Chapitre 4

3 minutes de lecture

Je me mettais la pression. Pour devenir plus belle, oui, mais pas seulement. Il s'avère que, malgré mon âge et les nombreuses sollicitations de la gent masculine, je n'étais pas encore devenue une femme. J'en avais l'apparence et les caractéristiques, oui, mais je demeurais une jeune fille. Aucun garçon n'avait encore eu l'honneur et le privilège de me voir dans mon plus simple appareil. Non, ce n'était pas à cause d'une quelconque conviction religieuse ou morale. Personne ne m'avait jamais intéressée et, avant ma transformation en cygne merveilleux, c'est moi qui n'avais suscité l'intérêt de personne sinon quelques abrutis.

Cela me complexait. Horriblement. Et je mentais à ce sujet. Il faut dire que notre société est ainsi faite. Si avant, pour être digne, une fille devait rester pure, on peut dire que c'était l'inverse aujourd'hui. Avouer que tu n'as pas eu de relation intime, surtout à mon âge, représentait un billet sans retour pour une destination incertaine mais socialement peu valorisante. Les gens s'imaginent de suite que tu n'es qu'une pauvre fille dont personne n'a jamais voulu, dont personne ne voudra jamais et que tu finiras probablement vieille fille avec quarante-six chats. Je me demande aujourd'hui si je n'aurais pas mieux fait d'en devenir une...

Détrompez-vous, mesdemoiselles mais surtout messieurs... Oui, surtout messieurs car c'est vous qui mettez sur les épaules de nombreuses filles le lourd poids de leur pureté. Je peux dire, de ma propre expérience, que ce ne sont pas les autres qui n'ont jamais voulu de moi. Je peux dire aussi que je suis loin, très loin, d'être coincée. J'ai pris mon temps, je ne sais pas vraiment pourquoi, j'en avais sûrement besoin et, je ne vois pas en quoi c'est mal ou honteux. De nombreuses fois j'avais été le témoin de conversations entre « mâles » qui disaient que les vierges étaient toutes des « coincées frigides ». La femme sage et avisée que je suis devenue peut vous dire qu'il ne s'agit en fait que de leur peur de tout rater. Voyez-vous, une fille inexpérimentée a besoin d'une certaine douceur, de temps, de préparation. Eux, ce qu'ils veulent, c'est tirer leur coup et s'endormir alors, vous pensez bien qu'ils ne vont pas s'importuner avec des détails.

À l'époque, j'étais très complexée par cet état qui était, pour moi, pathologique. Cela tournait presque à l'obsession, j'étais à l'affût, lors de chaque conversation avec un mensonge tout prêt sous forme d'anecdote coquine. Quand il m'arrivait d'y penser dans des moments de solitude, la jeune naïve que j'étais se disait « Ce n'est tout de même pas normal... si ce n'est pas le physique, c'est la personnalité ou l'aura... peut-être une malédiction même ! ». Puis, un instant plus tard, dans une recherche de réconfort, je me répétais que j'étais très belle et que ce serait d'autant plus une chance pour le garçon qui aurait le privilège de me déflorer. Ce qui était tout de même plus véridique que mes pensées premières.

Ce qui était difficile, c'était que les tonnes de mensonges que j'avais inventés à ce sujet commençaient à peser, j'étais leur prisonnière sans aucune âme à qui me confier. Personne, pas même mes amis les plus proches, ne savait la vérité à ce sujet. Je devais donc gérer cela seule. Ce n'était pas très compliqué, je gérais déjà beaucoup de choses en tête à tête avec moi-même et je ne trouvais pas cela plus mal que d'aller se plaindre à la terre entière. Mais il y avait une deuxième «externalité négative » générée par mes inventions. Une autre personne, qui devait inévitablement participer au processus, allait être au courant elle aussi et il fallait donc que je choisisse très méticuleusement cette personne, qu'elle soit la plus éloignée possible de mon cercle d'amis et même de connaissances... A priori, c'était plutôt simple, il n'est pas compliqué de trouver un inconnu dans une grande ville. Avec un inconnu, tout est plus simple, il vient puis il repart sans pouvoir partager son exploit avec des individus susceptibles de me connaître.

Je parle d'« exploit », oui, mais je ne devrais pas ! Voyez-vous, je pense que c'est aux antipodes de ce qu'est l'union de deux êtres mais, je ne suis pas certaine que tout le monde soit de mon avis, alors... Savez-vous ce que c'est, qu'un exploit ?

Annotations

Vous aimez lire Guerda ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0