dans la suite. Déjà dans l'ascenseur, il n'arrivait plus à contrôler ses pulsions. Une main par là, une par ici... Paradoxalement, le pire, c'était ses mots. Personne ne m'avait encore parlée comme ça.

« N'essaie pas de résister, salope ! » « Tu n'imagines même pas combien je paie pour t'avoir. » « Il ne te l'a pas dit ? » Je ne répondais pas, j'étais sidérée, comme inconsciente. Ma dignité se désintégrait au fur et à mesure que ses mots sortaient de sa bouche.

Une fois dans la suite, vu mon état d'indifférence extrême, il fit une chose à laquelle je ne m'attendais pas. Il s'est assis sur le lit, et sur un ton tout aussi autoritaire et déplaisant, il a commencé à me parler.

- Je te dégoute, c'est ça ? Je l'ai remarqué dès que je t'ai vue.

- Et vous ne trouvez pas ça normal ? Je suis obligée de passer soirée et nuit avec vous pour que vous pardonniez la dette de Karl. Contre de l'argent donc. Je me sens sale, je me sens pute.

- La dette de Karl...? Tu ne te sens pute que maintenant ? Étrange. Il me semblait que tu tenais compagnie à notre brave Karl en échange de toutes sortes d'achats et séjours dans des palaces... Contre de l'argent donc. Si je suis ton raisonnement...

- Quand les sentiments s'en mêlent, on ne peut pas parler de prostitution. Il a de l'argent, il m'emmène avec lui car ma compagnie lui plaît. Il me permet de m'acheter des choses parce qu'il sait bien que, sans ça, je n'aurais rien à faire.

- Ah oui ? Tu as donc lu tous les livres et vu tous les films, en bonne érudite que tu es. Tu as dû peindre plusieurs tableaux, obtenir un doctorat... Et tout ce qui te reste, c'est de faire les boutiques.

Il avait raison. Je n'ai rien répondu. Il a repris, d'un ton interrogatif.

- Ce n'est pas là que je voulais en venir. Tu parles d'une dette. Je ne comprends pas.

- Si je suis là avec vous aujourd'hui, c'est parce que Karl vous doit une somme d'argent qu'il ne possède pas. Et vous avez proposé de passer l'éponge sur sa dette en échange de cette soirée.

Un éclat de rire abject emplit la pièce.

- Si tu es là, c'est parce que Karl a proposé tes services d'escort avec « bonus » pour trois mille euros et que j'ai accepté.

- Je ne vous crois pas...

- Ah oui ? Ne perdons pas de temps à tergiverser. Je vais te montrer les mails échangés avec ton grand amour puis nous passerons aux choses sérieuses.

Il a sorti son téléphone et a ouvert ses mails. Tout était là. Ces lettres formaient des mots, des phrases, des propositions, des prix, des accords.

J'avais été manipulée.

Bizarrement, je n'ai pas eu le cœur brisé. J'ai eu envie de vengeance. Je me suis souvenue de la première fois qu'il était entré en moi puis de toutes les autres fois. C'était le seul homme qui l'avait fait, qui y avait eu droit. Il ne méritait plus ce privilège. Non. Il ne l'a jamais mérité.

J'ai mis le téléphone de coté. Je me suis jeté sur cet homme. Je ne cherchais plus à savoir s'il m'était sympathique. Je ne voulais plus que Karl ait ce privilège d'être « le seul ». Tout ce que j'ai fait avec Karl, je l'ai reproduit ce soir là. A tel point même, qu'il me demandait du répit parfois.

« Laisse-moi récupérer. » « Ouvre la fenêtre. »

Moi, je n'avais qu'une envie. Qu'on me pénètre aussi violemment que possible, comme pour éjecter les souvenirs de Karl.

Au matin, mon compagnon de nuit me remercia chaleureusement. Il m'a demandé si j'accepterais de le revoir. J'en ai ri.

En partant, il a glissé une enveloppe dans mes mains « ça, c'est ma façon de te remercier, pas la peine d'en parler à Karl ».

On s'était mis d'accord que Karl ne saurait rien. Que je ferais comme si je n'étais pas au courant de sa combine. Après le petit déjeuner, j'ai pris le taxi en direction de l'hôtel.

Ce n'était pas mon cœur qui fut brisé. C'était mon âme. Je n'avais plus honte de mes plus sombres envies. J'avais honte de ma pudeur passée. De ma dévotion à un seul homme. J'avais honte d'avoir été si faible, d'avoir été trahie.

Ce n'était pas mon cœur qui était brisé, non, c'était mon être. Savez-vous ce que c'est, vous, que d'avoir son être brisé ?

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